HOMÉLIE DU 12 NOVEMBRE 2006
32e dimanche du temps ordinaire

CHAPELLE DE L'HÔTEL-DIEU
Montréal (Québec)

Président de l'assemblée:
M. le cardinal Jean-Claude Turcotte

1 Jean (3, 18-24)
Saint Luc (10, 25-37)

Quand on connaît Jeanne Mance, on ne peut pas ne pas l'aimer. Quand on sait ce qu'elle a réalisé, on ne peut pas ne pas l'admirer. Quand on voit comment et à quel point elle a aimé Dieu, quand on constate comment et à quel point elle a aimé d'un semblable amour ceux et celles qu'elle a rencontrés et servis, on ne peut pas ne pas souhaiter pouvoir un jour s'adresser à elle en disant «sainte Jeanne».

Les femmes comme elle sont des femmes rares. Les femmes comme elle sont de merveilleuses porteuses de vie. Les femmes comme elle donnent le goût de vivre. Heureux sommes-nous d'être de ce pays et de cette ville vers lesquels Dieu l'a conduite.

Elle reçut le nom de Jeanne le 12 novembre 1606, jour de sa naissance et de son baptême. Plus tard on l'appellera Mademoiselle Mance. Mademoiselle, parce qu'elle était célibataire; ce qui ne l'empêchait pas d'avoir la tendresse d'une mère et d'être aussi donnée à Dieu qu'une religieuse.

Beaucoup plus tard, on dira qu'elle fut «l'âme de la colonie». L'âme qui inspire. L'âme qui suscite le courage, l'audace et l'entrain. L'âme qui donne de relever les grands défis. L'âme qui appelle chaque jour au dépassement.

On dira aussi de Jeanne Mance qu'elle fut «l'ange de la colonie». L'ange qui accompagne les petits et les grands, les malades et les bien-portants. L'ange qui protège des dangers. L'ange qui suggère sur quel chemin avancer. L'ange qui soutient aux heures difficiles. L'ange toujours serviable, toujours disponible, toujours prêt à s'oublier.

Je le redis, Jeanne Mance a connu deux grands amours: celui de son Dieu et celui de son prochain.

D'abord celui de son Dieu, ensuite celui de son prochain. Mais jamais l'un sans l'autre.

Pour elle, aimer Dieu c'était chercher sa volonté et tout faire pour l'accomplir. En 1643, elle a 37 ans et vit à Ville-Marie depuis un an. Elle écrit alors au Père Saint-Jure, son directeur spirituel, des mots dignes des plus grands saints et des plus grands mystiques. Écoutez bien:

«Il n'y a rien au monde que je fisse pour accomplir cette divine et toute adorable volonté qui est le seul amour et désir de mon coeur... C'est mon seul amour et unique paradis; en un mot, c'est mon Dieu; la volonté de mon Dieu est mon Dieu, et si Dieu se pouvait quitter pour faire son bon plaisir, je laisserais Dieu pour faire sa volonté.»

Ces mots de passion et de feu n'ont jamais éloigné Jeanne Mance du service de ses soeurs et frères humains; il l'ont au contraire conduite à mieux les aimer et mieux les servir. Jeanne découvrait au jour le jour ce que Dieu attendait d'elle, étant attentive à ce qui survenait dans sa vie et autour d'elle. C'est pourquoi on a dit que sa spiritualité en était une de l'événement.

Déjà, à Langres, quand sévissaient la guerre, la famine et l'épidémie, elle soignait les blessés, était au service des malades, s'occupait des affamés. En 1640, alors qu'elle s'interroge sur ce que Dieu attend d'elle, elle apprend qu'un cousin jésuite – Jean Dolebeau – partira bientôt pour le Canada. Dieu ne l'appellerait-elle pas à s'y rendre elle aussi?

Elle se rend à Paris, où elle rencontre des gens qui soutiennent les missions au Canada. Le Père Gabriel Lalemant confirme son appel. Madame de Bullion, avec qui elle est mise en relation, lui propose de fonder un hôpital en Nouvelle-France et lui offre les fonds nécessaires à la réalisation du projet. Guidée par ces événements, Jeanne s'embarque à Larochelle en 1641. Après une année passée à Québec, elle arrive à Ville-marie où les tâches qu'elle assume sont fixées par les nécessités du jour. Elle «s'occupe de l'administration, des vivres, de l'entretien des lieux, des repas et du moral des colons».

En 1645, elle voit à la construction de l'Hôtel-Dieu. Quand de jeunes filles deviennent orphelines parce que leurs parents sont victimes des guerres avec les Iroquois, Jeanne les accueille dans sa maison et devient leur mère. Chaque fois que l'avenir de la colonie et de son hôpital sera menacé, de concert avec Maisonneuve elle prendra des décisions destinées à assurer leur survie. Ce qui la conduira à traverser l'Atlantique à trois reprises.

Réunis aujourd'hui dans la grande et belle chapelle des Hospitalières de Saint-Joseph qui sont venues à Ville-marie grâce à l'initiative de Jeanne Mance, nous pensons spontanément au message que notre fête adresse particulièrement aux infirmières de notre époque.

Que de choses ont changées dans l'exercice de la profession! Mais l'esprit qui animait Jeanne Mance ne mérite-t-il pas être gardé vivant? Jeanne soignait les malades avec les moyens et les connaissances de son temps. Elle veillait à ce que les personnes hospitalisées aient une bonne nourriture. Elle s'appliquait à soulager leurs souffrances corporelles. Elle s'occupait aussi du coeur et de l'âme des malades. Elle considérait la compassion et la tendresse comme faisant naturellement partie des soins à prodiguer dans un hôpital. Son âme de missionnaire lui inspirait d'aider les malades à se tourner vers Dieu.

En tout cela, et par tout ce qu'elle a accompli et vécu, Jeanne Mance la croyante, Jeanne Mance la laïque, Jeanne Mance l'administratrice, l'audacieuse, l'entreprenante et la courageuse, Jeanne Mance l'infirmière, demeure un modèle à proposer à ceux et celles qui croient à la beauté de la vie et à l'urgence de relever les plus grands défis. Parce que Jeanne Mance s'est laissé façonner par l'Évangile, l'amour dont elle a vécu n'a pas été fait que «de paroles et de discours»; il s'est pleinement manifesté «par des actes et en vérité», et il l'a conduite à incarner de manière admirable l'idéal proposé par la parabole du Bon Samaritain.

C'est une grande soif d'amour vrai, d'amour qui sait dire et qui sait faire... c'est la soif d'un amour large, généreux et ouvert à tous, qui a inspiré Jeanne Mance tout au long de sa vie. Heureux ceux et celles qui osent vivre, guidés par un tel amour!

Dieu notre Père, pour Jeanne, la fille de France, nous te disons merci.
Pour Jeanne, la cofondatrice de Montréal,
Pour Jeanne, la première infirmière du Canada et la fondatrice de l'Hôtel-Dieu de Montréal,
Pour Jeanne, que le pape Jean-Paul II a appelée
«l'héroïque Jeanne Mance», de tout coeur, nous te disons merci.

AMEN.


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