Les comptines font partie de l'univers musical des bébés. Récemment, des chercheurs de l'Université
McGill ont découvert que les bébés âgés d'à peine 8 mois peuvent percevoir une musique aussi complexe
que le Tombeau de Couperin, de Maurice Ravel! Cette découverte sur la perception musicale fine des
bébés s'ajoute à une autre sur leur capacité de décoder le langage. Il semble que l'apprentissage
d'une langue, chez un bébé de 8 mois, passerait d'abord par la musicalité de cette langue.
La jeune Laurianne et sa mère, Martine Gagnon, n'échappent pas au phénomène Annie Brocoli. Cette
auteure-compositrice-interprète captive les enfants. À 8 mois, Laurianne est déjà fascinée par sa
musique accrocheuse, qui utilise des rimes et exploite la musicalité du langage, même si cette
musique est relativement plus complexe que celle des comptines destinées aux bébés. Mais si un bébé
de 8 mois peut apprécier la musique d'Annie Brocoli, peut-il percevoir une musique beaucoup plus
complexe?
Linda Polka, psychologue à l'Université McGill, a voulu savoir si un bébé de 8 mois pouvait
reconnaître cette musique de Ravel. Pour ce faire, elle a recruté 140 bébés, dont la petite Marion.
La mère de Marion, Nathalie Towaricka, lui a fait écouter l'extrait du Tombeau de Couperin
pendant 10 jours. Au fil des activités quotidiennes, Marion s'est familiarisée avec cette musique
complexe. Puis, plus de Ravel pendant deux semaines. Est-ce que Marion allait se souvenir de la pièce?
Pour le savoir, Marion a participé à une expérience astucieuse. Pour attirer son attention sur la
musique, on a utilisé un jeu de lumière. Derrière cette lumière, on lui a fait entendre une musique.
On l'a éteinte et on a mesuré son temps d'écoute. Lorsque la pièce de Ravel est jouée, Marion - comme
tous les bébés qui ont participé à l'étude - écoute beaucoup plus longtemps. En fait, tous les bébés
ont passé 20 % plus de temps sur le morceau de Ravel que sur des pièces qu'ils n'avaient jamais
entendues. "Les bébés ont clairement démontré une préférence, prétend Linda Polka. Presque tous
les bébés exposés ont eu une préférence pour la musique qu'ils avaient entendue à la maison."
Mais ces bébés perçoivent-ils toutes les nuances mélodiques, harmoniques et rythmiques de la même
façon qu'un adulte? Difficile à dire, mais une chose semble certaine: la mémoire qu'ils en ont est
très spécifique. «Présentez à un bébé une pièce qu'il est en mesure de se rappeler après deux
semaines. Si vous jouez cette même pièce, mais que vous changez le tempo ou que vous changez
d'instrument, la mémoire de l'enfant sera perturbée. La mémoire semble très spécifique et est
facilement perturbée si on modifie un contexte», précise la psychologue.
Au même âge, c'est-à-dire à 8 mois, les bébés commencent à percevoir le langage. La professeure
Polka a donc voulu savoir quel lien il pourrait bien y avoir entre le langage et la musique chez
ces bébés. En laboratoire, elle a utilisé la même astuce que pour la musique de Ravel, mais cette
fois-ci avec des phrases. Résultat: à cet âge, les bébés décodent d'abord la musicalité d'une
langue, son rythme. «Nos travaux sur le langage suggèrent qu'un mot est d'abord et avant tout une
structure rythmique pour le bébé. Éventuellement, le mot prendra d'autres niveaux de structure,
pour finalement devenir significatif. Mais initialement, lorsque les bébés écoutent un mot, ce
dernier n'est qu'une structure rythmique.»
En Anglais, plusieurs mots clés ont des variations dans l'intonation des syllabes qui donnent un
rythme particulier à la langue. Par exemple, on dit en anglais: «Peter visits the kitchen», en
mettant un accent sur la première syllabe des mots principaux. En français, la rythmique est
différente. On dira: «Pierre visite la cuisine.» En français, chaque syllabe est prononcée avec la
même intonation, sauf pour la dernière syllabe de la phrase. Il y a donc un lien entre l'apprentissage
du langage et de la musique. Le rythme en est la clé. Selon Linda Polka, c'est d'ailleurs ce qui
fait le succès de la musique d'Annie Brocoli, qui offre un large éventail en ce qui a trait au
vocabulaire.
Exposer les tout-petits à autre chose que des comptines pourrait donc contribuer au développement du
langage et de la musicalité. «Le rôle de la musique dans les étapes initiales du développement varie
énormément d'une culture à une autre. Pour moi, une des plus importantes implications de notre
recherche est qu'il n'y a pas de bonnes raisons de restreindre un enfant en bas âge à des
spécificités culturelles ou à des goûts individuels. Si c'est quelque chose que les parents aiment,
ils devraient le partager avec leur enfant», conclut la psychologue.
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