ACCUEIL
REPORTAGES RÉCENTS
CLAVARDAGES
COORDONNÉES
ÉQUIPE
Logo Enjeux

REPORTAGE
— 2003-12-02

LES GÈNES ASSASSINS

« Il faut livrer cette guerre, et il faut le faire jusqu'au bout. Il faut qu'il y ait des résultats positifs pour un ensemble de personnes, pour des individus qui ne méritent pas ça. Je ne pense pas que quelqu'un mérite de vivre ce qu'on vit aujourd'hui. »
- Denis Fiset, papa de la petite Audrey-Anne, atteinte d'une maladie incurable



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Le plus dur, ce n'est pas le changement de vie qu'on doit subir... le pire, c'est l'incapacité à aider. » - Denis Fiset

 

 

 

 

 

 

 

 

 




À ce jour, des 11 frères et sœurs de Denis qui ont passé le test de Tay-Sachs, 10 sont porteurs du gène de la maladie.

Pour ce qui est de la famille de Lucie Ouellette, le mystère demeure, puisqu'elle a été adoptée et ne connaît pas ses parents biologiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

Selon le président de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec, le Dr Claude Fortin, les médecins devraient informer davantage leurs patientes enceintes des diverses maladies génétiques qui existent.

 

 

 

 

 

 

Partie 1 - 2 - 3

Il existe des dizaines de maladies mortelles d'origine génétique dont on entend peu parler. On les appelle « les maladies orphelines ». Leurs victimes ne sont pas assez nombreuses pour justifier un dépistage massif ni des investissements importants pour trouver des traitements curatifs.


Il est 10 h 30. C'est le début d'une courte nuit pour Audrey-Anne. Après quelques heures, son père est réveillé par sa fille malade. Quelques minutes plus tard, il doit retourner auprès de son enfant. Chez les Fiset-Ouellette, ce scénario se répète toutes les nuits.



« De 3 h 30 à 5 h 30 ce matin, tu avais de la difficulté à respirer... Ça ne
fonctionnait pas. Papa a tout essayé, mais il n'y avait rien à faire. »



La petite Audrey-Anne, âgée de deux ans et demi, est atteinte de la maladie de Tay-Sachs, une maladie neurologique qui s'explique par l'absence d'une enzyme essentielle à notre développement physique et mental
.

Depuis un an, ses parents vivent un véritable enfer. Ils doivent veiller jour et nuit sur elle. Tous les matins, ils la nourrissent en la gavant, puisque la petite ne peut plus rien avaler.

Ces parents assistent impuissants à la mort de leur enfant. Audrey-Anne est aveugle et deviendra possiblement sourde. Elle n'a plus de tonus musculaire et elle fait aussi des convulsions à répétitions.


Une maladie très rare

À la naissance, rien n'annonçait la maladie d'Audrey-Anne. Elle a été un bébé dodu, en pleine santé, qui comblait de bonheur ses parents. Mais à 9 mois, elle a présenté les premiers signes de retard dans son développement. Puis, quelques mois plus tard, tombe l'horrible verdict des médecins : la petite est atteinte de la maladie de Tay-Sachs, une maladie extrêmement rare. Si rare en fait, qu'on leur apprend que leur fille est le seul cas au Canada. Pour les parents, c'est le choc, ils n'ont jamais entendu parler de cette maladie :

« C'était une maladie essentiellement reliée aux gens de la communauté juive ashkénaze. Or, nous sommes franco-canadiens d'origine. »


La maladie de Tay-Sachs fait partie des nombreuses maladies dites « orphelines ». Des maladies qui, prises individuellement, n'attirent pas l'attention parce qu'elles ne touchent qu'une faible proportion de la population, mais qui, ensemble, font beaucoup de victimes.

Pour transmettre la maladie à leur enfant, les deux parents doivent être porteurs du gène. Le risque que l'enfant en soit atteint est
alors de 1 sur 4.


Le couple Fiset-Ouellette ne savait évidemment pas qu'ils étaient porteurs du gène assassin de Tay-Sachs avant que leur petite naisse. Et pourtant, Lucie avait pris toutes les précautions pour ne pas avoir d'enfant malade en passant, avec son conjoint, une série de tests en laboratoire privé. Mais ils apprendront plus tard qu'ils n'avaient pas passé un test spécifique pour la maladie de Tay-Sachs.



« C'est correct Audrey, il ne faut pas que tu aies peur. Laisse sortir,
bébé, c'est bien, laisse aller... On t'aime. »


Le couple refuse de croire qu'il est le seul à vivre ce drame. En s'informant et en fouillant sur Internet, Denis et Lucie découvrent qu'il existe une souche Tay-Sachs d'origine franco-canadienne. Ils se mettent donc à la recherche de familles québécoises qui vivent la même épreuve.


Ils ne sont pas seuls

Denis et Lucie livrent un combat de tous les instants pour éviter que d'autres aient à vivre le même cauchemar, à commencer par les membres de leurs propres familles.

Les Fiset sont une grande famille de 14 personnes originaire du comté de Portneuf. Ils ont une trentaine d'enfants et de petits-enfants. En juin dernier, M. Fiset les avait formellement convoqués à Deux-Montagnes, là où il habite aujourd'hui, pour les informer de l'importance d'un dépistage de la maladie. Il en avait profité aussi pour inviter d'autres familles ayant perdu des enfants atteints d'une des « maladies orphelines ». Denis et Lucie voulaient démontrer que, contrairement à ce qu'on leur avait dit, ils n'étaient pas les seuls Franco-Canadiens à être touchés par la maladie de Tay-Sachs.


Dans leur bataille, Denis et Lucie ont frappé à toutes les portes pour comprendre ce qui leur arrivait. Dans leurs recherches,
ils ont découvert :

* Que les premiers cas d'enfants Tay-Sachs chez les Franco-Canadiens ont été retracés il y a une trentaine d'années dans la région de Rimouski, plus particulièrement au Témiscouata et près d'Edmunston, au Nouveau-Brunswick.

* Que, comme dans la communauté juive de Montréal, il y a eu là-bas des tests de dépistage, mais qui ont été abandonnés depuis.


Bien que Denis et Lucie sachent qu'ils ne peuvent rien faire pour sauver leur fille Audrey-Anne, ils n'abandonnent pas pour autant. Dans sa croisade, Denis Fiset est retourné dans sa région natale, la région de Portneuf, pour alerter la population de la présence du gène de Tay-Sachs. Il a aussi téléphoné dans des cliniques de fertilité pour voir si on renseigne suffisamment les gens sur les maladies génétiques.

Le couple a aussi rencontré à Québec de hauts fonctionnaires du ministère de la Santé pour tenter de les convaincre de faire davantage de tests de dépistage génétique. Ils ont aussi été reçus par le président de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ), le docteur Claude Fortin, qui leur a donné raison : les médecins devraient informer davantage leurs patientes enceintes des diverses maladies génétiques qui existent.


Les chiffres...

* Au Québec, 1 personne sur 150 est porteuse du gène de Tay-Sachs. Mais dans certaines régions, le taux est beaucoup plus élevé :
1 sur 96 au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

* Le taux atteindrait des proportions inquiétantes dans la communauté juive et dans la région du Bas-du-Fleuve. Il y aurait 1 porteur sur 30 chez la communauté juive ashkénaze. Quant à la région de Rimouski, on parle de 1 porteur sur 14 personnes.



Après des mois de démarches du couple Fiset-Ouellette, le ministère de la Santé a finalement admis qu'il y a eu, au cours des 10 dernières années, au moins 10 cas d'enfants Tay-Sachs au Québec. Denis et Lucie ne sont donc pas seuls.

Les autorités soutiennent cependant que le taux de porteurs de 1 sur 14 dans la région du Bas-du-Fleuve, tel qu'indiqué par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, est nettement exagéré et dépassé.


La solution : un dépistage massif?

Les généticiens affirment qu'un dépistage massif ne serait pas justifié au Québec, pas plus d'ailleurs que pour les autres « maladies orphelines ». Ces maladies sont beaucoup trop nombreuses et pas toujours concentrées géographiquement.

Les spécialistes espèrent qu'un jour, on pourra détecter les porteurs des gènes assassins par un seul test génétique, ce qui représente un défi de taille pour la science. Malheureusement, l'erreur de la nature dont est victime Audrey-Anne aurait été difficile à éviter : elle n'est pas née dans une région à risque. Mais on se demande si ses ancêtres n'y auraient pas récolté le gène qui l'a rendue malade.

La courte vie d'Audrey-Anne ne sera pas vaine. Sa maladie a au moins alerté les membres de sa famille de la bombe qui sommeille en eux. Ses parents se préparent à la voir partir, mais en s'assurant qu'elle laissera un précieux héritage. Ils viennent d'ailleurs de mettre sur pied une fondation visant à sensibiliser la population à la maladie de Tay-Sachs et aux autres « maladies orphelines ». En attendant que l'information fasse son chemin, ils profitent des derniers moments qu'ils ont avec elle.


« On ne pourra jamais changer la destinée de cette enfant. On peut juste l'aimer fort, la sécuriser et lui procurer
du confort, en sachant que, malgré tout,
elle va partir. »


Recherchistes : Marie-France Lemaine
& Marie-Claude Pednault
Journaliste : Alain Gravel
Réalisatrice : Anne Sérode


 

 

Hyperliens

:: Portail québécois des maladies génétiques orphelines

:: Le monde de Charlotte, Audrey-Anne et ses ami(e)s
Fondation qui cherche à venir en aide aux familles éprouvées par la maladie de Tay-Sachs et autres maladies métaboliques dégénératives

:: Annie Capua, coordonnatrice du dépistage Tay-Sachs
Hôpital de Montréal pour enfants. Tél.: 514 412-4400, poste 22062.

:: Maladie de Tay-Sachs
Information sur la maladie de Tay-Sachs
Syndicat national des ophtalmologistes de France

:: Maladies orphelines recherchent traitements désespérément
Séries d'articles traitant des maladies orphelines

:: Maladies orphelines et maladie de Tay-Sachs
Pour en savoir plus long sur la maladie de Tay Sachs. Site de la National Tay-Sachs & Allied Diseases Association, vouée à la prévention et au traitement de la maladie. Site américain, en anglais.

:: Fédération des maladies orphelines (France)

:: Les anomalies congénitales au Canada : Rapport sur la santé périnatale, 2002
Direction générale de la santé de la population et de la santé publique. Santé Canada

:: Orphanet
Banque d'informations sur les maladies rares

 

 
 

 

 
 
© RADIO-CANADA.CA  2003
Haut de page