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— 2003-12-09

ÉCRIRE : POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE

« Si je n'avais pas eu le salaire de base du professeur, j'aurais peut-être écrit plus de romans, mais j'aurais été dans la misère toute ma vie. » - Noël Audet

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
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Au Québec, les deux tiers des écrivains sont incapables de vivre de leur plume. Ils doivent donc user d'imagination pour joindre les deux bouts. Ils deviennent barmans, enseignants ou cochers pour pouvoir gagner leur vie et, surtout, pour se payer le luxe d'écrire.


Qui ne connaît pas Harry Potter? Les aventures de cet apprenti sorcier ont été vendues à plus de 195 millions d'exemplaires. Un succès planétaire qui a rendu son auteure, J.K. Rowling, multimillionnaire. On va même jusqu'à dire que Mme Rowling est devenue plus riche que la reine d'Angleterre.

Plus près de nous, à l'automne 2002, l'écrivain Yann Martel a remporté le prestigieux Booker Prize avec son livre Life of Pi, vendu à environ 2 millions d'exemplaires et traduit dans une trentaine de langues. Un succès inespéré, qui vaut son pesant d'or.

Il y a aussi les Michel Tremblay, Arlette Cousture, Yves Beauchemin et Chrystine Brouillet. Sans oublier Marie Laberge, qui a réussi un tour de force avec sa trilogie Le goût du bonheur. Cependant, le succès que connaissent ces auteurs représente l'exception plutôt que la règle. Pour la majorité des auteurs québécois, l'écriture seule ne leur permet pas de gagner leur vie.

 

Une situation difficile

Au Québec, ils ne sont pas plus d'une vingtaine d'écrivains à pouvoir vivre de leurs droits d'auteur. Plus précisément, les deux tiers des écrivains québécois ne peuvent tout simplement pas vivre de l'écriture. Plusieurs d'entre eux doivent par conséquent se trouver un deuxième travail pour avoir un revenu d'appoint leur permettant de vivre et de consacrer le reste de leur temps à l'écriture.


L'exemple de Lucien Francœur est révélateur. Si on le connaît surtout comme chanteur et animateur de radio, il faut dire qu'il est avant tout un poète. Il a publié une trentaine de recueils de poésie, dont Les rockeurs sanctifiés, qui a remporté en 1983 le prix Émile-Nelligan. Ce prix, auquel se sont ajoutés quelques articles dans les journaux et quelques invitations, lui a rapporté environ 5000 $.

 

« C'est impossible de vivre avec ça, et quand je vois les gens parler et dire : "Je suis déçu, je croyais vivre de ça", je leur réponds : "C'est sûr que tu ne vivras pas
de la poésie"
. »
- Lucien Francoeur


Cette histoire est loin d'être unique. En fait, elle se répète pour la grande majorité des écrivains québécois. Pauline Gill, une ancienne enseignante, a publié neuf bouquins. Elle est l'auteure d'une série de quatre romans historiques intitulés La saga de la cordonnière. Elle affirme que « les conditions financières dans lesquelles on écrit, au Québec, c'est presque de l'héroïsme ». Pour promouvoir son œuvre et gagner un peu d'argent, elle donne une série de conférences. De nombreux écrivains font aussi la tournée des écoles et des bibliothèques pour rencontrer les lecteurs et faire la promotion de leurs livres.


« Si je faisais une moyenne de mes revenus d'écriture sur 15 ans, je serais un peu comme votre poète. Ça m'a rapporté à peu près 6000 $ par année. » - Pauline Gill

 

Les droits d'auteur

Les écrivains sont payés en droits d'auteur. Il s'agit en fait d'un pourcentage de chaque livre vendu. Au Québec, la norme est de 10 %. Par exemple, si vous achetez un livre qui coûte 20 $, 2 $ vont dans les poches de l'auteur. Si ce livre atteint les 3000 exemplaires vendus, le chiffre magique pour qu'un titre devienne un best-seller au Québec, l'écrivain recevra 6000 $ en droits d'auteur.

Pour qu'un écrivain fasse beaucoup d'argent, il doit vendre beaucoup de livres, parce que la portion qui lui revient est plutôt mince. Le prix d'un livre se répartit généralement comme suit :

40 % au libraire
33 % à l'éditeur
17 % au distributeur
10 % à l'auteur

.

Chrystine Brouillet a écrit une cinquantaine de romans, tant pour les jeunes que pour les adultes. Elle a publié un guide de voyage et un livre de recettes. Elle est très connue pour ses polars, dont Le collectionneur, qui s'est vendu à 38 000 exemplaires. À 25 ans, elle espérait vivre de son écriture. Au bout du compte, le rêve est devenu réalité, mais Chrystine Brouillet, qui s'avoue elle-même chanceuse, est l'une des rares à vivre de sa plume au Québec.

La situation est plus difficile pour les jeunes auteurs. Marie-Hélène Poitras et Guillaume Vigneault en savent quelque chose. Ces jeunes auteurs, qui font partie de la relève, ont publié des livres qui ont reçu un bon accueil et qui ont même été primés. Malgré tout, ils doivent occuper un deuxième travail pour arrondir leurs fins de mois. Tandis que Marie-Hélène se fait cochère le temps de la saison estivale, Guillaume doit travailler quelques heures par semaine dans un bar.

Quant aux bourses et autres distinctions, s'il donne un précieux coup de pouce aux auteurs, ils ne représentent pas pour autant une panacée. Par exemple, Marie-Hélène Poitras a reçu une bourse de 15 000 $ du Conseil des arts du Québec, et le prix Anne-Hébert, d'une valeur de 7500 $. Elle affirme avoir eu une très belle année, mais avoue du même coup que « des bourses et des prix, ça aide, mais ça ne paie pas toutes les factures ».



« Si je n'avais pas eu le salaire de base du professeur, j'aurais peut-être écrit plus de romans, mais j'aurais été dans la misère toute ma vie. »
- Noël Audet



L'adaptation télévisuelle ou cinématographique

Noël Audet avait 20 ans quand il a publié pour la première fois. Il a vite appris la leçon : écrire ne fait pas vivre son homme. Lorsqu'on lui demande si l'immense succès qu'a connu son roman L'Ombre de l'épervier, vendu à 125 000 exemplaires, lui a permis de devenir riche, il ne peut s'empêcher de rire.

Certes, son roman est devenu une télésérie. En droits d'auteur et en droits d'adaptation pour la télévision, il a empoché quelques centaines de milliers de dollars, mais une fois qu'il en a remis une partie à l'impôt, et si l'on calcule les revenus sur trois ans, il ne reste plus grand-chose : « Le plus gros chèque que j'ai vu de ma vie, c'est celui que j'ai fait à l'impôt. En fait, 53 % de mes droits sont allés à l'impôt. Donc, si je reçois 100 000 $ de droits pour une télésérie, j'en donne 53 000 $. Mais tout ça pour un travail de 3 ans, quand même. »

Chrystine Brouillet a, elle aussi, eu droit à une adaptation. Son roman Le collectionneur a été porté au grand écran. Selon elle, c'est formidable que l'une de ses œuvres soit adaptée pour le cinéma. Toutefois, elle se considère comme faisant partie des privilégiés. Tous n'ont pas la chance de voir leur roman porté au petit ou grand écran.

 

« On n'écrit pas quand on est inspiré, on écrit tous les jours parce qu'il faut écrire pour payer notre hypothèque, ça, c'est la réalité. » - Chrystine Brouillet

 

Le succès n'est pas au rendez-vous pour tous les écrivains. Les libraires le savent bien. Ils doivent donc miser sur leur flair pour détecter le livre qui se changera en or. Selon Pierre Renaud, des librairies Renaud-Bray, « les vrais succès sont toujours inattendus ». Ce qui représente un défi pour les libraires. D'autant plus que les succès retentissants ne sont pas légion.

D'un autre côté, certains auteurs ont de la difficulté à percevoir leurs droits auprès de leur éditeur. Une situation que reconnaît le président de l'Association des éditeurs de livres du Québec, Denis Vaugeois. Lorsqu'on lui demande s'il considère que c'est du vol, il répond : « Oui, c'est du vol. Dans un certain sens, on ne lui a pas pris de l'argent de sa poche, mais on ne lui a pas donné ce qui lui était dû. »

Malgré tout, nombreux sont ceux qui choissent de continuer à écrire. Au début de chaque livre, il y a un écrivain devant une page blanche. Il y a aussi ce désir d'être lu parce qu'on a quelque chose à raconter. Mais il y a surtout cette décision d'écrire contre vents et marées; pour le meilleur et pour le pire.


« Jamais je ne vais me compromettre à publier quelque chose qui n'est pas prêt ou dont je ne suis pas content juste pour revenir sur la liste Renaud-Bray des
best-sellers. Si je fais ça un jour, "tu me tueras",
comme disait Dan Bigras. »
- Guillaume Vigneault


« Faire de l'argent, lorsqu'on est un artiste, c'est pouvoir faire une autre œuvre après. » - Marie Laberge



Écrire ne fait pas vivre


Selon une étude de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, intitulée Écrire ne fait pas vivre, seulement 9 % des écrivaines et écrivains québécois comptent sur leurs droits d'auteurs comme principale source de revenu.

Parmi les 768 écrivaines et écrivains qui ont participé à l'enquête, 60 % ont affirmé que le travail rémunéré constituait leur principale source de revenu, alors que 10 % comptent plutôt sur des bourses d'aide à la création ou diverses prestations gouvernementales.

Par ailleurs, on dénote des différences significatives entre la situation des écrivains et des écrivaines. Ainsi, ces dernières comptent sur les droits d'auteurs comme principale source de revenu dans 13 % des cas, alors que chez les écrivains, cette proportion n'est que de 6 %.

En ce qui concerne les revenus annuels, l'étude révèle que 40 % des écrivains ont gagné moins de 30 000 $, alors que 25 % ont gagné plus de 60 000 $. Des différences notables existent cependant entre les écrivains et les écrivaines. Par exemple, le quart de ces dernières ont déclaré des revenus inférieurs à 15 000 $, ce qui n'est le cas que de 11 % des écrivains. À l'autre extrémité, par les auteurs qui ont des revenus égaux ou supérieurs à 60 000 $, 32 % sont des hommes, et 15 % des femmes.



Journaliste : Marie-Claude Pednault
Réalisatrice : Lucie Payeur


La version vidéo de ce reportage ne peut être disponible en raison de droits. Veuillez nous en excuser.

 


Hyperliens

:: Pour consulter l'étude Écrire ne fait pas vivre, premier volet d'une enquête menée par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec auprès des écrivaines et écrivains de la province (en pdf)
Institut de la statistique du Québec

:: Pour consulter l'étude Qui sont les écrivains et écrivaines du Québec, le second volet de l'enquête menée par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec auprès des écrivaines et écrivains de la province (en pdf)
Institut de la statistique du Québec

:: Les statistiques de l'édition au Québec en 2002
Bibliothèque nationale du Québec

:: Union des écrivaines et écrivains québécois

:: Association nationale des éditeurs de livres

:: Biographies et bibliographies de près de 1 millier d'auteurs québécois
L'Île, l'Infocentre littéraire des écrivains

 

 

   

 

 
 
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