Une autoroute de pétroliers

Landunvez, un petit port à l’extrême ouest de la Bretagne. Tôt un matin de mai 2003, Mikael Charlemain va en mer relever ses casiers à homards. En après-midi, il prépare ses appâts pour le lendemain. Puis, à quelques pas de là apparaissent de petites boules noires, ballottées par la marée montante. C’est du pétrole lourd. Ce qui est extraordinaire, c’est que ces boulettes proviennent – on en a la preuve formelle – du Prestige, ce pétrolier qui a fait naufrage près des côtes espagnoles en novembre 2002. Tout cela se retrouve ici, en Bretagne, 3000 km plus loin et 6 mois plus tard! De quoi faire enrager les pêcheurs bretons, qui en ont soupé, des marées noires!

Pancarte disant: « Accès interdit jusqu’à nouvel ordre, pour cause de pollution »À l’entrée de la plage voisine, le même matin, on a apposé une pancarte : « Accès interdit jusqu’à nouvel ordre, pour cause de pollution ». Sur la grève, les fameuses boulettes de pétrole sont partout. Gluantes et toxiques, elles attaquent massivement la faune et la flore qui vivent dans cette partie très riche de l’écosystème qu’on appelle l’estran. C’est la portion du rivage qui se découvre à marée basse. Une situation, hélas! fréquente par ici. Quand ce n’est pas une marée noire, c’est un déballastage – la vidange en mer des cuves de pétrolier – qui vient souiller la côte.

Dix kilomètres plus loin, le phare de la pointe Saint-Mathieu signale aux marins les dangers de navigation en cette pointe extrême de l’Europe. L’ancienne abbaye est abandonnée, mais le phare, automatisé, monte toujours la garde. Ici, c’est la porte d’entrée de la Manche, une zone par laquelle transite près de la moitié du trafic mondial de pétrole.

Cyril PolliardTout à côté, au Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de Corsen, des officiers de marine surveillent en permanence le trafic maritime. Chaque jour, de 150 à 200 gros navires franchissent cette zone. Ils doivent tous s’identifier. Les bateaux doivent suivre ce qu’on appelle le « rail d’Ouessant », un dispositif de séparation du trafic en deux voies distinctes, l’une pour le trafic montant et l’autre pour le trafic descendant. En bordure, deux zones interdites. Depuis peu, pour améliorer la sécurité, on a déplacé toutes ces voies de 10 milles vers le large. « Ils doivent absolument nous appeler dans les 40 milles nautiques, explique Cyril Polliard, chef de quart pour le CROSS de Corsen. S’ils ne le font pas, [nous pouvons verbaliser]. Nous avons donc des moyens, marins ou [aériens], pour aller les identifier. »

Surveiller de près le passage des superpétroliers, c’est bien, et c’est relativement nouveau. On a mis en place ce système à la suite d’une catastrophe survenue en 1978. Le 16 mars, en pleine tempête, le pétrolier Amoco-Cadiz dérive vers la côte bretonne, suite à une avarie de gouvernail. Il s’encastre entre deux rochers près du petit port de Portsall. La plus grande marée noire du siècle commence : 234 000 tonnes de pétrole brut se répandent le long des côtes.

   
   

Journaliste : Jean-Pierre Rogel    
Réalisateurs :
Yves Lévesque et Bertin Leblanc (Paris)
Adaptation pour Internet : Karine Boucher et Caroline Paulhus    
Correction :
Josée Bilodeau

   

Sur la grève, les fameuses boulettes de pétrole sont partout. Gluantes et toxiques, elles attaquent massivement la faune et la flore qui vivent dans cette partie très riche de l’écosystème qu’on appelle l’estran.

 

 

 

 

 

La plus grande marée noire du siècle commence : 234 000 tonnes de pétrole brut se répandent le long des côtes.

Mikael Charlemain


Analyser l’impact des marées noires Introduction