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REPORTAGE
— 2004-03-16

UNE FAMILLE PARTICULIÈRE

«Je suis fier pour eux. On est toujours flatté de voir un usager qui est passé du point A au point B, et du point B au point C. C'est eux qui nous le disent quotidiennement. Ils sont tellement spontanés que lorsque tu te trompes, ils te le disent, et quand tu fais un bon coup, leurs yeux pétillent, les larmes, les rires, etc.»
- Jean-Martin Lefebvre-Rivest


Partie 1- 2- 3- 4

Jean-Martin Lefebvre-Rivest a 34 ans. Éric Martineau en a 27. Ils
partagent un grand appartement au deuxième étage d'un immeuble de
l'est de Montréal. Au premier étage logent ceux qui sont un peu devenus leurs enfants: six handicapés mentaux adultes, dont s'occupent 24 heures sur 24 les deux jeunes propriétaires de ce foyer de groupe.

Une famille particulière, c'est le portrait d'une famille, d'une entreprise,
mais surtout d'un engagement. Au cœur de leur vie chaotique remplie de rires et de petits drames, un grand projet: un voyage au soleil pour faire connaître la mer à ces grands enfants qui ne l'ont jamais vue.

L'équipe d'Enjeux a suivi cette famille jusqu'à Cuba et a vécu avec eux les hauts et les bas de ce voyage pas comme les autres.

Nombre de Québécois rêve de fuir les rigueurs de l'hiver pour les plages ensoleillées du Sud. Mais peut-être personne n'y a rêvé aussi fort que cette famille d'accueil pour déficients intellectuels. Après presque deux ans d'efforts et de préparation, le rêve est enfin devenu réalité. Ils quitteront Montréal pour une escapade à Cuba.

Ils sont six, tous dans la quarantaine et la cinquantaine, presque tous abandonnés par leur famille. Michel, Gilles, Léopold, Alain, André et Diane n'ont jamais pris l'avion, jamais vu la mer, sauf bien sûr à la télévision. Éric Martineau et Jean-Martin Lefebvre-Rivest, qui s'occupent d'eux, ont donc décidé de les y amener. À 24 heures du départ, ils sont prêts.

«Ils sont vraiment euphoriques et ils ont hâte. Je dirais qu'il y a du mystère et il y a de l'euphorie, dans le sens où ils n'y sont jamais allés. Ils ne savent pas c'est quoi. On a eu droit à plein de questions, comme "est-ce qu'on a le droit de fumer là-bas, est-ce qu'on a le droit de prendre un café, est-ce qu'il y a des toilettes?" »
- Éric

 

De prime abord, on pourrait penser qu'Éric et Jean-Martin ont peur que leurs bénéficiaires perturbent un peu les vacances des autres vacanciers. Or, pas du tout, car il s'agit d'une question de respect mutuel, comme l'explique Jean-Martin : «Par exemple, on peut leur imposer des limites. Si on veut que les gens comprennent les handicapés, il faut que les handicapés comprennent que les gens sont là pour se reposer aussi. Le respect, ça se fait des deux côtés. Ce n'est pas parce qu'ils sont handicapés que tout est excusable. Ce n'est pas vrai ça. Il faut qu'ils aient des comportements adéquats, et s'ils dépassent les limites, on va être là pour les mettre. Mais rire un peu plus fort, ce n'est pas un comportement non adéquat.»

 

Éric et Jean-Martin ont pris quelques précautions pour tenter de parer à l'imprévu. En fait, le voyage a demandé beaucoup de préparation. Par exemple, ils ont une valise pleine de crayons, livres et autres jeux pour occuper les vacanciers les jours de pluie. Ou encore, quelques cadeaux pour détendre l'atmosphère à l'aéroport, car ils n'ont jamais pris l'avion, et on ne sait pas comment certains pourraient réagir. Ils ont même prévu, au cas où, un plan B.

«C'est le fait que, s'il y a des craintes, essayer de rendre ça plus le fun, enlever les craintes. Pour eux, c'est plus difficile de rationaliser. C'est trop vague. Ce qu'ils ont vu dans les films, c'est pas mal juste des écrasements.»
- Éric

Les six «pensionnaires» habitent le rez-de-chaussée d'un grand duplex de l'est de Montréal. Éric et Jean-Martin, partenaires en affaires, mais non dans la vie, occupent l'appartement du haut. Les deux associés se partagent les heures de travail. Leurs salaires sont payés directement par l'État et par les pensionnaires, qui reçoivent de l'aide sociale et travaillent à temps partiel. Éric et Jean-Martin gagnent bien leur vie, mais ne comptent pas les heures travaillées.

«On vit bien au niveau du salaire. Par contre, si on regarde le taux horaire, c'est sur 24 heures, ça revient à environ 4 dollars de l'heure.»
- Jean-Martin

Cuba, enfin!

Finalement, le voyage en avion s'est bien déroulé. Les vacanciers pourront enfin profiter du soleil et des charmes de Cuba.

La piscine de l'hôtel connaît un franc succès auprès des vacanciers. Par contre, la plage et la mer ne semblent pas vraiment les attirer. En fait, la mer, dont l'étendue semble sans limite et dont l'eau est instable, leur fait un peu peur, tandis que la piscine est beaucoup plus sécurisante. On tentera néanmoins de les y amener, mais ils ne sont pas pressés. D'ailleurs, la notion de temps est bien relative pour l'ensemble d'entre eux.

«La notion de temps, ils l'ont, mais ils ne sont pas très pressés, à part peut-être pour manger à telle heure, et prendre leur café à telle heure. Mais pour faire quelque chose, ce n'est pas très grave. Si on sort pour aller manger une crème glacée et que ça prend une demi-heure pour se préparer et aller dans l'auto, ce n'est pas bien grave. Et c'est quelque chose que j'ai appris avec eux autres.»
- Éric

 

Pour Éric et Jean-Martin, s'occuper de leurs pensionnaires représentent bien plus qu'un travail. En fait, selon Éric, c'est plutôt un véritable mode de vie.

 

 

 

 

«C'est un monde différent. Pour moi, c'est plus un mode de vie qu'un job. Je ne le vois pas comme un job de 9 à 5, et je pense que si je le voyais comme un job de 9 à 5, je pense que je n'aimerais pas ça. Il faut que ce soit complémentaire à ma vie, il faut que ça embarque dans ma vie et vice-versa, il faut que ma vie embarque là-dedans pour que ce soit réalisable.»
- Éric


Certes, Éric et Jean-Martin apportent beaucoup à leurs bénéficiaires, mais ces derniers leur en donnent également beaucoup en échange, non en termes monétaires, mais sur le plan humain. Une belle réciprocité, une relation où tout le monde y gagne.

 



«Je ne sais pas qui apporte plus à qui. Je sais que je leur donne ma passion, mon côté très énergique, mon côté irrationnel, dès fois mon petit côté spontané. Mais eux m'apportent aussi beaucoup. C'est une expression anglaise, me "grounder", ils me remettent les deux pieds sur terre.»
- Jean-Martin

Et ils ne veulent surtout pas qu'on les prenne pour des saints. Pour eux, il ne s'agit pas d'une vocation. Ils affirment qu'ils ne font qu'un travail qu'ils aiment, qui les passionne et qui leur apporte beaucoup. Les évolutions et les progrès vécus par leurs bénéficiaires sont pour eux, en quelque sorte, une véritable récompense.

 

«Je suis fier pour eux. On est toujours flatté de voir un usager qui est passé du point A au point B, et du point B au point C. C'est eux qui nous le disent quotidiennement. Ils sont tellement spontanés que lorsque tu te trompes, ils te le disent, et quand tu fais un bon coup, leurs yeux pétillent, les larmes, les rires, etc.»
- Jean-Martin

Et sur le plan des valeurs également, les bénéficiaires ont donné beaucoup à Éric et Jean-Martin, par leur simplicité et leur absence de superficialité. Des choses qui préoccupent bien des gens, comme par exemple la tenue vestimentaire, n'ont aucune importance pour eux.

 

 

 

 

«Je vais loin peut-être, mais ça m'a beaucoup remis en question par rapport à plein de choses. Juste leur simplicité, leur simplicité de tous les jours, le fait qu'ils soient heureux aussi. Ils sont heureux, ils sont vraiment heureux et dès fois, on se casse la tête avec des banalités, on s'en fait, on a de la misère à dormir, peu importe. Et que pour eux ce soit aussi simple et aussi merveilleux.»
- Éric

Éric, Jean-Martin, Michel, Gilles, Léopold, Alain, André et Diane forment une véritable famille, ou presque. Éric et Jean-Martin aiment leurs pensionnaires comme s'ils étaient leurs enfants, même s'ils ne le sont pas. Toutefois, il doit y avoir un certain détachement, ce qui ne signifie aucunement qu'il y ait indifférence, au contraire.

 

 

«Je suis assez paternel dans le sens que je les aime énormément. Par contre, il faut que je comprenne qu'ils ne m'appartiennent pas. Ce ne sont pas mes enfants. En passant, ils sont tous plus vieux que moi, alors ce ne serait pas cohérent. Il faut faire le même travail que si j'étais parent, selon moi, tout en ayant ce léger détachement, puisqu'ils peuvent partir n'importe quand.»
- Jean-Martin

Enfin, tous semblent avoir apprécié leur voyage au soleil. Peut-être ont-ils eu la piqûre. En tout cas, Éric et Jean-Martin, eux, semblent avoir trouvé ce qu'ils veulent faire dans la vie: s'occuper des déficients intellectuels.

 


Journaliste: Pasquale Turbide
Réalisateur: Yves Bernard

 

Nous tenons à remercier le consulat cubain à Montréal, la compagnie aérienne Cubana et l'hôtel Brisas Santa Lucia.

 

 
 
 
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