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Le chef et cuisinier de barbecue américain Damien Brockway espère un jour pouvoir ouvrir un restaurant, après le succès de son camion à Austin, au Texas. | Photo : Gracieuseté : Distant Relatives

L'Américain Damien Brockway n’a pas hésité longtemps avant d’accepter l’invitation du chef Paul Toussaint à venir cuisiner pour Montréal en lumière, une décision facilitée par un respect commun pour les traditions culinaires. On l’a rencontré autour d’une poitrine de bœuf (brisket) bien fumée dégustée au milieu d’un centre-ville enneigé.

Comme cela a été le cas pour beaucoup d’autres chefs, la pandémie a fait dévier Damien Brockway de sa trajectoire gastronomique. Chef renommé, il a travaillé dans de grandes cuisines américaines avant de se tourner vers la chaleur du fumoir et du gril. C’est vers le Texas et la ville d’Austin qu’il a pointé sa mire pour l’ouverture de son camion restaurant, Distant Relatives, en 2021.

Le goût de la tradition

Damien Brockway est un fervent défenseur du respect des traditions culinaires. Le nom de son camion, Distant Relatives (membres de la famille éloignée en français), évoque l’intérêt qu’il porte aux saveurs que ses ancêtres d’origine ouest-africaine incorporaient jadis à leur cuisine. Peut-être le nom fait-il aussi référence à l’album des rappeurs Nas et Damian Marley?

Quoi qu’il en soit, cette recherche historique a amené le cuisinier de barbecue – une fonction qu'on appelle pitmaster en anglais – à donner sa touche personnelle au barbecue texan, notamment en lui ajoutant des mélanges d’épices africaines comme le berbéré, en utilisant l’animal de la queue au museau et en lui apportant des nuances d’acidité et de piquant qui sortent de l’ordinaire. 

Le barbecue américain n’est pas une mince affaire. Les différentes traditions du barbecue aux États-Unis, c’est comme le vin français; il y a ce qui ressemble à des appellations d’origine contrôlée, explique Damien Brockway, attablé au restaurant de Paul Toussaint, le Kamúy, à la place des Festivals.

« Aux États-Unis, le barbecue est vu comme une chose religieuse, sainte. On trouve des temples du barbecue, et c’est aussi pour ça que le barbecue peut continuer d’exister. »

— Une citation de  Damien Brockway, chef

Évidemment, il n’y a pas d’inspecteurs ou d'inspectrices qui vont venir t’enlever ta certification, mais chaque tradition a ses particularités, poursuit-il. Il y a le style de Memphis, des Caroline du Nord et du Sud; celui de la Virginie, qui croît en popularité... Au Texas, le bœuf est roi, et on utilise du bois de pacanier.

Pour Damian Brockway, le médium est le message, comme on entend parfois en anglais (the medium is the message) : le barbecue lui-même, technique de cuisson primordiale, lie ensemble les chemins historiques des populations afro-américaines, européennes et autochtones.

« Le barbecue enjambe les frontières, les différences, les héritages... On sait que le barbecue comme on le connaît aujourd’hui vient d’un mélange de cultures. »

— Une citation de  Damien Brockway

Incidemment, c’est aussi la vision que déploie le chef Paul Toussaint dans son restaurant de Montréal, le Kamúy, une table d’inspiration pancaribéenne dont le menu fait des liens entre les cultures culinaires de l’Amérique latine, des Antilles, des Caraïbes et des États-Unis.

C’est la même histoire. Je cuisine parce que je veux que mes enfants comprennent ma culture haïtienne, dit Paul Toussaint. Les gens qui viennent ici ne cherchent pas nécessairement ça, mais je leur dis : arrêtez-vous, écoutez, prenez le temps de comprendre.

La rencontre des chefs

Paul et Damien ont conçu un menu à quatre mains qui souligne leur vision commune. Ainsi, le brisket du Distant Relatives était bien présent dans l'une des assiettes servies lors du menu dégustation des 23 et 24 février pour Montréal en lumière(Nouvelle fenêtre), mais avec la touche Kamúy : au lieu du pain, c’est une purée de fruit à pain qui tenait le rôle de l’amidon, un clin d’œil à la culture antillaise du chef Toussaint.

Les chefs Paul Toussaint (au centre) et Damien Brockway (à droite)
Les chefs Paul Toussaint (au centre) et Damien Brockway (à droite) | Photo : Gracieuseté : Distant Relatives

Le duo d’huîtres – une fraîche, une frite – était une façon pour Paul Toussaint de parler de ces ingrédients qui étaient autrefois consommés par les personnes afrodescendantes de la côte est américaine. 

Thomas Downing, roi des huîtres de New York et militant abolitionniste, est une figure historique aujourd’hui presque oubliée et délaissée, à l’instar de certaines traditions culinaires, ce que déplore le chef.

Si le chef américain est habitué à servir ses plats dans un grand plateau, sans flafla, Paul Toussaint est plutôt un adepte de la signature gastronomique, un contraste qui plaît à Damien Brockway. Je m’amuse tellement ici, ce sont comme des vacances de travail! lance-t-il en riant.

Avec leur joie et leur énergie débordante, les deux chefs ont uni leur créativité pour démontrer qu’une cuisine qui respecte leurs racines communes peut aussi être spectaculaire et délicieuse.

Je blaguais avec ma femme hier soir en lui disant que, peut-être, j’allais rester ici travailler avec Paul, raconte Damien Brockway en riant là encore.

Le chef américain a pourtant de nombreux projets en tête, notamment celui d’ouvrir un restaurant « brick and mortar » (brique et mortier), une suite logique du camion restaurant.

Le chef et cuisinier de barbecue américain Damien Brockway espère un jour pouvoir ouvrir un restaurant, après le succès de son camion à Austin, au Texas. | Photo : Gracieuseté : Distant Relatives