HOMÉLIE DU 14 MARS 2010
4e dimanche de Carême (Année « C »)

BASILIQUE CATHÉDRALE NOTRE-DAME
Ottawa, Ontario

Président de l'assemblée :
L'Abbé Daniel Berniquez

Lectures :
Livre de Josué (5, 10-12)
Psaume 33 (34)
Seconde lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Évangile de Jésus-Christ selon Saint Luc (15, 1-3.11-32)

En ce quatrième dimanche du Carême, Jésus nous raconte une histoire que nous connaissons bien, la parabole de l'enfant prodigue. En fait, nous croyons si bien connaître cette histoire, que nous risquons de passer à côté de l'essentiel. Quand nous nous retrouvons devant une parabole, notre première réaction est de nous identifier à l'un des personnages. « Un homme avait deux fils... ». Auquel de ces deux fils ressemblons-nous donc?

Il y a d'abord le plus jeune. Il veut faire sa vie loin de son père. Il demande son héritage. Un héritage, ça se reçoit normalement après la mort d'un parent. Pour ce jeune homme, donc, son père est mort. Il prend ce qui lui revient et part pour un pays lointain. Puis c'est la grande vie : la fête perpétuelle, le luxe, les filles, les amis, la voiture de l'année. On peut comprendre et même sympathiser avec ce jeune homme. Il faut bien que jeunesse se passe. Qui n'a pas eu sa crise d'adolescence? Qui ne peut comprendre le besoin qu'avait ce jeune homme de faire ses propres expériences? Mais bien vite le jeune homme se retrouve sans le sous. Finie la belle vie, il faut se trouver un travail, ça presse. Et quand on a faim, on n'est pas regardant. Négligeant toutes les convenances, il s'embauche pour garder des porcs, des cochons, l'animal impur par excellence pour les Juifs. Et comme si cela n'était pas assez dégradant, notre jeune homme aurait même « voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien » (Lc 15,16). Le fils cadet était en train de mourir littéralement et socialement. Où sont passés les amis qui l'ont aidé à flamber l'héritage? Survient alors ce que j'appelle une conversion de l'estomac. Le fils ne se rappelle pas que son père est un homme généreux et bon. Il ne se doute pas que ce père scrute l'horizon dans l'espoir de son retour. Mais il se souvient qu'à la maison le frigo était plein.

Il y a aussi le fils aîné. Comme son frère, le plus vieux des garçons est incapable de reconnaître son père comme un père. Pour lui, son père est mort en tant que père, mais il est bien vivant en tant que patron qu'il faut bien endurer. Lui, le fils aîné, est resté à la maison. Mais il se considère comme un ouvrier plus que comme un fils. Or, quand son frère revient, il fait une sainte colère. Son père est injuste. Mais lui aussi est injuste avec son père. Pour l'aîné, le père ne fait pas partie des amis avec qui il veut festoyer. Son frère n'est plus un frère pour lui. Devant son père, il n'appelle pas le fils cadet « mon frère », mais plutôt « ton fils ».

Quand on y pense, il y a un peu de ces deux frères en chacun et chacune d'entre nous. Parfois, nous sommes des fils cadets. Nous cherchons à construire nos vies sans Dieu. Nous nous éloignons de lui. Mais quand arrive un pépin, nous nous tournons vers Dieu en espérant qu'il viendra régler tous nos problèmes. Et nous sommes prêts à plusieurs conversions de l'estomac, pourvu que Dieu nous donne ce que nous désirons. D'autres fois, nous sommes semblables au fils aîné. Nous voyons Dieu comme un maître exigeant; quelqu'un que nous n'avons d'autre choix que de servir, même si nous aimerions faire autre chose; quelqu'un qui nous doit quelque chose parce que nous faisons ce qu'il commande. Surtout, nous ressemblons au frère aîné lorsque nous avons peine à aimer les frères et soeurs qui nous entourent.

Heureusement, la Bonne Nouvelle de ce dimanche ne se trouve pas du côté des fils. La Bonne Nouvelle de ce dimanche se trouve du côté du père. Il accepte d'abord de laisser partir son fils cadet avec son héritage. Sans se lasser, il scrute l'horizon dans l'espoir de son retour. Quand il le voit revenir de loin, il court vers lui, se jette à son cou et le couvre de baisers. Il ne lui fait aucun reproche, mais par des gestes concrets il rétablit son plus jeune dans sa dignité de fils. Puis, quand son autre fils refuse d'accueillir son frère, le père sort à sa rencontre et le supplie d'entrer. Quel père que cet homme au coeur de mère!

Quand il nous raconte la parabole de l'enfant prodigue, Jésus nous révèle les véritables traits de Dieu, notre Père. Il nous redit quel Père aimant nous avons. Il nous redit aussi le désir ardent de notre Père de nous rétablir dans notre dignité d'enfants de Dieu, son désir de nous réconcilier avec lui, son désir de nous réconcilier les uns avec les autres. Mais la parabole de Jésus se termine sans que nous sachions si le fils aîné se réconciliera avec son frère. Nous ne savons pas non plus si les deux frères reconnaîtront enfin le père extraordinaire qui est le leur. À nous d'écrire la fin de la parabole dans le quotidien de nos vies.

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