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REPORTAGE
— 2004-04-06

BISEXUALITÉ:
LE DERNIER TABOU

«Pour moi, être bisexuelle, c'est aussi simple que, je suis capable d'être attirée par un homme ou par une femme, mais ça s'arrête là, c'est simple comme ça.»
- Émilie


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Qu'ont en commun Madonna et Britney Spears, les «lofteuses» et Élizabeth du téléroman Le monde de Charlotte? Ce sont des hétérosexuelles qui ont embrassé langoureusement des femmes. La bisexualité serait-elle devenue une mode chez les femmes? Au-delà de cette tendance, pas si simple, la vie de ceux et celles qui peuvent aimer les hommes et les femmes. Jacques est bisexuel, mais il vit seul. Dany est toujours amoureuse de son mari, mais elle est devenue amoureuse de Myriam.

Madonna et Britney Spears qui s'embrassent lors d'un gala télévisé, c'est un gros coup de marketing. Et si les deux stars ont choisi de faire parler d'elles de cette manière, ce n'est pas un hasard. En effet, il y a une véritable tendance à afficher des comportements bisexuels chez les femmes. Dans la publicité, ce courant est si fort qu'il porte un nom, le «Lesbian Chic». Le sujet de la bisexualité est même abordé à la une de revues de mode pour adolescentes.

Au Québec, lors d'une émission de télé-réalité, des millions de personnes ont regardé des jeunes femmes, se définissant d'abord comme hétérosexuelles, s'embrasser passionnément. Dans le téléroman Le monde de Charlotte, une des héroïnes, hétérosexuelle, est devenue amoureuse d'une femme l'espace d'une saison. Une tendance forte, donc, à montrer la bisexualité, mais seulement chez les femmes, car elle est plutôt vue comme choquante chez les hommes.


«La bisexualité qu'on voit, c'est la bisexualité féminine, parce que ça excite l'homme, et parce que c'est vendeur.»
- Émilie

Les jeunes que l'équipe d'Enjeux a réunis gravitent autour d'une association de bisexuels de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Le phénomène Madonna-Britney Spears les agace. Émilie est choquée par cette exploitation de la bisexualité: «Ça me choque parce que de toutes façons, ce qu'on nous montre, c'est toujours les femmes. C'est comme si, finalement, la femme continuait d'être un objet sexuel juste pour exciter l'homme.»

«J'ai peur que la bisexualité soit mal comprise.»
- Caroline

«Ça me choque beaucoup que des femmes s'embrassent dans les bars juste pour "teaser" les gars, tandis que moi je vis une vie réelle.»
- Patricia

 

Comment expliquer cette nouvelle tendance à la bisexualité? Selon certains, c'est un effet de mode, alors que pour d'autres, il s'agirait plutôt d'un phénomène de génération, génération qui refuserait de se définir comme hétérosexuelle ou homosexuelle. Ainsi, selon la sociologue Diane Pacom, il ne faut pas voir la bisexualité comme un phénomène de nature purement sexuelle: «Pour moi, la bisexualité, […] c'est un phénomène identitaire, c'est-à-dire que c'est quelqu'un qui défie l'étiquetage et qui se donne la possibilité de s'inventer et de se réinventer sans cesse.»

«Pour moi, être bisexuelle, c'est être capable d'être attirée par un homme ou par une femme, c'est aussi simple que ça, mais ça s'arrête là.»
- Émilie

Diane Pacom croit aussi que la société dans laquelle on vit et les valeurs véhiculées y sont pour quelque chose : «C'est une génération qui vit beaucoup dans l'éphémère, ce sont des gens qui ne s'engagent pas. Il faut dire qu'ils vivent aussi dans la précarité. Et ils ont assimilé, si vous voulez, toutes les défaites de la génération précédente, c'est-à-dire qu'ils savent qu'ils vont se marier, mais pas à vie, ils savent qu'ils vont avoir des jobs, mais que ça va être des jobs qui ne dureront pas. C'est une génération qui a de la difficulté avec les étiquettes fixes

La bisexualité est-elle une simple question d'aventure? Quelques personnes rencontrées affirment que la bisexualité n'est pas, pour eux, une simple question d'aventure, d'expérience ou de «trip» qui passe. Certains avouent toutefois qu'ils devront peut-être se «caser» un jour ou l'autre, choisir entre hétérosexualité ou homosexualité. Une opinion qui n'est cependant pas partagée par tous. Caroline croit au contraire qu'elle sera toujours bisexuelle: «Moi, je suis complètement en désaccord avec ceux qui disent que la bisexualité, c'est quelque chose de simplement sexuel et que ça va passer. C'est un fait en dedans de moi, et je ne peux rien faire contre. Je crois que ça va être en moi toute ma vie

La bisexualité n'est pas un phénomène récent. On sait qu'elle était pratique courante dans la Grèce antique et dans la Rome latine. Au début du dernier siècle, Freud élaborait une théorie selon laquelle chaque être humain était, au départ, bisexuel. La bisexualité n'est donc pas une nouvelle mode, c'est une façon de vivre. Et ce n'est pas nécessairement un choix de vie facile.

À 37 ans, Jacques Benoît a décidé de changer de vie. Il a quitté Montréal pour Sherbrooke. Ingénieur, il est retourné étudier le droit. Et lui qui s'affichait comme homosexuel parle maintenant ouvertement de sa bisexualité, une situation qu'il cachait auparavant.

 

«Le plus difficile, c'était de vivre cette double vie. Avec des gens hétérosexuels, je parlais de mes intérêts envers les femmes […], sans jamais parler de mon côté homosexuel. Je faisais la même chose du côté homosexuel, je parlais de mes expériences avec les hommes. C'est difficile de vivre en niant un peu une partie de soi.»
- Jacques

Comme Jacques, 1,3 % des Québécois se définissent comme bisexuels. Mais il semble que dans les faits, ils sont plus nombreux. Déjà en 1948, une étude du chercheur américain Alfred Kinsey révélait des résultats étonnants: 20 % des 12 000 hommes interrogés admettaient avoir eu des relations sexuelles avec des hommes et avec des femmes. À partir de ces résultats, Kinsey élabore une échelle de 0 à 6, dans laquelle la plupart des gens seraient dans une sorte de bisexualité à degrés variables.

Jacques va chercher des choses différentes chez un homme et chez une femme: «Un homme, c'est une sécurité affective, émotive, c'est comme un partenariat affectif. Une femme, c'est autre chose. Il y a l'aspect physique, mais aussi, avec une femme, je cherche le conformisme social.» Mais tant les femmes que les hommes qu'il rencontre ont de la difficulté à comprendre sa bisexualité. Il affirme que le meilleur moyen de faire fuir les premières est de leur avouer sa bisexualité, alors que les seconds affirment qu'il se dit bisexuel parce qu'il a de la difficulté à accepter son homosexualité.

«Les gens sont très mal à l'aise face à un intérêt ambivalent. Pour moi, c'est très complémentaire. Un homme répondra à certains besoins, et une femme répondra à certains autres besoins.»
- Jacques

Idéalement, Jacques aimerait avoir une relation stable avec une femme qui accepterait qu'il ait, à l'occasion, des aventures avec un homme. Mais pour ses partenaires, hommes ou femmes, le «partage» est très difficile à accepter: «Les gens sont mal à l'aise avec l'ambivalence. Les gens aiment savoir exactement à quoi s'en tenir. Les gens préfèrent l'exclusivité, alors, plus souvent qu'autrement, je suis seul. Et ça, ça fait partie de la souffrance



Vivre à trois?

Quand Dany devient amoureuse d'une collègue de travail, le ciel lui tombe sur la tête. Divorcée, mère de deux grands enfants, elle est mariée depuis deux ans à l'homme qui partage sa vie depuis sept ans. Elle est heureuse en ménage et hétérosexuelle depuis toujours. Elle décide de faire part à sa collègue des sentiments amoureux qui l'habitent, des sentiments qui ne sont pas réciproques. Dany finira par oublier celle-ci, mais pas ses désirs envers les femmes.

Pendant six mois, elle garde le silence et ne dit rien à son entourage. Un jour, elle a une liaison d'une nuit avec une autre femme, mais ça ne la satisfait aucunement, car il manque le sentiment amoureux: «Ça m'a donné quelques réponses personnelles. Oui, je suis capable de faire l'amour avec une femme, comme je suis capable de faire l'amour avec un homme. Sauf qu'il faut, comme avec un homme un sentiment amoureux, il faut un lien, il faut des affinités. Tu ne fais pas ça froidement.»

Dany commence à fréquenter une association de bisexuelles où elle rencontre Myriam. Après une soirée ensemble, Dany décide de passer la nuit chez Myriam. Elle est alors devenue amoureuse: «Oui, je sentais que ça cliquait. Ça clique avec mon mari, mais avec elle, ça clique aussi. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un avec qui j'avais autant d'affinités.»

Quand Myriam rencontre Dany, elle est célibataire depuis deux ans. Adolescente et jeune adulte, Myriam n'aura des relations qu'avec les garçons. Ensuite, à partir de l'âge de 22 ans, elle ne fréquentera que des filles. Pendant 7 ans, elle a vécu de façon exclusivement homosexuelle. Vers la fin de la vingtaine, elle commence à fréquenter un collègue de travail, avec qui elle aura une relation exclusive pendant 7 ans.

Après avoir quitté cet homme, Myriam retourne fréquenter le milieu gai. Depuis, elle se définit comme bisexuelle et s'implique même comme présidente d'une association montréalaise de bisexuels.

Lorsque Dany a annoncé à son mari, Maurice, son amour pour Myriam, celui-ci est resté neutre et calme. Pour lui, il n'y avait pas de problème, en autant qu'il n'était pas exclu de la nouvelle relation entre Dany et Myriam: «Pour moi, et c'est ce dont j'ai fait part à Dany à cette époque, c'est que si c'était quelque chose qu'on faisait ensemble, qu'on faisait en couple, ça ne menaçait pas notre couple. Pour moi, ça devenait une activité de couple, si l'on veut. […] Je ne voulais pas être exclu de la situation.» Toutefois, Dany voyait les choses bien différemment. Pour elle, il n'était absolument pas question de vivre cette nouvelle relation à trois, mais en parallèle.

Maurice avoue être sexuellement comblé, mais au niveau affectif, c'est une autre paire de manches:

«Affectivement, c'est là qu'est le manque, c'est là qu'est le vide à cause de l'affection que Dany porte à Myriam.»
- Maurice

C'est avant tout pour sauver sa relation avec Dany, par amour pour elle, que Maurice dit avoir accepté sa bisexualité. Si une amitié s'est développée entre les trois au fil du temps, Maurice admet que ce n'est pas toujours facile: «Myriam, pour Dany, c'est comme son coup de foudre, tandis que moi et Dany, on est un vieux couple. Ce n'est pas vraiment de la compétition, mais c'est quand même une compétition entre le coup de foudre et le vieux couple.» Il croit que les choses vont finir par s'arranger, que ça deviendra plus agréable, et il dit travailler pour que ce soit plus facile.

En tout cas, Dany, elle, dit avoir présentement le meilleur des deux mondes et ne pas regretter d'avoir pris un risque: «Je ne suis pas aux hommes, je ne suis pas aux femmes, je suis aux individus, et être aux individus, c'est extraordinaire, tu n'as pas à rentrer dans un cadre, dans un moule, et c'est drôle, depuis que je vis ça, je ne veux pas en sortir. Ça se peut qu'une des deux relations arrête malgré elle, malgré moi, c'est le risque. […] Ça vaut la peine, parce que je vis pleinement ma vie

La plupart des bisexuels n'affichent pas leur double désir publiquement. C'est qu'en s'affranchissant des étiquettes, les bisexuels dérangent. Hétérosexuels et homosexuels sont mal à l'aise avec l'ambivalence. On croit les bisexuels instables, ils veulent être simplement libres d'aimer, au-delà de toute ambiguïté.



Journaliste: Claire Frémont
Réalisateur: Jean-Pierre Roy


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