Scènes de nudité : une coordonnatrice d’intimité explique son métier
Entrevue avec Roxane Néron, qui exerce le métier de coordonnatrice d'intimité sur les tournages.
Sur les plateaux de tournage de film ou de série télé, il est obligatoire d’avoir une personne pour coordonner les scènes de cascades. Ce n’est pas le cas pour les scènes intimes entre les comédiennes et les comédiens. Mais depuis l’avènement du mouvement #MoiAussi, l’embauche de personnes pour coordonner de telles scènes est de plus en plus courante. Entrevue avec Roxane Néron, qui exerce ce métier.
Roxane Néron est récemment devenue coordonnatrice d’intimité. Elle travaillait dans le milieu de la télévision et du cinéma comme assistante-réalisatrice et recherchiste depuis quelques années. C’est l’année dernière qu’elle a découvert le métier de coordinatrice d’intimité.
Ça a été une révélation et c’était pertinent, car j’ai un baccalauréat en sexologie. C’est le mix parfait de mes deux champs d’expertise. J’ai évalué ce qui se faisait ailleurs et, avec une collègue sexologue, on a monté notre propre programme
, explique-t-elle.
D’ailleurs, Roxane Néron, qui est de plus en plus populaire auprès des productions, fait un parallèle avec la coordination des scènes de cascades.
Le coordinateur de cascades est là pour s’assurer que personne ne se blesse un genou, moi je m’assure que personne n'a de problème au niveau de sa santé mentale après le tournage d’une scène intime.
D’ailleurs,en avril dernier, l’Union des artistes disait vouloir inclure la fonction de coordonnateur ou coordonnatrice d’intimité dans l’entente collective. Des négociations ont commencé en 2019 et se poursuivent avec l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM).
Un travail primordial en amont
Un coordonnateur ou une coordonnatrice d’intimité travaille beaucoup avant le tournage pour s’assurer que les scènes intimes, des simples baisers aux scènes plus explicites, respectent l’intégrité et les limites des gens qu’on filme. Il ou elle peut aussi proposer des modifications pour rendre certaines scènes plus réalistes. Mon travail en préproduction est très pertinent. Je rencontre le réalisateur, qui m’explique ses intentions pour chaque scène, puis les acteurs et actrices individuellement pour leur présenter le tout.
Sa présence peut aussi être bénéfique sur le plateau. Tout dépend du type de scène et des demandes des comédiennes et comédiens. C’est du cas par cas et ça dépend aussi du budget de la production.
Si c’est seulement un long baiser langoureux, que c’est clair, que la communication entre le réalisateur et les comédiens se passe bien, il se peut que je n’aie pas besoin d’être là, car on a déjà décortiqué la scène
, explique Roxane Néron.
Être présente lors des tournages
D’autres scènes vont requérir sa présence lors du tournage. Si dans un scénario, on lit que Guy et Laurence font l’amour – il y a plusieurs façons de faire l’amour, plusieurs intentions de faire ça –, dans de tels cas, ma présence est nécessaire
, précise-t-elle.
Évidemment, dans le scénario, la production essaie généralement de décrire le plus possible le déroulement d’une scène afin que les comédiens et comédiennes sachent à l’avance le niveau d’intimité et de nudité requis. D’ailleurs, une nouvelle annexe de nudité au contrat d’engagement est prévue dans les contrats de l’UDA que signent les comédiennes et comédiens.
Mais dans les faits, ça reste de la création pour la production. Ça se peut qu’on commence le tournage, que ça évolue et que finalement le réalisateur et les acteurs et actrices décident de peaufiner l’histoire. Parfois de trop le développer avant de commencer à tourner, ça restreint le niveau créatif de l'œuvre. Les coordonnatrices et coordonnateurs d’intimité aident à mieux comprendre les intentions des réalisateurs et réalisatrices pour mieux les appuyer et que ça soit bien compris de part et d’autre. Je relis tous les fils, toutes les intentions. Je m'assure que tout va être fait dans les règles de l’art
, décrit Roxane Néron.
Lorsqu’une scène comme Guy et Laurence font l’amour
se présente dans un scénario, Roxane Néron va poser des questions à la personne à la réalisation pour savoir comment elle la voit.
Comment font-ils l'amour? Est-ce que ça fait un mois ou deux jours qu’ils n’ont pas fait l’amour? Je pose plusieurs questions et on décortique la scène, tant sur l’intention que sur la manière de la filmer. Combien de caméras y aura-t-il? Qu’est-ce qu’on a besoin de voir? Est-ce que c’est correct si la comédienne ne veut pas qu’on voie le haut de son corps?
L’utilisation d'accessoires et vêtements techniques
Évidemment, la nudité n’est pas toujours obligatoire dans des scènes. Des gens peuvent aussi ne pas se sentir à l’aise de se dénuder.
Ce n’est pas parce que je vois une poitrine en plein écran que ça va donner une scène plus intime. De faire un gros plan sur des mains qui se tiennent fort, ça peut faire ressentir leur désir. Il y a plusieurs façons de montrer une connexion entre deux personnes qui font l’amour autre qu’en montrant des seins
, pense Roxane Néron.
Plusieurs autres options sont possibles, notamment de filmer de manière différente ou d’utiliser des accessoires techniques.
Il faut aussi s'assurer que le département des costumes et accessoires peut fournir ce type de vêtements et accessoires : par exemple des culottes de la même couleur de peau que celle de la comédienne ou du comédien, des cache-mamelons, des cache-sexes ou des prothèses génitales.
Outre l’aspect technique, il faut aussi que l’énergie passe bien entre les deux personnes qui tournent une scène. Elles ont une caméra sur elles et sont en train de jouer. Les deux personnes rentrent dans leur intimité, dans leur jeu. S’il y a un malentendu, leur jeu peut en être affecté. Il faut s’assurer que le courant passe
, ajoute Roxane Néron.
S’assurer du réalisme des scènes
L’un des aspects du travail de cette coordonnatrice d’intimité est également de s’assurer que les scènes correspondent à la réalité.
Roxane Néron donne l’exemple d’une scène dont elle est fière.
Dans un scénario, il était écrit : Alexandra se prépare, se maquille. Elle reçoit un texto. Ça l’allume. Elle va dans la douche se masturber. Quand j’ai lu ça, je ne trouvais pas que c’était réaliste. J’ai proposé qu’elle ne retourne pas dans la douche, où on l'entendait sans la voir. On a proposé à la comédienne de le faire à la caméra, car dans la vraie vie, une femme ne retournerait pas se masturber dans la douche. On en a beaucoup parlé, on a travaillé ensemble et ma proposition a été acceptée
, explique Roxane Néron.
Son travail est aussi de s’assurer que les positions demandées cadrent avec la réalité. Je m’assure qu’on amène la scène à bon port avec quelque chose de vrai et intime
, ajoute-t-elle.
Un reportage de RAD sur les coordonnatrices et coordonnateurs d'intimité
Montrer la sexualité féminine
Roxane Néron veut également démocratiser la sexualité féminine. Elle raconte que dans une scène, deux protagonistes devaient avoir une petite vite
. Quand on est arrivés sur le lieu du tournage, ce n’était pas très ergonomique. On a proposé que ce soit un cunnilingus. On l’a joué comme ça. Je devais m’assurer que la tête était au bon endroit et qu’il y avait une protection. Ça a amené la scène à un autre niveau d’intimité et de réalité.
Dans son travail, elle doit aussi s’assurer qu’il n’y a pas trop de prises et qu’il n’y a pas de remarques inopportunes. Elle s’assure aussi que ce qui a été entendu lors des rencontres prétournage est respecté.
Elle ajoute que son travail n’est pas seulement de rassurer les jeunes comédiennes, mais aussi de s’assurer qu’un acteur d’un certain âge qui doit embrasser une actrice de 16 ans soit à l’aise, par exemple. S’il n’est pas bien, je m’assure qu’on décortique la scène, qu’on en parle et qu’on nomme les choses pour dénouer le nœud que ça a pu créer dans le ventre.
Roxane Néron pense que la présence d’une personne pour coordonner les scènes d’intimité devrait être obligatoire pour les tournages.
C’est une cascade de niveau émotionnel et sentimental, par opposition à une cascade physique.