Demjanjuk reconnu coupable, condamné puis... libéré

John Demjanjuk, à son arrivée au tribunal de Munich, jeudi.
Photo : La Presse canadienne / AP/Matthias Schrader
Prenez note que cet article publié en 2011 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
John Demjanjuk, condamné à cinq ans de prison jeudi par un tribunal allemand qui l'a reconnu coupable d'avoir participé au meurtre de 27 900 Juifs au camp d'extermination nazi de Sobibor, en Pologne occupée, sera libéré.
La décision de libérer l'homme de 91 ans, né en Ukraine, a été annoncée par le juge Ralph Alt après qu'il eut rendu le verdict de culpabilité et prononcé la sentence.
Le magistrat a pris en compte, dans sa décision, de l'âge du condamné, du fait qu'il ne présente aucun risque et de son incapacité de sortir du pays puisqu'il n'a pas de document d'identité [NDRL : il a été dépouillé de sa citoyenneté américaine].
Le juge a souligné qu'il peut s'écouler plusieurs mois avant que le verdict devienne définitif, période durant laquelle Demjanjuk peut faire appel. Les avocats de ce dernier ont d'ailleurs déjà annoncé qu'ils porteraient la décision en appel.
« Il va quitter la prison aujourd'hui », a précisé à l'AFP Margarete Nötzel, porte-parole du tribunal.
Demjanjuk, qui a assisté aux 18 mois de procédures dans un fauteuil roulant, est demeuré impassible lorsque le juge a lu le verdict de culpabilité et prononcé la sentence. Il avait décliné une dernière occasion de s'adresser à la cour.
Sa famille a soutenu au cours du procès qu'il était trop fragile pour subir son procès. Demjanjuk souffre d'une maladie de la moelle osseuse. D'autres voix soutiennent cependant qu'il est parfaitement conscient de ce qui se passe autour de lui.
L'homme n'en a peut-être pas fini avec la justice, puisque des procédures judiciaires sont toujours en cours aux États-Unis, où il a passé l'essentiel de sa vie adulte, et d'où il a été expulsé en 2009, après une longue bataille judiciaire.
Le tribunal convaincu de la culpabilité de Demjanjuk
Plus tôt dans la journée, le juge Alt avait déclaré Demjanjuk coupable :« la cour est convaincue que l'accusé [...] a travaillé comme gardien à Sobibor du 27 mars 1943 à la mi-septembre 1943 ». Demjanjuk, a dit le juge Alt, faisait partie de la « machine de destruction » des nazis.
Le procès de Demjanjuk avait ceci de particulier que la cour ne disposait d'aucune preuve directe d'un quelconque crime. La poursuite basait sa cause sur le fait que Demjanjuk était garde à Sobibor, et qu'il avait conséquemment participé aux crimes qui y ont été commis. Une première pour la justice allemande.
Le nonagénaire a toujours plaidé avoir été lui-même victime des nazis. Capturé par les Allemands en 1942 alors qu'il servait dans l'armée soviétique, Demjanjuk soutient qu'il a été transféré d'un camp de prisonniers à l'autre jusqu'à la fin de la guerre.
Les procureurs soutenaient plutôt qu'il avait été recruté comme garde alors qu'il était dans un de ces camps, et qu'il avait été transféré au camp SS de Trawniki, dans le sud-est de la Pologne, avant de partir pour Sobibor.
C'est cette version qui a prévalu, sur la foi d'une carte d'identité nazie émise à Trawniki au nom d'un Ukrainien nommé Ivan Demjanjuk, sur laquelle apparaît la photo en noir et blanc d'un jeune homme lui ressemblant. La carte mentionne son transfert à Sobibor en 1943.
Les avocats de Demjanjuk ont plaidé que la carte était fausse, et qu'elle avait été fabriquée par le KGB. Les experts entendus par le tribunal ont néanmoins conclu que la carte était authentique.
Des doutes persistants
Des documents obtenus par Associated Press au début de la semaine révèlent que le FBI a également entretenu des doutes sur l'authenticité de cette carte, bien qu'il ne l'ait jamais eue entre les mains.

Photo de la carte nazie qui a servi d'élément de preuve dans le procès de Demjanjuk comprend des éléments de doutes, tel qu'éditée par le département américain de la Justice en 2002. La photo soulève un doute quant au l'authenticité du tampon.
Photo : La Presse canadienne / AP/Département de la justice
Un rapport du bureau du FBI de Cleveland, produit en 1985, conclut que « la justice est desservie par la mise en accusation d'un citoyen américain sur la foi d'un élément de preuve qui n'est pas seulement inadmissible en temps normal devant une cour de justice, mais aussi à partir d'une preuve et d'allégations vraisemblablement fabriquées par le KGB ».
Cette révélation est à l'origine d'une nouvelle démarche judiciaire. Un juge de Cleveland a décidé, mardi, d'assigner un avocat pour représenter M. Demjanjuk dans cette affaire.
L'an dernier, le chasseur de nazis français Serge Klarsfeld avait minimisé l'importance de ce procès. Il soutenait que Demjanjuk faisait partie de la « piétaille du crime » et qu'il « serait mort de faim en camp de prisonniers » s'il avait refusé de servir dans un camp de la mort.
La culpabilité de John Demjanjuk ne fait cependant aucun doute pour le Centre Simon-Wiesenthal, qui a déjà placé Demjanjuk en tête de liste des criminels de guerre nazis les plus recherchés sur la planète. Le principal chasseur de nazis du centre, Efraim Zuroff, a parlé d'« une victoire très importante pour la justice ».
Avec les informations de Agence France-Presse, Associated Press et Reuters