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Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

La récente annonce de la fermeture du restaurant Noma, à Copenhague, plusieurs fois reconnu comme le meilleur au monde, a fait réagir sur la mappemonde de la gastronomie, dont au Québec, où de talentueux cuisiniers mettent à profit des connaissances acquises lors de stages réalisés dans ce resto. Ils nous racontent les hauts et les bas de leur passage dans la célèbre cuisine danoise. 

L'aventure a commencé en 2004, un an après la mise sur pied du restaurant Noma, consacré à la cuisine nordique. Les confondateurs, Claus Meyer et René Redzepi, avaient organisé un grand symposium sur ce type de cuisine en compagnie des meilleurs chefs et professionnels du Danemark.

Cet événement a donné lieu au Manifeste de la nouvelle cuisine nordique, une liste de 10 actions pour développer une cuisine de proximité adaptée au climat du Danemark, marquant le début du mouvement de la cuisine nordique. 

Celle-ci s'est imposée dans le monde par l’utilisation d’herbes salines recueillies sur des berges et des champignons forestiers ainsi que des expériences inédites de fermentation aux formes et couleurs inspirantes. Les répercussions positives se sont fait ressentir jusque dans les cuisines de l’industrie de la restauration du Québec. 

Ce sont des leaders dans l’industrie qui ont complètement révolutionné la restauration, croit François-Emmanuel Nicol, chef et copropriétaire de l’établissement de haute gastronomie Tanière3, au Vieux-Port de Québec, qui s’inspire grandement de leurs savoirs. Noma est arrivé dans le paysage culinaire mondial à un moment où la gastronomie était surtout axée sur l’Europe et les grandes villes comme New York ou San Francisco. Noma s’appropriait son terroir. C’était inspirant. Noma a défié la tradition gastronomique qui, jusqu’à ce moment-là, était axée sur la France. 

« Ce qui est soudainement devenu le luxe était des plantes sauvages et des fruits de mer bien particuliers. Pour une des rares fois, ce n’était pas un produit d'appellation d’origine contrôlée (AOC) français, comme la truffe ou du foie gras, qui était le luxe, mais des produits que l’on trouvait en forêt. C’est carrément une révolution. »

— Une citation de  François-Emmanuel Nicol, chef copropriétaire Tanière3

L’inhabituel aliment typique d’un climat du Nord devenait soudainement le luxe en haute cuisine. Le chef René Redzepi devenait le maître d’œuvre de ce que plusieurs allaient par la suite qualifier de révolution culinaire

Record mondial

Depuis son ouverture, le populaire établissement de Copenhague a décroché cinq fois le titre de meilleur restaurant au monde, selon The World’s 50 Best Restaurants. Ce record mondial le rend désormais inéligible pour ce célèbre palmarès annuel. Puis, en septembre 2021, Noma est finalement parvenu à décrocher l’ultime récompense : une troisième étoile au Guide Michelin. Cette consécration vient avec son lot de prestige, mais aussi une pression avec laquelle le Noma entend vraisemblablement composer autrement.

Les rumeurs de fermeture se sont par la suite emballées, souligne Sébastien Rémillard, sous-chef et responsable de la recherche et du développement au restaurant Tanière3 à Québec. Sébastien a fait un stage de trois mois au Noma en 2016 et a gardé des liens privilégiés avec ses brothers en cuisine. 

Mousse de lait de brebis, sucre de varech cuit avec de l'aronia, baies salées de la saison dernière, jus de cassis blanc et huile de géranium.
Mousse de lait de brebis, sucre de varech cuit avec de l'aronia, baies salées de la saison dernière, jus de cassis blanc et huile de géranium. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

C’est une des plus belles expériences de ma carrière, ajoute celui qui signe la mise en place de l’équipe Canada au Bocuse d’Or. C’était exigeant, mais quand tu es jeune, tu veux apprendre, tu veux te démarquer, alors tu fais les sacrifices nécessaires.

« Noma [René Redzepi] peut faire ce qu’il veut, car il a déjà en main tous les prix possibles. Où vas-tu à partir de là? »

— Une citation de  Sébastien Rémillard, chef responsable de la recherche et du développement, Tanière3

Les dessous moins reluisants de la création

En cette ère de la mondialisation de l’alimentation, l’identité culinaire nordique attirait donc des cuisiniers de partout sur la planète au Noma pour prendre part à cette révolution. Gabriel Boutin de Trois-Rivières a vu là une occasion d’améliorer ses connaissances et techniques en cuisine, une façon de se démarquer en apprenant du meilleur chef au monde, René Redzepi. 

Le chef et copropriétaire du Noma, René Redzepi, a aidé à redéfinir la cuisine des pays nordiques.
Le chef et copropriétaire du Noma, René Redzepi, a aidé à redéfinir la cuisine des pays nordiques. | Photo : Getty Images / Thibault Savary

Je trouvais intéressant d’aller apprendre là-bas, car tous les aliments que je voyais à leur menu étaient similaires à ce que je trouvais ici, relate Gabriel, qui a quitté la cuisine pour se consacrer la fabrication de cidre. Pour sa part, l'expérience aura été source de réflexions quant à son propre avenir professionnel et au milieu dans lequel il entend évoluer.

Je voulais aussi me dépasser, aller apprendre avec les meilleurs. C’est ce que je me disais, mais à tort. Il fallait exécuter des tâches très répétitives pendant 16 heures en ligne, se désole-t-il. Je devais laver et placer des coquillages de Venus Clams dans une assiette, à la verticale, pour qu’ils s’accotent l’un sur l’autre. J’en faisais environ 120 par jour dans un contexte où l'on n’avait pas le droit de s’amuser. On ne pouvait même pas rire. 

« Ce que je retiens de mon expérience au Noma, c’est surtout ce que je ne veux pas la répéter ici : un environnement de travail toxique et des heures de cinglé. Ce qui est le plus décevant, c’est qu’on se faisait promettre plein de choses [pour nous motiver à travailler], mais ça n’arrivait jamais. »

— Une citation de  Gabriel Boutin

La gastronomie est à la croisée des chemins, selon ce qu'a récemment affirmé le chef Redzepi pour expliquer la fermeture prochaine du Noma. La culture des heures exténuantes de travail intense a atteint un point de rupture, selon une entrevue qu'il a accordée au New York Times. Son modèle d’affaires est insoutenable, ce qui l'a poussé à fermer son prestigieux établissement de restauration pour se concentrer, dès 2024, sur le développement de produits alimentaires hors du commun, selon ses propos. 

Quelque chose me dit que les yeux de bien des gens créatifs au Québec seront rivés sur ce que deviendra Noma. Mes yeux le seront.


Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel