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Folie et créativité

La créativité scientifique, artistique ou technique nous distingue des autres animaux sur la planète. Elle est un peu responsable de notre succès comme espèce. En période de création, que se passe-t-il exactement dans notre cerveau?

Les étapes de la création

Dans son studio, l'artiste commence par accumuler de nouvelles idées, de nouvelles sensations. C'est la première étape cognitive de la création: la préparation. Suit ensuite une période d'incubation, où les informations s'organisent de manière subconsciente. Ensuite, vient l'essence même de la création: des idées, souvent contradictoires ou opposées, s'unissent pour former une nouvelle mélodie, une découverte musicale. C'est la troisième étape de la création: l'illumination. Finalement, vient la période de confirmation. L'artiste prend le temps de vérifier et de communiquer sa découverte aux autres, à son public.

Si les psychologues proposent ces quatre étapes, la science n'est pas arrivée à percer complètement le mystère: la façon précise dont fonctionne le cerveau durant la création.

Il y a un mythe populaire selon lequel il faut frôler la folie pour créer. «C'est une idée fausse, parce qu'en général, il y a énormément de souffrance dans la maladie mentale. Est-ce que parfois la souffrance nous permet d'atteindre un seuil dans le processus créatif et [c'est] ce qui nous fait créer plus à ce moment-là? C'est possible, mais on n'a pas besoin d'être complètement souffrant et très malade pour créer», estime le Dr Emmanuel Stip, psychiatre au Centre de recherche Fernand-Seguin.


Le Dr Emmanuel Stip est psychiatre, mais également artiste-photographe. Il porte donc beaucoup d'intérêt au processus créatif chez les malades mentaux. Selon lui, un faible pourcentage de malades mentaux sont en mesure de créer: de 10 à 15 %. Leurs carences sont trop importantes.

Un des patients du docteur Stip est atteint de schizophrénie. Son univers artistique est peuplé de personnages macabres. La mort et la sexualité y sont omniprésentes. La schizophrénie de Vincent est aujourd'hui sous contrôle grâce à des médicaments antipsychotiques. Mais selon le docteur Stip, la créativité de Vincent est malgré tout handicapée. L'étape de la préparation se limite beaucoup à ses fantasmes: «Il est capable de nous dessiner la mort de façon très, très précise. Là est son potentiel créateur. Ce qui est [pour lui] plus difficile, c'est d'organiser sa pensée de façon à ce qu'elle puisse sortir de ses catacombes, se mémoriser. Ce qu'il faut pour faire le geste artistique, la création.»

L'équipe du Dr Stip a examiné l'activation du cerveau chez plusieurs schizophrènes. Chez les personnes normales, le traitement des émotions se fait dans le lobe frontal. Chez les schizophrènes, ce sont plutôt des régions plus primitives, celles du système limbique, qui s'activent. Résultat: ils n'arrivent pas à ressentir les émotions. Par contre, lorsqu'ils prennent des médicaments antipsychotiques, le lobe frontal se remet à traiter les émotions. Et c'est le lobe frontal qui est normalement sollicité lors de la création, particulièrement lors de la phase de l'illumination, le moment-clé de la création.

L'équipe de Découverte a rencontré d'autres artistes: les Impatients, un regroupement montréalais d'environ 150 personnes souffrant de diverses maladies mentales. Selon le docteur Stip, les personnes souffrant de maniacodépression ont souvent des carences dans les quatre étapes de la création. Pour certaines, comme Louise, la première étape, la préparation, semble incomplète. Celle-ci dit s'inspirer à peine du monde extérieur. Pour elle, la création permet d'exprimer «des choses qu'habituellement on n'est pas capable de dire». L'incubation des ses idées et la création qui en résulte se limitent également à son monde intérieur.

Souvent, la dernière étape de la création, la confirmation de la découverte artistique, est également absente. C'est le cas de Gaétane, qui souffre aussi de dépression chronique. Elle dit ne pas accorder d'importance au fait qu'on voit ou non ses œuvres.

Mais que dire des grands créateurs qui ont souffert de maladie mentale? Prenons des musiciens comme Shumann et Tchaïkovski, ou encore des écrivains comme Tolstoï et Hemingway. Des grands peintres comme Michel-Ange et Van Gogh. De façon surprenante, la dépression et la schizophrénie peuvent, pour certaines personnes très talentueuses, devenir une source de créativité. Dans la maniacodépression, par exemple, les quatre étapes de la création peuvent parfois être présentes, mais de façon exagérée. «La maniacodépression, dans l'absence de limites, permet d'avoir accès à un monde qui génère de la création. En même temps, quand nous sommes très mélancoliques, nous allons dans des choses épouvantables, très mortifères et très souffrantes, mais c'est un accès à ce monde-là. Dans le dépassement des limites, la maniacodépression est un bon modèle.» - Dr Emmanuel Stip, psychiatre, Centre de recherche Fernand-Seguin


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