Collusion et corruption dans l'industrie de la construction
Prenez note que cet article publié en 2011 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le rapport secret de l'Unité anticollusion du Québec, obtenu par Radio-Canada, dresse un portrait accablant pour le ministère des Transports des pratiques immorales, voire illégales, d'acteurs de l'industrie des travaux routiers et établit un lien direct entre l'industrie et le financement occulte des partis politiques.
Fruit d'un an et demi d'enquête sur le terrain, le rapport confirme l'implication du crime organisé dans l'industrie de la construction et parle d'une « banalisation du gonflement des estimations par certaines firmes de génie-conseil et des dépassements de coût par certains entrepreneurs ».
Selon l'Unité anticollusion, des ingénieurs de firmes de génie-conseil, mais aussi des employés du ministère, favorisent des entrepreneurs en leur fournissant des informations privilégiées. Ils leur indiqueraient, par exemple, qu'un contrat où l'on prévoit 1000 chargements de terre contaminée n'en nécessitera véritablement qu'une centaine.
Si la tendance dans le milieu est actuellement à la soumission en bas du prix de l'estimation, c'est que les entrepreneurs vont chercher plus d'argent plus tard, grâce à ce que l'on appelle familièrement « les extras ». Certaines compagnies comptent d'ailleurs parmi leurs employés des « spécialistes des extras ». Ceux-ci peuvent empocher des commissions personnelles de 10 % pour tout ce qu'ils arrivent à faire payer en surplus au ministère des Transports (MTQ).
L'enquête souligne la mollesse et le laxisme du ministère. Lorsque le MTQ conteste les réclamations des entrepreneurs, ceux-ci poursuivent au civil en sachant que le MTQ a l'habitude de régler l'affaire à l'amiable. Le rapport note aussi qu'il n'y a « aucune enquête approfondie sur le bien-fondé des réclamations. »
Financement occulte des partis politiques
Le rapport de l'Unité anticollusion établit un lien direct entre l'industrie des travaux routiers et le financement occulte des partis politiques. Les enquêteurs ont recueilli des témoignages troublants et parlent carrément de « trafic d'influence ».
S'il devait y avoir une intensification du trafic d'influence dans la sphère politique, on ne parlerait plus simplement d'activités criminelles marginales, ni même parallèles : on pourrait soupçonner une infiltration voire une prise de contrôle de certaines fonctions de l'État ou des municipalités.
Selon le témoignage d'un ex-conseiller politique, les partis cognent toujours à la porte des grandes firmes de génie-conseil et de construction. « Du coup, à travers les professionnels du financement, les politiciens encouragent la déviance [...] Dans les faits, ils savent très bien qu'une entreprise a contribué plus de 100 000 $ à leur caisse électorale et que c'est pour cette raison [...] que les gens de la construction ont si facilement accès aux décideurs », explique cet ex-conseiller politique.
Plus troublant encore, un ingénieur qui a travaillé pour quelques firmes précise comment le stratagème des extras est intimement lié au financement politique.
« Le truc est le suivant, c'est l'entrepreneur qui facilite le tour de passe, mais c'est en haut que ça se joue. Mettons que l'ingénieur de la firme chargée de la surveillance [des travaux] doit autoriser un extra de 100 000 $ [...] Il trouve le moyen d'aller chercher le double auprès du MTQ. Il y a donc un 100 000 $ blanchi à se partager : la firme [de génie-conseil] pourra l'utiliser pour contribuer à des caisses électorales et l'entrepreneur, pour payer ses travailleurs au noir », a-t-il dit, selon le rapport.
Le rapport ne donne ni le nom des entreprises, ni le nom des personnes en cause, puisque son mandat est de nature préventive seulement.