Des pertes colossales pour l'État

Photo : Jean-Philippe Robillard
Prenez note que cet article publié en 2009 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Ottawa estime maintenant à 2 milliards de dollars les pertes encourues sur la vente des produits du tabac sur lesquelles aucun droit de taxe n'a été payé.
La contrebande du tabac est en pleine expansion. Les manufactures de tabac se multiplient dans les réserves autochtones. La police constate que le crime organisé s'y est infiltré et admet qu'elle n'a pas le contrôle de la situation, comme le montre une enquête de Radio-Canada.
Au Québec et en Ontario, on compte plus de 300 petits commerces de cigarettes dans les réserves autochtones, dont la moitié sur les territoires mohawks près de Montréal, selon la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Un marché florissant, en pleine expansion depuis 2001, depuis que les taxes sur les produits du tabac ont commencé à augmenter.
Dans le village de Kanesatake, près de Montréal, on compte une trentaine de cabanes où on peut se procurer des cigarettes amérindiennes à bas prix, sans débourser de taxes, donc illégalement aux yeux des gouvernements.
J'ai peut-être une vingtaine de marques qui viennent de trois différentes communautés. On se fournit plus ou moins tous à la même place. Donc ça vient des différentes réserves. Kahnawake, Akwesasne. Six nations. Différentes places.

(archives)
Photo : Gendarmerie royale du Canada
Les acheteurs de tabac de contrebande viennent y trouver des aubaines. Monique affirme économiser ainsi plus de 2000 $ par année. « C'est ma façon à moi de protester contre l'impôt que je trouve épouvantable », dit-elle.
À Kahnawake et à Kanesatake, deux territoires mohawks près de Montréal, l'industrie du tabac est même devenue le principal employeur. À Kahnawake, au moins 1000 personnes travaillent à la production, la distribution et la vente du tabac.
Cette industrie parallèle fait perdre deux milliards de dollars par année aux gouvernements, selon le ministre du Revenu du Canada, Jean-Pierre Blackburn.
Il y a un attrait pour les gens de dire: ça coûte tellement pas cher, je vais acheter de la cigarette de contrebande. Sauf que, si vous faites ça, vous encouragez le crime organisé parce qu'on sait que ce sont les gens du crime organisé qui sont derrière tout ça.
Mais ce que ne dit pas le ministre Blackburn, c'est qu'une partie des manufactures de tabac qu'on retrouve dans les réserves ont obtenu un permis du gouvernement fédéral pour fonctionner en toute légalité. Ces manufactures alimentent la contrebande que tente d'enrayer le gouvernement. Une situation que le ministre promet de corriger.
La plupart des usines de tabac fonctionnent toutefois sans permis. À Kahnawake, il y en a au moins huit; à Akwesasne, près de Cornwall, une dizaine.
L'industrie est devenue aujourd'hui le moteur économique de plusieurs communautés autochtones. D'après le grand chef de Kahnawake, Mike Delisle, plus de 10 % des membres de sa communauté y travaillent.
Pour le commerçant Serge Simon, il n'est pas question de renoncer à ces revenus.
On fait de l'argent pour la première fois de notre histoire. On est capable de se procurer des véhicules, des électroménagers, on répare nos maisons, on achète beaucoup de choses. Depuis 5 ans, j'ai donné près de 40 000 $ de mon argent envers les aînés, les individus de ma communauté. J'ai aidé à refaire les toits de deux maisons de ma poche. Ça, c'est des dépenses que le gouvernement n'aura pas à distribuer à ma communauté.
Le crime organisé s'en mêle
L'engouement pour le tabac amérindien est tel que le tiers des cigarettes fumées au Canada proviennent de la contrebande et sont achetées dans des réserves autochtones. Ce commerce lucratif est infiltré par le crime organisé.
Ce qui nous cause un problème, ce sont des organisations criminelles qui utilisent des manufactures illicites pour blanchir leur argent de drogues et qui vendent des cigarettes au public pour faire de l'argent. Ils ont des profits énormes. Selon nos enquêtes, un dirigeant peut gagner jusqu'à 250 000 $ par semaine.
Les manufactures qui alimentent la contrebande fabriquent de plus en plus de cigarettes. Il y a 10 fois plus d'usines de tabac qu'il y a 10 ans sur le territoire mohawk d'Akwesasne, du côté américain. Ces manufactures, qui fonctionnent illégalement, peuvent produire jusqu'à 50 millions de cartouches de cigarettes par année, selon le sergent Michael Harvey.
La police semble impuissante face à ce phénomène. L'an dernier, les policiers n'ont réussi à saisir que 2 % de toutes les cigarettes de contrebande destinées au marché canadien.
On a tenté de faire fermer deux usines et le lendemain, un autre groupe criminel a repris les activités. Présentement, c'est hors de contrôle.
D'après la Gendarmerie royale du Canada, 105 organisations criminelles ont infiltré l'industrie autochtone du tabac et tirent actuellement des profits énormes de ce commerce.

Photo : Gendarmerie royale du Canada
Même des Mohawks comme Serge Simon et le chef Mike Delisle admettent maintenant que des organisations criminelles sont impliquées dans leur commerce du tabac, même s'ils soutiennent que ce n'est pas généralisé.
Le ministre Blackburn propose peu de solutions pour enrayer la contrebande, sinon le fait de resserrer l'octroi des permis, et de cibler davantage les fumeurs qui vont acheter du tabac sur les territoires autochtones.
Quant aux autorités mohawks, elles demandent au gouvernement fédéral des pouvoirs pour réglementer elles-mêmes leur industrie du tabac, et en chasser les organisations criminelles.