Les yeux fermés : quand les secrets de famille prennent toute la place
Les secrets de famille sont une bombe à retardement. Tôt ou tard, les non-dits habitent tout l’espace et nous empêchent d’avancer, croit Anita Rowan, auteure du thriller psychologique en six épisodes Les yeux fermés, sur ICI Télé. Avec elle, on a parlé du personnage d’Élise (Magalie Lépine-Blondeau), qui est demeurée engluée dans les non-dits familiaux et les secrets entourant le suicide de son frère Simon, survenu il y a près de 30 ans. Comme quoi, le temps n’arrange pas toujours les choses, il les amplifie parfois.
Un texte de Lisa Marie Noël
Les yeux fermés, mercredi à 21 h
Les êtres humains sont en perpétuelle quête de sens, surtout lorsque survient un coup dur.
Je pense que les humains ne sont pas bons avec les trous, les espaces vides, les points de suspension. Je pense que c’est normal de vouloir trouver les chaînons manquants, d’inventer des justificatifs afin que l’histoire qu’on se raconte fasse du sens.
C’est ce que vit Élise (Magalie Lépine-Blondeau) dans Les yeux fermés. La jeune femme est sur les traces de son frère. À l’automne 1994, le corps de Simon (Léokim Beaumier-Lépine), 15 ans, a été repêché dans la rivière. Près de 30 ans plus tard, sa jeune sœur tente de comprendre ce qui s’est passé.
Le tout commence lorsque Élise reçoit par erreur une invitation pour le conventum de son défunt frère et que sa mère décide de vendre la maison familiale, qui fourmille encore de souvenirs intouchés.
« C’est une quête. Élise a besoin de s’émanciper, elle a besoin de retourner dans le passé parce qu’elle a arrêté de vivre au moment de la mort de Simon. Depuis, elle vit un peu par procuration [...] Elle a tellement voulu être le soutien de sa mère et essayer de remplacer son frère », dit l’auteure de la série Anita Rowan, qui a notamment participé à l’écriture d’émissions comme Les Parent, Une autre histoire, L’effet secondaire, Les révoltés, etc.
Élise fera la connaissance des amis de son frère, de son premier flirt, d’un prêtre animateur de pastorale (Benoît McGinnis) et d’une infirmière plutôt chaleureuse.
Tous les gens qui sont impliqués dans cette histoire vivent beaucoup de culpabilité. Ils savent des choses qu’ils n’ont pas osé dire et qui ont mariné longtemps
, mentionne Anita Rowan.
S’occuper des blessures jamais cicatrisées
Ce qui m’a animée [dans l’écriture de cette série] c’est d’explorer comment on peut, rendu à un certain âge, avoir l’impression qu’on est bloqué, qu’on ne sait plus comment avancer parce qu’il y a des choses dans notre passé qui n’ont pas été réglées.
À 37 ans, Élise prend conscience du poids de cette histoire de famille demeurée taboue. « Elle se rend compte que tout ça l’hypothèque, ça l’envahit, ça l’empêche d’avoir des relations saines avec les autres. »
L’explication officielle est que Simon était un adolescent tourmenté qui a mis fin à ses jours. Élise était tellement jeune lors des événements qu’elle n’a jamais pensé remettre en question cette version de l’histoire. En cherchant d’autres points de vue, elle viendra perturber sa mère qui avait, elle, mis cette histoire derrière elle.
Regarde, je me suis posé toutes les mêmes questions que toi. J’arrive toujours à la même conclusion : ça ne changera rien.
La mythologie familiale et les histoires qu’on se raconte
Certaines personnes ou certains événements, avec le temps et avec l’absence, deviennent plus grands que nature. C’est ce qui s’est passé avec la disparition de Simon, événement qui est entré dans ce qu’Anita Rowan nomme la mythologie familiale.
C’est une série sur la mythologie familiale, ces histoires qu’on va raconter une première fois puis une deuxième fois avec d’autres détails, selon notre perception. Et plus ça va, plus on la raconte et plus notre version devient vraie. À un moment donné, tout le monde croit ça, mais ce n’est pas nécessairement ce qui est arrivé
, explique-t-elle.
Un suicide comme celui de Simon, qui suscite naturellement beaucoup de questions, mais peu de réponses, est un terreau fertile pour explorer ce sujet. Selon Anita Rowan, il est normal pour l’entourage d’inventer des justificatifs pour apaiser la souffrance.
Ce qu’on ne dit pas
Ce qu’on ne dit pas, c’est ce qui nous hante toujours le plus fort. C’est propice à grossir les rangs de la mythologie familiale.
Un je t’aime qu’on n’a pas osé dire, des excuses qu’on a gardées pour soi, les regrets qu’on rumine peuvent tellement finir par prendre toute la place! Je trouve que c’est central dans la série.
Comme rien n'a été verbalisé à la suite de la tragédie, cela mène à beaucoup de culpabilité pour Élise. Sa mère aurait dû protéger sa fille, mais elle était tellement envahie par son deuil, la douleur d’avoir perdu son fils et la culpabilité, qu’elle oublie qu’elle devrait d’abord et avant tout protéger celle qui est encore là, la petite Élise.
Vivre son adolescence en 1994
La mère d’Élise, Lorraine (Anie Pascale), vend la maison familiale pour aller en résidence. Dans cette maison, il y a la chambre de Simon qui a été gardée intacte depuis presque 30 ans. C’est un musée! Élise entre dans cette pièce
interditeet c’est une façon de se rapprocher de son frère et de comprendre qui il était et ce qui s’est passé.
Les années 1990 y sont très bien reproduites avec l’étui de guitare tagué au Liquid Paper, les affiches de Radiohead, les vieux vinyles, les t-shirts de Pearl Jam, les cassettes.
Anita Rowan a puisé dans ses souvenirs d’adolescence pour nourrir l’univers de Simon. Je me suis un peu payé la traite parce que j’ai l’âge de Simon. J’ai vécu mon adolescence dans ces années-là.
Les yeux fermés réussit également à cristalliser cet état émotif dans lequel on se retrouve dans cette période houleuse. L’adolescence est une période tellement effervescente où tout semble amplifié. Les petites joies, c’est l’euphorie; les déceptions nous mènent à la dépression.
Anita Rowan a su créer des personnages tout en nuances et aborder des sujets délicats avec beaucoup de doigté. Les yeux fermés est diffusé sur ICI Télé à partir du 25 octobre et offert en rattrapage sur ICI Tou.tv.
Besoin d'aide pour vous ou pour un ou une proche?
- Partout au Canada : Parlonssuicide.ca / 1.833.456.4566
- Au Québec :suicide.ca / 1-866-277-3553