L'étude de Joëlle Quérin critiquée

(archives)
Prenez note que cet article publié en 2009 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des professeurs d'université qui ont participé à l'élaboration du programme nient toute velléité d'endoctrinement en faveur du multiculturalisme. La chef du Parti québécois réclame une commission parlementaire sur le cours.
Dans une lettre publiée mercredi dans le quotidien Le Devoir, un groupe de professeurs d'université qui ont participé à l'élaboration du programme d'éthique et de culture religieuse (ECR) attaque la thèse selon laquelle il occulte les valeurs québécoises et endoctrine les élèves en faveur du multiculturalisme.
Cette thèse est défendue par la doctorante en sociologie Joëlle Quérin, dans une analyse effectuée pour le compte du Mouvement national des Québécois. Mme Quérin conclut que le programme ECR « abandonne les connaissances pour se consacrer exclusivement à la promotion du multiculturalisme, rebaptisé pluralisme ».
L'affaire avait été vite récupérée par le Parti québécois. Le porte-parole du parti souverainiste en matière d'éducation, Pierre Curzi, a proposé que les cours d'éthique et de culture religieuse soient remplacés par des cours d'histoire abordant notamment le fait religieux.
Or, selon les quatre professeurs qui ont écrit au Devoir, et qui ont participé à la conception du cours ECR, cette analyse est « mal fondée » puisqu'elle repose sur des « prémisses erronées ».
MM. Jean-Marc Larouche, Georges Leroux, Jean-Pierre Proulx et Louis Rousseau - qui enseignent respectivement la sociologie, la philosophie, les sciences de l'éducation et les sciences de la religion - affirment que Mme Quérin, « une étudiante appartenant à l'Institut de recherche sur le Québec (IRQ), un think thank nationaliste proche du Mouvement national des Québecois », assimile le pluralisme au multiculturalisme avec une « facilité déconcertante ».
Le but de la manoeuvre, disent-ils, est clair. « En accolant au pluralisme, un fait de la société tout autant qu'une attitude impliquant le respect de la diversité, l'étiquette de "multiculturalisme", on diabolise la philosophie politique de ce qu'on cherche à discréditer. Affirmer que le programme ECR est "multiculturaliste", c'est en effet le déclarer au service de l'idéologie "canadian", le dénoncer comme "chartiste" et « trudeauiste" ».
Cette conclusion, soutiennent les quatre professeurs, fait fi de l'intention réelle du législateur. « Contre le multiculturalisme qui soutient la promotion de la différence pour elle-même, le nouveau programme promeut la construction commune d'un "vivre-ensemble" au sein d'une culture partagée. »
Au nom de quoi, on peut se le demander, la pensée nationale devrait-elle s'inquiéter de la promotion du dialogue et de la construction de la culture commune? Au nom de quoi devrait-on abolir, dans un monde menacé de tous côtés par des réflexes de fermeture, une éducation au pluralisme ouverte sur la diversité et d'abord soucieuse du vivre-ensemble?
Ils ajoutent que l'argument selon lequel le programme occulte le patrimoine religieux du Québec est faux. Le ministère de l'Éducation, disent-ils, affirme clairement que l'enseignement doit privilégier les traditions religieuses qui ont contribué à façonner l'histoire et la culture québécoise. Ainsi, le christianisme, religion majoritaire, est abordé à chaque nouvelle étape de la démarche, contrairement aux autres traditions d'arrivée plus récente.
Le quotidien La Presse publie aussi un texte du professeur de philosophie et directeur de l'Institut d'éthique appliquée Luc Bégin qui pourfend la démarche « biaisée » de Mme Quérin. Son étude, dit-il, est dénuée d'arguments solides et « tient davantage du pamphlet que de l'analyse universitaire sérieuse ».
M. Bégin, qui a aussi agi à titre d'expert-conseil pour le programme ECR auprès du ministère de l'Éducation, dément lui aussi la « confusion remarquable » entre pluralisme et multiculturalisme qui transpire de l'analyse de Mme Quérin.

Pierre Curzi (archives)
À l'instar de M. Bégin, les quatre auteurs de la lettre envoyée au Devoir déplorent que M. Curzi ait acheté les conclusions de cette étude.
« Il serait très malheureux que le parti souverainiste, qui a toujours promu les finalités citoyennes du programme ECR et soutenu la laïcité scolaire, fasse désormais profession de fermeture et se rapproche ainsi dangereusement des positions adéquistes. »
La chef péquiste a infirmé les informations publiées par Le Devoir suivant lesquelles elle avait retiré à Pierre Curzi le dossier du programme ECR.
« Pierre Curzi partage la même vision et les mêmes préoccupations que moi en ce qui a trait à ce cours. Il a ma pleine confiance et demeure mon porte-parole dans ce dossier », indique-t-elle.
Marois veut une commission parlementaire.
Pauline Marois estime cependant qu'une commission sur le programme ECR dès la rentrée parlementaire s'impose. Celle-ci, fait-elle valoir, permettrait de s'assurer qu'il respecte certains principes de base, soit la transmission des connaissances sur l'histoire des religions et qu'une place prépondérante soit accordée à nos réalités historiques ».
Cette commission, estime Mme Marois, devrait proposer des correctifs, si cela s'avère nécessaire. Elle tient par ailleurs à rappeler n'avoir jamais remis en question le bien-fondé du programme.
« Je tiens à rappeler que nous sommes en accord avec le principe de ce cours puisqu'il s'agit de la conclusion d'un long processus de déconfessionnalisation des écoles entrepris par le Parti québécois en 1998. Cependant, nous avons des réserves à la suite de la publication d'analyses qui semblent indiquer que le cours dévie de ses objectifs initiaux », écrit Mme Marois.
Le Devoir affirme que M. Leroux a écrit directement à M. Curzi en fin de semaine pour l'exhorter de rencontrer « des personnes qui connaissent ce dossier, comme Jean-Pierre Proulx, Louis Rousseau, Pierre Lucier ou moi-même ». M. Leroux précise dans sa lettre que l'IRQ « n'a d'institut que le nom, comme vous pourrez aisément le vérifier. »
Interrogée par le quotidien, Mme Quérin se serait montrée étonnée d'être critiquée par des « apôtres du dialogue ». Elle soutient que la « vraie question » est de savoir si le cours ECR vise d'abord à transmettre des connaissances ou à initier des élèves à la pratique des accommodements raisonnables.
Les quatre professeurs ne sont pas les seuls à réagir à la polémique lancée par Mme Quérin. Un homme qui enseigne le cours ECR, Fabien Torres, se dit également consterné par ses conclusions. Il rappelle lui aussi que le programme du ministère met davantage l'accent sur le christianisme que sur l'islam, le bouddhisme et l'hindouisme et déplore que Mme Quérin n'ait pas pris la peine d'assister à des cours pour vérifier ses conclusions.
Un porte-parole de la Coalition pour la liberté en éducation en Haute-Yamaska, Patrice Gagnon, achète toutefois les conclusions de Mme Quérin. Il soutient qu'un moratoire doit être décrété et que le programme ECR doit être aboli, où à tout le moins devenir optionnel.