Analyser l’impact des marées noires

Sur le quai de Portsall, il reste l’ancre du pétrolier d’Amoco-Cadiz et au moins un homme qui se souvient très précisément de ce qui s’est passé : Michel Glémarec. Ce chercheur réputé, aujourd’hui à la retraite, a dirigé la plus vaste enquête écologique qui ait jamais eu lieu après une marée noire.

« [Le déversement de] l’Amoco-Cadiz est important parce que nous avons appris que le pétrole flottait. Or, dans les conditions hydrodynamiques où nous étions, il y avait une espèce de batteur à mayonnaise, et les hydrocarbures se sont dissous dans la colonne d'eau. Notre première surprise a été de voir arriver sur les plages des cadavres d’animaux qui vivent à 20, 30, 40 mètres de profondeur. Ça, on n'avait jamais vu ça. [...] Au bout d'un mois, nous avons été capables de faire un bilan de ce que l'écosystème avait perdu. On avait perdu 230 000 tonnes de matières fraîches, de bigorneaux, de crabes. Donc, il y avait un vide dans l'écosystème », se rappelle Michel Glémarec, biologiste et professeur émérite à l’université de Bretagne occidentale, en France.

Rien n’y paraît, mais il y a un énorme trou dans l’écosystème : 230 000 tonnes d’animaux et de plantes ont disparu. Pour la première fois, on a compté les pertes par espèces. Cela a servi de base à la réclamation des communes bretonnes, huit ans plus tard, lors du procès contre le géant américain Amoco. Mais étonnement, le trou s’est résorbé assez vite.

« Au bout de 2 à 3 ans, nous nous sommes aperçus qu'il y avait plus de [matières] qu'avant », ajoute Michel Glémarec. Certaines espèces ont vu leur nombre croître très rapidement. « La faune normale est aussi revenue parce que le pétrole a perdu de sa toxicité. Il perd très vite de sa toxicité. Au bout d'un an ou deux, il n'est plus toxique, ce n'est qu'une matière organique qui bloque les systèmes d'oxygène dans le sédiment. Mais très vite, les animaux normaux reviennent et la place est à nouveau occupée. »

Tout semble aller bien, mais bientôt survient une nouvelle catastrophe : l’écosystème est saturé, il ne peut plus fonctionner. Certaines populations, notamment les invertébrés marins, s’effondrent brutalement. « Quand on regarde de près, on s’aperçoit que ce qui manque au système, ce sont des régulateurs qui empêchent l’anarchie, qui empêchent qu’il y ait [une trop grande densité de population], précise le biologiste. Et ce sont les crustacés qui sont les plus sensibles et qui contrôlent le système. » Il faudra à nouveau quatre ans pour que les crustacés finissent par revenir. Le système est alors fonctionnel.

Michel Glémarec en a conclu que, sous nos latitudes, il faut de sept à huit ans pour que la nature retrouve un équilibre à la suite d’une marée noire.

Cette conclusion est aujourd’hui généralement acceptée, et elle est plutôt rassurante. En somme, sur le plan strictement écologique, les marées noires ne sont pas aussi terribles qu’elles le paraissent.

   
   

Journaliste : Jean-Pierre Rogel    
Réalisateurs :
Yves Lévesque et Bertin Leblanc (Paris)
Adaptation pour Internet : Karine Boucher et Caroline Paulhus    
Correction :
Josée Bilodeau

   

 

Rien n’y paraît, mais il y a un énorme trou dans l’écosystème : 230 000 tonnes d’animaux et de plantes ont disparu.

 

 

 

 

 

Michel Glémarec en a conclu que, sous nos latitudes, il faut de sept à huit ans pour que la nature retrouve un équilibre à la suite d’une marée noire.

Mikael Charlemain


Protéger les milieux sensibles Une autoroute de pétroliers