Secrets de scénariste : Chantal Cadieux
« J’aime les personnages; c’est ce qui m’inspire le plus. De les travailler, leur trouver un passé, un travers. »
Chantal Cadieux est une autrice prolifique qui a travaillé sur une multitude de productions au théâtre, au cinéma et à la télévision depuis le début de sa carrière. Au cours des 20 dernières années, la scénariste a créé les séries Providence, Mémoires vives et Une autre histoire, en plus d’en écrire tous les épisodes. Aujourd’hui, elle occupe aussi le poste de présidente de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), une association visant à défendre les droits des auteurs et autrices de langue française, qu’elle représente avec fierté. Nous avons récemment eu le privilège de discuter avec cette scénariste d’expérience de ses débuts en écriture jeunesse, de son parcours inusité et de sa passion le métier.
Voici le compte rendu de cet entretien.
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Comment vous est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
C’est arrivé tôt; j’écrivais déjà des histoires quand j’étais en deuxième année. J’ai toujours beaucoup aimé lire et écrire. J’ai commencé à écrire des romans jeunesse à une époque où il n’y en avait pas beaucoup. J’ai écrit mon premier roman quand j’avais 16 ans. Je faisais ça parce que je gardais souvent des enfants et que je n’aimais pas dormir en attendant le retour des parents. Je me suis mis à écrire, et mon premier roman, Longueur d’ondes, je l’ai écrit à la main. C’est une de mes amies qui tapait à la dactylo qui l’a rédigé pour moi. J’ai envoyé ce premier manuscrit là aux éditions Fides et mon livre a été publié. À l’époque, j’étais la plus jeune romancière québécoise. J’avais des entrevues partout; je me rappelle être allée à Montréal, ce qui était très spécial pour moi, parce que j’habitais loin de la grande ville. J’ai été tellement encouragée par la réponse positive après avoir écrit ce roman-là que j’en ai écrit un deuxième et un troisième.
Durant ma jeunesse, j’aimais beaucoup l’improvisation, que j’ai découverte au Cégep de Sherbrooke. On avait vraiment une gang très créative, avec France Parent et Guy Jodoin, entre autres. J’ai déjà voulu être comédienne, mais c’est en donnant la réplique à des amis dans des auditions que j’ai appris qu’il y avait une formation en écriture dramatique à l’École nationale de théâtre. Ça m’a vraiment allumée et je me suis dit que c’est ce que je voulais faire. Je me suis inscrite, mais c’était très contingenté : l’école n’acceptait qu’entre un et trois étudiants par année dans la francophonie au Canada. J’ai tout fait pour être acceptée dans le programme. Je devais envoyer un texte de théâtre, mais je n’en avais pas, alors j’avais fait une version de scénario pour le cinéma de mon premier roman. Tout de suite après avoir reçu ma lettre d’acceptation, j’ai quitté ma formation en droit à l’Université de Sherbrooke et je me suis installée à Montréal, où j’habite depuis ce temps. J’ai fait ma formation de trois ans à l’École nationale de théâtre, au cours de laquelle j’ai rencontré beaucoup de gens.
Ensuite, j’ai écrit sur des comédies d’été avec le metteur en scène Gilbert Lepage, entre autres. J’ai commencé comme ça, à écrire un peu en humour pour la télé, mais j’avais besoin de temps pour installer mes histoires. De fil en aiguille, j’ai rencontré Guy Fournier, qui était venu voir une de mes pièces de théâtres d’été. J’écrivais des personnages plus vieux que moi, beaucoup de personnages féminins, ce qui a piqué la curiosité de Guy Fournier. Il m’a demandé de collaborer sur une série qui s’appelait Ent' Cadieux.
Je me suis dit que peut-être que mon nom a fait en sorte qu’il a pensé à moi. (rires) Ensuite, j’ai collaboré sur d’autres séries avec lui. C’était un rêve pour moi d’écrire de la télé, parce que je ne savais même pas que c’était possible de le faire et que j’aimais beaucoup les séries télé quand j’étais adolescente. Je me rappelle que, pour ne pas manquer des épisodes des Dames de cœur, j’ai abandonné un cours d’espagnol que je suivais le soir. C’est donc à cause de cette série que je ne parle pas espagnol! (rires) C’est comme ça que j’ai pris goût à la série annuelle; j’aimais suivre une histoire longtemps, sur plusieurs saisons, m’attacher aux personnages, les voir évoluer et vieillir. J’ai toujours aimé ça.
J’ai la chance d’exercer un métier qui me passionne depuis longtemps. Je sais que ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un rêve et de le réaliser.
Comment vos idées de séries vous viennent-elles en tête? Est-ce un processus conscient ou plutôt aléatoire?
J’aime les séries de longue haleine. Ce qui va me parler le plus, c’est la famille. J’ai rencontré Jocelyn Deschênes, qui était un jeune producteur, à l’époque où il travaillait à la programmation à TVA et que j’écrivais sur Ent' Cadieux. Il avait remarqué mes textes et il me demandait si j’avais des idées, des projets à moi. Sa proposition m’intéressait, mais je ne savais pas trop quoi faire... Il m’avait dit qu’il voulait que je lui écrive une saga familiale, dans un contexte un peu bourgeois, mais pas trop, pour que le public puisse s’identifier aux personnages. J’ai réfléchi à sa demande et je me suis rappelé que mon père a grandi devant une fromagerie, qui est devenue une grande entreprise. Je me suis dit que c’était un bon point de départ.
Quand j’ai commencé à faire mes recherches là-dessus, je voulais que ce soit un personnage de femme qui soit aux devants, celui qui a été interprété par Monique Mercure. On me disait que ça ne se pouvait pas, que c’était un milieu d’hommes. Ça m’a encore plus donné le goût d’écrire un personnage féminin qui était à la tête d’une entreprise comme celle-là! Je suis arrivée avec cette idée de la campagne parce que je viens d’une petite ville des Cantons-de-l’Est. C’étaient des thèmes que je connaissais. J’ai écrit Providence, et la série s’est échelonnée sur sept ans et 166 épisodes. Cinq ans auparavant, je n’aurais pas été en mesure d’écrire autant, parce que c’est très exigeant, écrire de la série annuelle. On n’a pas beaucoup de budget au Québec, alors on ne peut pas faire tout ce qu’on veut; on a des paramètres assez serrés. J’ai appris à écrire avec ce cadre et je l’ai transformé en une source d’inspiration et de possibilités.
J’aime les personnages; c’est ce qui m’inspire le plus. De les travailler, leur trouver un passé, un travers.
Les relations familiales sont très fertiles; elles m’inspirent depuis le début de ma carrière. Quand on collabore sur les séries des autres, il faut entrer dans leur univers... Je pense que j’y arrivais quand même assez bien, mais il n’en demeure pas moins que c’est plus facile quand ce sont nos histoires, notre univers qu’on développe. J’ai plus d’aisance à écrire mes séries seule que de collaborer sur cinq ou six séries qui ne sont pas les miennes et où je dois essayer d’entrer dans la tête de l’auteur principal.
Je suis très reconnaissante d’avoir pu écrire mes projets et de les porter. C’est encore le cas avec Mémoires vives, série pour laquelle j’ai écrit 120 épisodes. Et là, avec Une autre histoire, je suis rendue à 83 épisodes. J’ai créé ces univers, alors j’ai l’impression d’être plus en contrôle de mes histoires. Ça reste dans des thèmes que j’assume. Parfois, je n’ai pas énormément de temps de réflexion et je dois livrer les textes rapidement. Des fois, il y a une idée qui arrive, et on se dit qu’on aurait pu la travailler davantage, mais on n’en a pas le temps. C’est un des défis de ce métier que j’apprécie.
Vous avez travaillé sur beaucoup de projets depuis le début de votre carrière. Y a-t-il une situation complètement improbable que vous avez dû surmonter comme scénariste?
Comme on ne tourne plus en studio, il nous arrive de perdre des lieux de tournage pour différentes raisons : l’endroit a été la proie des flammes, les gens ont vendu leur maison, etc. J’y suis habituée, maintenant, mais je trouve ça toujours plate quand un lieu important lié à un personnage n’existe plus. Il faut réajuster le tir. Ce qui est le plus navrant, c’est quand une personne de la distribution a un problème de santé... Je me rappelle que j’écrivais avec Guy Fournier à l’époque du décès de Marie-Soleil Tougas. On avait plusieurs épisodes d’écrits et on s’est demandé ce qu’on faisait. À ce moment-là, c’était Guy Fournier qui était l’auteur principal, et il avait pris la décision de choisir une autre comédienne pour interpréter son personnage. Vite en début de carrière, j’ai vécu ces situations-là, alors je suis en mesure de me revirer assez rapidement quand il y a un problème. Ça arrive, des gens qui ont des problèmes de santé et qui ne peuvent pas tourner; on réussit à s’en sortir. C’est déjà assez dramatique quand on perd quelqu’un, alors on essaie de rendre ça le plus agréable possible sur le plateau.
Quelle relation avez-vous avec la critique, autant celle des gens du milieu que celle du public?
Je ne m’en soucie pas vraiment. Je ne regarde pas beaucoup les réseaux sociaux puisque je l’ai fait à quelques reprises et que j’ai tendance à me rappeler le commentaire négatif et pas les 350 autres positifs... Quand j’écrivais Providence, les réseaux sociaux n’existaient pas. Des fois, je recevais des lettres, mais quand les gens prenaient le temps de m’écrire, c’était habituellement positif. Avec les réseaux sociaux, j’avoue que je me protège, parce que je me suis rendu compte que ça pouvait me blesser plus que je le pensais. Je ne m’endurcis pas, au contraire : on dirait que c’est de plus en plus difficile. Je me dis que je n’aime pas mieux regarder ça.
Pour ce qui est des critiques plus officielles, ça fait toujours mal quand on se fait dire que ce qu’on écrit, ce n’est pas bon, que telle autre série est meilleure. Des fois, les comparaisons, je trouve que ça n’a pas sa place... Quand il y a une critique sur une série, on ne devrait pas en dénigrer une autre par ricochet. Je trouve ça toujours délicat et difficile à lire. J’essaie de ne pas m’en faire avec ça.
J’ai une anecdote : les critiques positives dans les journaux, je les découpais et les gardais, mais les critiques négatives, je ne les gardais pas, parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui n’aimera pas ce que j’écris. On n’aime pas tout ce qui se fait; c’est normal. On m’a demandé plusieurs années plus tard si j’avais des extraits de critiques d’une de mes pièces de théâtre, Amies à vie, qui avait été jouée par Nicole LeBlanc et Pauline Martin. Ça avait été un gros succès. À l’époque, j’imprimais ça sur une imprimante à jet d’encre, alors quand j’ai ressorti les critiques, toutes positives, elles étaient toutes effacées. Je me suis dit : Ben coudonc; c’est peut-être mieux de ne pas s’accrocher aux critiques, qu’elles soient positives ou négatives.
J’essaie donc de ne pas trop m’en faire avec ça; de ne pas trop m’enfler la tête quand c’est positif et de ne pas trop déprimer quand c’est négatif. On fait tous et toutes de notre mieux pour que la série soit bonne. On fait tout ce qu’on peut. Je vais retravailler, réécrire, ajuster en fonction des journées de tournage... Je suis très souple comme autrice, parce que je veux que ce soit le meilleur possible. J’y vais avec la famille, avec le groupe, et on veut que ce soit bon. Personne ne veut offrir une mauvaise série ou un mauvais film! On veut tellement que ça marche, on travaille tellement fort à toutes les étapes de la production... Je me dis : tant mieux quand les gens aiment ça, et si les gens aiment moins ça, il faut qu’on essaie de se réaligner ou de se dire que le projet n’a pas été un succès.
Je trouve que j’ai été très privilégiée. J’ai toujours eu autour de moi des gens qui croyaient en moi et qui m’encourageaient. Ça aide beaucoup! Les producteurs qui mettent en priorité leurs auteurs parce que c’est la matière première, ceux qui ont compris ça, me donnent des ailes. Quand on croit en moi et qu’on ne me tasse pas pour dire ah, tout à coup, ce n’est plus ta série, c’est celle du réalisateur ou de la réalisatrice
... il n’y a rien de pire pour m’enlever le goût d’écrire. J’ai eu la chance de tomber sur Jocelyn Deschênes, à Sphère Média, et ce n’est pas pour rien que j’ai fait toutes mes séries avec cette boîte. Je sens qu’il y a un respect de mon travail. Je reçois beaucoup de soutien et d’encouragement.
Vous avez plusieurs années d’expérience comme scénariste. Avec le recul, quel élément du métier vous surprend-il le plus par rapport à l’idée que vous vous en étiez faite?
La déception que j’ai eue, c’est que je pensais vraiment que le travail des scénaristes était plus reconnu que ça. Ça me surprend toujours quand je regarde les émissions et qu’on n’invite que les comédiens et comédiennes, et non pas les auteurs et autrices, qui connaissent leur série de fond en comble. Le système est plus axé sur les vedettes, ce qui fait en sorte que les gens ne connaissent pas ce métier-là. C’est une des raisons qui expliquent le manque de relève. Tout le monde cherche des auteurs, surtout actuellement. Pendant la pandémie, les séries télé ont été très populaires. Le public en redemande, sauf que ça prend des auteurs pour les écrire! Je me dis que ça donnerait certainement un coup de main pour le recrutement de scénaristes si le métier était plus valorisé et mieux payé. Il y a encore des auteurs qui travaillent dans des conditions très difficiles, ce qui peut rebuter des scénaristes en devenir.
Le manque de visibilité du métier continue de me surprendre. Là, je vais mettre mon chapeau de présidente de la SARTEC, mais je regardais les Gémeaux cette année, et on parlait des métiers de l’ombre, comme celui de scripte de plateau, de cadreur et... d’auteur. Ça m’a tiquée.
Tous les métiers de la télé sont importants, sauf que l’auteur, c’est celui qui apporte la matière première. C’est à partir de son travail que le directeur photo va faire ses choix artistiques. C’est de là que tout part.
Sans les textes, les producteurs ne peuvent pas aller chercher de sous pour financer leur projet, alors ça me sidère que ce soit considéré comme un métier de l’ombre. Ce qu’on veut, ce sont des auteurs qui mettent leur cœur, leur univers sur papier, et qui le décrivent assez bien pour que toute une équipe puisse partir de ça pour le tourner.
On me demande si j’écris ce que les comédiens disent à l’écran. Je réponds que oui, mais que je fais beaucoup plus que ça. L’univers, c’est moi qui l’ai trouvé, qui l’ai décrit. Les personnages, c’est moi qui les crée. Ce qui me surprend d’autant plus, c’est qu’au début de ma carrière, certains collègues écrivains m’avaient mise en garde par rapport à ça. On m’avait dit : Tu vas voir, tu vas écrire un film pendant 5 ans, et pour 28 jours de tournage, on va t’oublier
. C’est ce qui m’est arrivé avec mon premier film. J’ai travaillé pendant cinq ans sur le scénario, inspiré d’une histoire personnelle, et tout à coup, on oublie de mentionner mon nom; tout le mérite revient soudainement à la réalisation. Je me disais que ça allait changer avec les années, mais force est de constater que ce n’est pas le cas. C’est une grande déception, parce que ça perdure malgré le travail de la SARTEC et des auteurs qui lèvent la main pour souligner l’importance de leur rôle dans une production. Des fois, je rêve d’une grève générale où tous les auteurs arrêtent d’écrire pendant six mois pour voir comment l’industrie réagirait... Je trouve ça déplorable et, surtout en étant à la SARTEC, j’en reçois, des témoignages de désolation, de peine. Il y a des expériences qui font que des auteurs n’écriront plus jamais parce que leur travail n’est pas estimé. J’espère que ça va changer, qu’on va continuer de se battre pour qu’il y ait une reconnaissance de ce travail-là, qui est vraiment à la base. En plus, les scénaristes, on a habituellement des personnalités un peu plus discrètes, donc c’est plus difficile pour la majorité d’entre nous de prendre parole et de dire qu’on l’a écrit ce scénario-là, qu’on a bûché fort. On ne le dit pas haut et fort, alors on reste pris avec cette frustration.
Vous avez touché à plusieurs domaines dans votre carrière : la télé, le théâtre, le roman, le cinéma... Pourquoi la télé vous attire-t-elle autant?
Je dirais que, comme scénariste, c’est là où j’ai pu le plus apprendre mon métier. La télé me donnait l’occasion d’écrire tous les jours, de voir ce que j’écris produit, joué et réalisé. Je peux donc déterminer assez vite si mon écriture est assez précise sans être trop lourde. Plus on écrit, plus on apprend notre métier. Pour moi, la télé, c’est d’être dans l’action tout le temps, parce que quand on est en production, il y a tout cet échange qui arrive avec l’équipe de production, la réalisation, les interprètes... Ce sont ces relations qui font qu’on apprend notre métier et qu’on peut en vivre. La télé m’a permis de gagner ma vie en pratiquant le métier de scénariste, et c’est là où j’ai le plus de fun.
Chantal Cadieux, merci beaucoup!
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel. Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste
, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
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La quatrième saison de la série Une autre histoire est offerte sur ICI Tou.tv. Les trois premières le sont sur l’Extra.
Les cinq saisons de Mémoires vives peuvent être regardées sur l’Extra d’ICI Tou.tv.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
!