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Photo : Ariane Pelletier

« C’est 1 $ de plus pour l’ajout du lait d’avoine. » On a l’habitude d’entendre ce type de phrase en commandant un latté ou un cappuccino au « lait » végétal dans une grande chaîne ou un petit café de quartier. Rappelons qu’un latté coûte déjà en moyenne 5 $.

Si ces boissons végétales sont de plus en plus demandées, les gens en ont certainement assez de les payer plus cher! Mais pour quelles raisons paie-t-on un supplément de 0,25 $ à 1,75 $ pour remplacer le lait de vache par une boisson végétale?

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Dans les dernières années, on a pu observer une augmentation fulgurante de l’offre de boissons alternatives pour le café, autant dans les épiceries que dans les cafés. Ce qui permet aux personnes véganes, végétaliennes ou intolérantes au lactose d’avoir accès à des options. Après la boisson de soya et la boisson d’amande, c’est maintenant la boisson d’avoine qui gagne en popularité.

On le répète pourtant collectivement : on devrait de plus en plus se tourner vers une alimentation végétalienne pour réduire son empreinte écologique et pour le bien-être animal. D’ailleurs, plus de 40 %(Nouvelle fenêtre) de la population canadienne aimerait manger plus d’aliments d’origine végétale. Alors pourquoi est-on « puni » lorsque l’on choisit une boisson qui n’est pas du lait de vache?

Même Hollywood s’en mêle! En 2022, l’acteur américain James Cromwell, que l’on peut voir dans la série Succession et qui est aussi un fervent militant pour la cause animale, s’est collé la main au comptoir d’un café Starbucks(Nouvelle fenêtre) pour demander à la chaîne de cesser de faire payer un supplément pour les boissons végétales.

L’avis des baristas

Une recette de boisson soya et avoine style barista
Une recette de boisson soya et avoine style barista | Photo : Loounie

Il n’y aurait pas de différence entre le prix moyen au détail des boissons végétales et celui des boissons laitières « régulières », selon un rapport(Nouvelle fenêtre) publié à l’été 2022 par le Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. Alors comment justifier cette différence de prix dans les cafés?

Selon le directeur marketing principal chez Café Barista Philippe Massé, le supplément qui est souvent facturé par les commerçants permet de couvrir le coût des matières premières.

« Il faut savoir que la marge de profit d'un café est mineure. On se dit souvent que 5 $ pour un latte, c'est dispendieux, mais le café et le lait (végétal ou non) sont des matières premières très chères, surtout si on veut de la qualité. »

— Une citation de  Philippe Massé du Café Barista

Et c’est justement cette recherche de qualité qui expliquerait la différence de prix des matières premières : pour réussir un bon latté avec une belle mousse, les commerces utilisent des boissons végétales spécialisées, comme des mélanges « barista », conçus pour tolérer une haute température et pour former une mousse stable.

Si le prix d’une boisson d’avoine ou de soya standard peut effectivement se comparer à celui du lait de vache, celui des boissons style barista demeure plus élevé. (À titre indicatif uniquement, dans une grande chaîne d’épicerie, le coût d’une boisson végétale style barista varie entre 0,35 et 0,75 $/100 ml, alors qu’on paie de 0,10 à 0,30 $/100 ml pour les boissons végétales régulières et de 0,18 à 0,30 $/100 ml pour le lait.)

Dans ce cas, pourquoi ne pas offrir des boissons végétales standards sans supplément et facturer uniquement à la clientèle les boissons de plus grande qualité, comme les mélanges barista?

Selon Philippe Massé, ça pourrait être une option, malgré le défi supplémentaire que cela poserait en matière de gestion des stocks. Ça serait tout à fait réaliste, et il y a sûrement des entreprises qui fonctionnent comme ça. On voit tellement de pratiques différentes, et c’est ce qui est beau dans la scène du café au Québec : chaque entreprise est différente, avec ses valeurs, et c’est ce qui fait que le paysage est hétéroclite.

Refiler (ou non) la facture à la clientèle

Le lait de sources animales est de plus en plus remplacé par des boissons à base de végétaux.
Le lait de sources animales est de plus en plus remplacé par des boissons à base de végétaux. | Photo : Radio-Canada

Selon Mathilde Plante St-Arnaud, directrice générale chez Café Smith qui compte 9 succursales et une unité mobile dans la région de Québec, les boissons végétales coûtent encore de 30 à 40 % plus cher aux propriétaires de commerces que les produits laitiers correspondants. Mais pas question de refiler la facture aux véganes et aux personnes vivant avec des intolérances, entre autres.

Pour cette entreprise, la décision d’amortir le coût des différents types de boissons sur toutes les commandes de lattés a été prise il y a 10 ans, pour être en accord avec ses valeurs.

On ne facture aucun supplément, quel que soit le type de boisson, incluant les boissons végétales et le lait sans lactose, à l’exception de la boisson de pistaches, qui est saisonnière.

Mme Plante St-Arnaud précise que l’entreprise a fait le choix non seulement d’amortir le coût, mais aussi de réduire sa marge de profit sur ces boissons. Une stratégie qui permet un plus grand volume de ventes et, conséquemment, des prix plus avantageux auprès de ses grossistes. Si les cafés au lait de vache représentent encore environ 85 % de ses ventes, la demande pour des options végétales est grandissante.

Marie-Claude Dansereau, propriétaire du Café Falco à Montréal, abonde dans le même sens. Elle note que la demande pour les boissons d’avoine est de plus en plus importante.

La commerçante a pris la décision, elle aussi, d’amortir le coût additionnel des boissons d’avoine de spécialité, souhaitant encourager le plus possible la clientèle à choisir ces options dont l’empreinte écologique est moindre que celle du lait de vache.

Mme Dansereau y voit un autre avantage : pas besoin de réfrigérer les boissons végétales avant de les ouvrir. Ça facilite beaucoup la gestion de nos frigos!, ajoute-t-elle.

Options 100 % végétales

La cheffe Loounie
La cheffe Loounie | Photo : Loounie

Au Café des habitudes, ouvert depuis 2022 dans le quartier La Petite-Patrie à Montréal, l'écoresponsabilité est au cœur des valeurs. Donc pas question de mettre le lait de vache au menu.

Avec ses plats principalement végétaliens, son mobilier de seconde main et aucune tasse jetable, il allait de soi que l’établissement de Joanna Nisembaum n’offre à sa clientèle que des options végétales pour le café.

Mme Nisembaum pousse son engagement encore plus loin en utilisant exclusivement les boissons végétales concentrées de l’entreprise locale DAM, qu’elle se procure en chaudières. Une chaudière me permet d’obtenir l’équivalent de 145 cartons de lait, ce qui rejoint mon objectif de diminuer les déchets au sein de mon entreprise.

Et qu’en est-il du coût? Comme entreprise, je sais que mon impact est plus grand que celui d’un individu. J’essaie d’équilibrer la notion de profit avec les enjeux humains et ceux de la planète, précise Mme Nisembaum.

Une chose est certaine : de plus en plus de propriétaires de cafés réussissent à démontrer qu’il est tout à fait possible de repenser leur modèle d’affaires pour éviter de refiler une facture supplémentaire aux clients. Plusieurs grandes entreprises, avec plus de moyens, gagneraient à s’en inspirer.

Photo : Ariane Pelletier