HOMÉLIE DU 29 OCTOBRE 2006
30e dimanche du temps ordinaire

CHAPELLE SAINTE-JEANNE-D'ARC
Base militaire de Valcartier (Québec)

Président de l'assemblée:
Mgr Donald Thériault, évêque

Jérémie (31, 7-9)
Lettre aux Hébreux (5, 1-6)
Saint Marc (10, 46-52)

1. Le jubilé: «L'année de la faveur du Seigneur»!

Au nombre des anniversaires que l'on peut célébrer au cours d'une vie, les cinquantièmes occupent une place particulière. Dans la Bible, on parle de «Jubilé». Ce mot vient de l'hébreu «Yobel» et désigne une corne de chèvre utilisée comme trompette. Tous les cinquante ans, le son de cette trompette proclamait le début d'une année spéciale pour Israël: l'année du Jubilé. Selon Lévitique 25, cette loi civile contenait deux prescriptions principales: le rachat de la propriété et la libération des esclaves. Elle fonctionnait comme une «remise à niveau» sociale, comme si une nouvelle chance était donnée à tous. Cette loi empêchait l'appauvrissement des plus faibles et la concentration de la richesse dans les mains de quelques-uns. Malheureusement, même si je le voulais, je n'aurais pas le pouvoir de décréter ce matin l'effacement de toutes vos dettes personnelles et de vos hypothèques ou encore d'annoncer une promotion pour tous les militaires qui participent aux fêtes du 50e de notre chapelle! Mais j'aime bien l'idée d'une nouvelle chance toujours offerte à chacun. Qui n'en a pas rêvé, un jour ou l'autre?

Pourtant, même dans la Bible, la loi du Jubilé s'est montrées insuffisante pour résoudre le problème des injustices sociales et de l'exploitation des faibles. Mais le Dieu d'Israël est un Dieu patient. Loin de se décourager, il annonce plutôt, par la bouche des prophètes, qu'il se chargera lui-même d'accomplir les bienfaits de l'année du Jubilé et cette intervention n'aura plus à être répétée car elle sera décisive et définitive. Ce sera «l'année de la faveur du Seigneur!» (cf. Is 61, 1-3)

En définitive, c'est dans la personne même de Jésus que Dieu accomplira ses promesses. Au tout début de son ministère, dans la synagogue de Nazareth, Jésus se lève et proclame le texte d'Isaïe 61 et l'attribue à sa personne et à son oeuvre (cf. Lc 4, 16-21), Le texte lu par Jésus indique qu'il a été envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, les bénéficiaires du Jubilé, et renvoyer les opprimés en liberté, une autre disposition fondamentale du Jubilé. C'est en lui que s'accomplit cette prophétie. Jésus annonçait, en outre, que les destinataires de la grâce de Dieu, ne seraient pas uniquement les hébreux, mais l'humanité entière. Les disciples recevront la tâche d'annoncer l'évangile à tous les peuples (cf. Mt 28, 19-20).

Nos chapelles, présentes et bien vivantes sur la plupart des bases militaires des Forces canadiennes, sont des lieux privilégiés pour l'annonce de la Bonne Nouvelle. Elles constituent à la fois un rappel et un appel. Elles sont le rappel d'un héritage de foi que nous partageons avec un grand nombre de canadiennes et de canadiens. Les valeurs chrétiennes, largement inspirées de l'Ancien et du Nouveau Testament, sont à l'origine des principes fondateurs et fédérateurs de notre société, «d'un océan à l'autre». Dans le contexte d'une diversité de plus en plus importante de croyances, elles constituent également un appel à l'ouverture et au dialogue dans le respect des traditions fondatrices de chaque groupe religieux. Érigées en contexte de chrétienté, nos chapelles militaires se présentent aujourd'hui comme des lieux de rencontres et de croissance personnelle, des espaces sacrés où l'expérience spirituelle de chacun peut être accueillie et appréciée à sa juste valeur dans un climat d'ouverture et de respect.

2. Nos chapelles: des lieux de grâce.

L'évangile de ce matin est particulièrement éclairant pour nous. Jésus a résolument pris la route de Jérusalem. Une foule de partisans l'accompagne vers ce qu'ils croient être son triomphe. Ils ont oublié le renversement que Jésus a proposé: Le plus grand est celui qui sert. Sur la route, à la sortie de Jéricho, se tient un aveugle qui va reconnaître la vraie nature de Jésus: «Fils de David, aie pitié de moi!» Son cri témoigne qu'il peut voir les vraies choses. Il révèle la cécité de la foule et des disciples qui attendent la prise de pouvoir du Fils de David! Voici que Jésus s'approche: «Que veux-tu que je fasse pour toi?» Entendez-vous le cœur de Dieu qui se fait attentif aux désirs et aux besoins de l'humain?

Cet aveugle au bord du chemin, c'est vous, c'est moi. Ce sont tous ces militaires qui depuis cinquante ans ont été accueillis dans cette chapelle mais aussi par le ministère de toute une succession d'aumôniers d'unité, prêtres ou agents de pastorale. Ce sont tous les membres des familles de militaires qui ont tendu leurs bras ou leurs mains vers Dieu en criant leurs inquiétudes ou leurs souffrances.

«Je suis la lumière du monde» dira Jésus avant de guérir un autre aveugle à Jérusalem. Il faut nous demander si la bonne nouvelle de Jésus Christ peut encore être une lumière pour les hommes, les femmes et les enfants de notre temps? À Jéricho, Jésus a mobilisé toute une foule qui s'était au départ montrée indifférente afin d'encourager Bartimée. C'est encore elle, aujourd'hui, non pas après cinquante ans, mais après deux mille ans, qui continue de crier «Courage, lève-toi! Il t'appelle!» C'est ce cri qui doit retentir sans cesse dans chacune de nos chapelles lorsque de jeunes militaires viennent s'engager dans le sacrement du mariage, présenter leur enfant à Dieu pour le baptême ou encore lorsqu'ils viennent célébrer les funérailles d'un compagnon d'arme. C'est un appel semblable qui s'élève lorsque des enfants ou des conjoints inquiets viennent implorer la protection divine pour un membre de leur famille déployé en zone de conflit, comme c'est le cas en Afghanistan présentement.

Oui, frères et sœurs, nos chapelles militaires ne sont pas des édifices publics comme les autres, ce sont des lieux de rencontre et d'humanisation où peut retentir l'appel de Jésus: «Courage, lève-toi!». Ce sont aussi des lieux de divinisation où celui ou celle qui accepte de reconnaître sa cécité peut trouver la lumière. «L'année de la faveur du Seigneur», le vrai Jubilé, ne commence plus lorsque retentit la corne de chèvre des temps bibliques, mais lorsqu'est proclamée la parole du Maître qui s'adresse à chacun de nous: «Va, ta foi t'a sauvé»!

Amen


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