Secrets de scénariste : Florence Lafond
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste
, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
Il y a peu de temps, Florence Lafond, qui a travaillé sur son premier projet comme scénariste, a accepté de répondre à nos quelques questions sur le métier. Elle a en effet eu son baptême de feu en écrivant la série dramatique Je voudrais qu’on m’efface, fiction adaptée du roman du même nom d’Anaïs Barbeau-Lavalette, en compagnie du réalisateur et scénariste Eric Piccoli.
Voici le compte rendu de cet entretien.
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Tu as occupé plusieurs rôles sur des productions avant de devenir scénariste. Quels apprentissages as-tu réalisés lors de ces nombreuses expériences?
Je suis surtout scripte sur les plateaux de tournage, c’est mon métier principal. J’ai étudié à l’Université du Québec à Montréal en cinéma : je me suis spécialisée en réalisation et ensuite, j’ai commencé à travailler sur des plateaux de tournage. C’est comme ça qu’Eric Piccoli et moi nous sommes rencontrés. J’étais scripte sur Écrivain public, une série qu’il a aussi écrite et réalisée. C’est lui qui m’a donné mon premier contrat de scénarisation.
Entre-temps, j’ai fait des courts métrages que j’ai réalisés et j’ai participé à certains concours de scénarisation. Je te dirais que je développe un peu plus ma carrière de scénariste présentement tout en étant scripte, mais c’est sûr que cette expérience m’a apporté un énorme avantage parce que je connais la réalité des plateaux et des productions. Je dois être collée au scénario puisque je suis le bras droit à la réalisation pour tout ce qui est continuité narrative et jeu.
Quand je travaille sur une série, il est fréquent que ce ne soit pas le réalisateur qui l’ait écrite, ce qui fait que j’ai souvent une meilleure connaissance de la continuité de chaque personnage que le réalisateur, parce que lui, il doit se concentrer sur un tas de trucs. Par exemple, c’est moi qui dis qu’à tel moment, le personnage n’a pas encore vécu tel événement, et que sa réaction ne peut pas être aussi intense. Avant de me lancer en scénarisation, j’avais déjà une bonne connaissance de base en écriture de scénario pour que celui-ci soit bien capté par l’équipe, ce qui est primordial parce que le scénario, c’est un outil de travail. C’est une première écriture. Ensuite, il y a le tournage et le montage.
Quand tu écris, il faut que la vision soit claire pour tout le monde sur le plateau. Je pense que toute mon expérience de scripte m’a appris à prendre l’outil du scénario et de faire le bon choix de mots, ce qui est extrêmement important.
J’aime utiliser cet exemple : c’est très différent si on écrit des chevaux tirant un chariot galopent au loin
et des sabots sont en mouvement sur la neige
. Tout de suite, il y a une différence entre un gros plan et un plan large. Sans que ce soit mentionné explicitement, il y a une façon d’écrire pour qu’on voie ce qu’on va mettre en images. Je pense que mon expérience de scripte m’a énormément aidée là-dedans.
Veux-tu autant toucher à la réalisation qu’à la scénarisation? As-tu un objectif précis en tête?
Pour des projets plus personnels, j’aime beaucoup la réalisation. Mais jadore aussi l’écriture et la coécriture. Je trouve que c’est une très belle façon de se relancer et d’aller un peu plus loin dans le matériel, surtout pour ce qui est de la série. Souvent, tu as une immense variété de personnages et je trouve que la coécriture le sert bien. On peut se relancer entre coauteurs et ça permet de mieux saisir certaines sensibilités qui sont présentes chez l’une ou l’autre personne qui travaille au scénario. J’aime beaucoup la scénarisation, mais je souhaite aussi poursuivre ma voie dans la réalisation.
Quel est le principal défi quand on adapte un livre pour la télé?
En fait, dans ce cas-ci, ça a été un dur choix, mais on a décidé de s’écarter beaucoup du livre. Quand Eric m’a approchée, il voulait adapter le roman et il y avait cette idée de base de transposer l’action d’Hochelaga à Saint-Michel. Déjà là, il fallait adapter les enjeux, les personnages afin de mieux se coller à la réalité de ce quartier. C’était une volonté de la part d’Eric de s’éloigner d’Écrivain public qui se déroulait dans Hochelaga, de présenter un autre aspect de Montréal. C’est comme ça qu’on a commencé à s’éloigner un peu du roman.
Ce qui est important quand on adapte une œuvre, c’est d’en garder l’essence, c’est-à-dire le ton, ce qui s’en dégage, ce qui s’en ressent.
Je pense que c’était très clair pour nous qu’on voulait aborder les mêmes idées : la pauvreté, les inégalités sociales et les maladresses d’amour parental quand les ressources ne sont pas suffisantes autour de toi pour élever ton enfant adéquatement. C’était la base et ce qu’on a fait, c’est qu’on a résumé le roman dans ses grandes lignes en faisant une sorte de scène à scène pour observer comment il était construit, quelle était la dynamique entre les personnages. On a gardé le cœur : c’est un immeuble à logements où il y a des familles qui cohabitent sans jamais vraiment se rendre compte de cette coexistence, mais ça se transforme au cours du récit. C’est de voir comment on évolue avec ces familles, mais aussi de garder cet amour qui lie les personnages entre eux.
À partir de là, on a modifié les idées pour les adapter à ce nouveau milieu de vie en plus de vieillir les personnages. On trouvait ça plus intéressant qu’ils soient dans l’adolescence et non dans l’enfance. Ça nous permettait d’avoir des lieux qu’on trouvait propices à l’histoire dans Saint-Michel, comme l’école secondaire, la maison des jeunes. Le changement d’âge, ça a tout changé l’histoire, surtout celle des enfants.
Que retiens-tu de ton expérience sur Je voudrais qu’on m’efface?
Le travail. C’est la première fois que j’écrivais quelque chose d’aussi long et complexe. C’est beaucoup de boulot que de construire autant de personnages, de lignes narratives, et de voir comment on entrecroise tous ces récits-là. Je te dirais que ça a été le plus grand défi.
Ce que je retiens beaucoup, c’est une sorte d’éthique de travail où on a fait énormément de recherche. On s’est entourés de consultants. J’ai visité des centres pour femmes violentées, j’ai rencontré des spécialistes en intervention sociale; on était d’ailleurs suivis par une intervenante de rue à Saint-Michel. On a une belle collaboration avec la Maison d’Haïti. On a parlé à des profs d’école secondaire. Cette recherche était essentielle pour le projet, qui est du même type que le cinéma social, même si ça reste une série.
Tout ce travail nous a beaucoup nourris et nous a forcés à avoir une certaine flexibilité en réalisant le projet, puisqu’on raconte une réalité. On pouvait décider de changer de direction après avoir fait certains apprentissages.
Parfois, il y a des choses qui se traduisent mal et qu’il faut dramatiser davantage. À l’inverse, on peut décider de ne pas montrer certains événements parce qu’ils ne sont pas payants à l’écran. Tout ce travail en amont qu’on fait pour la recherche et la construction de l’identité des personnages, pour que ça fasse écho à la réalité, a probablement été l’aspect le plus motivant du projet.
D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
J’ai toujours été extrêmement sensible aux arts. Quand j’étais petite, j’écoutais de la musique classique et j’essayais de deviner les instruments. Mes parents m’ont inscrite dans une école d’art, de la maternelle au secondaire 5. Toute jeune, la seule chose que je connaissais, c’était les comédiens. C’était eux qui me racontaient des histoires quand je regardais les émissions à la télé – je voulais être comédienne.
En secondaire 4, ma prof m’a chargée de la mise en scène d’une pièce et ça a été le coup de foudre. Je me suis rendu compte que ce qui m’animait, c’était pas tant de jouer une scène que de l’inventer, de la diriger et de voir comment on racontait les choses.
Je viens d’une famille où mes deux parents sont travailleurs sociaux, j’ai travaillé longtemps dans le communautaire... Quand j’étais étudiante, je travaillais auprès de personnes ayant une déficience intellectuelle. J’ai grandi dans Pointe-Saint-Charles. Tout ce qui est engagement social a toujours été proche de moi, alors lier cette expérience à l’écriture et à cette partie de moi plus artistique, c’est très motivant. Je veux continuer dans cette lignée-là et allier les deux autant que possible.
Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
Je pense qu’on peut créer une bonne série à partir de tout, mais il faut aussi savoir comment la raconter. Il faut s’adapter à l’histoire qu’on écrit. J’ai l’impression que parfois, comme scénariste, il faut avoir une idée claire de ce qu’on veut raconter, mais il faut aussi se laisser aller à l’histoire. C’est ce que j’ai appris en faisant cette série.
Il faut garder une certaine flexibilité et, en cours d’écriture, réaliser l’histoire qui se dessine. Il faut prendre ce recul. On peut tout inventer en fiction, mais après avoir pris cette distance, on doit se demander la réelle signification de ce qu’on a écrit.
Je pense que les scénaristes de grand talent sont capables de prendre ce pas de recul et d’être conscients de l’effet de leur écriture. C’est comme une espèce de distance qu’on prend pour se rendre compte de ce qu’on raconte, des forces et des faiblesses. Aussi, il faut faire part d’ouverture à la critique et être capable de modifier le scénario en cours de route. Bref, la flexibilité est essentielle en écriture.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’écriture?
C’est la prise de distance. Il y a un moment où tu as le nez tellement collé sur ce que tu écris que ça devient difficile d’avoir un jugement objectif, comme dans le cas où on se réjouit d’avoir enfin trouvé quelque chose après avoir bûché sur une scène particulièrement difficile à écrire. Peut-être que tous les efforts qu’on vient de déployer n’étaient pas bons, mais au moins, le travail est amorcé. La scène qu’on croit être inutile va mener à une meilleure scène. Il n’y a rien qui est jeté à la poubelle, même s’il y a énormément de choses qu’on écrit qui ne se retrouvent pas à l’écran. Je pense que c’est ça le plus difficile : apprendre à se remettre en question constamment, accepter de jeter des choses à la poubelle sans se taper dessus, et de se dire plutôt que ça continue à nourrir son écriture.
Et qu’est-ce qui est le plus satisfaisant?
Il y a des petits moments de grâce qui arrivent à l’écriture. Je n’aime pas l’espèce de mythe de l’écrivain illuminé, mais reste qu’il y a des moments où tu sens que ça fonctionne, ça se fait tout seul. Quand tu as vraiment bien compris la quête de tes personnages, ce qui les nourrit et exactement comment ils sont habités et quelles seront leurs réactions c’est à ce moment-là qu’il y a des scènes qui s’écrivent presque automatiquement. Il faut que tout le travail ait été fait en amont, mais il y a ces moments de grâce qui t’amènent dans un monde où tu ne pensais pas aller.
Je me rappelle une scène que j’ai particulièrement aimé écrire pour Je voudrais qu’on m’efface : c’est celle de l’affrontement entre Meg et Luc, son chum, quand elle va le revoir et qu’elle lui en veut d’avoir abandonné ses enfants. On a osé aller dans quelque chose de très cru et pour nous, c’était une scène utile. Il fallait que Meg le fasse pour évaluer toutes ses options.
Normalement, ça aurait été une scène un peu accessoire et technique, comme un engrenage, mais finalement, je pense que c’est devenu beaucoup plus que ça : Meg accuse son chum des pires saloperies tout en étant consciente qu’elle a participé à tout ça. Il y a ces petites scènes qui sont censées être plus des liants, mais qui deviennent finalement des nœuds dramatiques vraiment intéressants.
Où trouves-tu ton plaisir comme scénariste?
Je te dirais d’abord que c’est assez brutal de revoir à l’écran ce que tu as écrit. En plus, il y a souvent une longue période de temps qui s’écoule entre ce que tu écris et le jour où tu le vois. Mais c’est sûr qu’il y a une immense satisfaction : j’ai été très contente de voir le portrait général du quartier et tous ces visages qu’on n’avait jamais vus à l’écran. C’est le fun parce qu’Eric m’a beaucoup incluse dans tout le processus, dont le choix de la distribution. Il me tenait au courant et on en parlait beaucoup.
Il y a évidemment quelque chose de magnifique dans le fait de voir tes mots prendre vie. Parfois, il y avait de la magie dans Je voudrais qu’on m’efface – dans les personnages secondaires, dans la distribution des profs ou des intervenants. C’est vraiment ça qui a formé la série; pas juste les personnages principaux, mais tout le monde qui gravite autour d’eux. Il faut leur accorder une importance et à l’écriture, on a passé beaucoup de temps à bien travailler les figures positives dans la série – parce qu’elle est assez lourde. La distribution avait une importance capitale dans la transposition des mots à l’écran. Ça a été vraiment beau pour moi de découvrir tout ça.
Merci beaucoup!
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Pour regarder la nouvelle série Je voudrais qu’on m’efface, adaptation du roman du même titre d’Anaïs Barbeau-Lavalette, rendez-vous sur ICI Tou.tv.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
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