Secrets de scénariste : Eric Piccoli
En cette période où bien des gens passent plus de temps à la maison qu’auparavant, pandémie oblige, les séries télé sont quasiment devenues un service essentiel.
Si une grande partie des personnes passionnées du petit écran sont familières avec le format télévisuel, peu d’entre elles connaissent les rouages du métier de scénariste de séries télé. C’est dans cette optique que nous avons eu l’idée de lancer Secrets de scénariste
, des billets où vous pourrez en savoir davantage sur ce métier hors de l’ordinaire ainsi que sur la vision de ceux et celles qui le pratiquent.
Récemment, le réalisateur et scénariste Eric Piccoli a eu la gentillesse de répondre à nos questions sur l’écriture pour la télé et le cinéma. Au cours des dernières années, il a été particulièrement occupé, puisqu’il a travaillé sur de nombreux projets, dont les séries Écrivain public et Temps mort, ainsi que les documentaires Le dernier felquiste, Mon père, Elvis et Cannabis illégal, en plus d’être cofondateur de la boîte de production Babel Films. Je voudrais qu’on m’efface, la nouvelle série qu’il a réalisée et coécrite avec Florence Lafond, est offerte depuis peu sur ICI Tou.tv.
Voici le compte rendu de la discussion.
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D’où t’est venue la passion pour l’écriture et la scénarisation?
J’ai l’impression que ça a toujours fait partie de mon approche comme réalisateur. En souhaitant réaliser des histoires, je devenais un peu l’auteur de mes projets par défaut. La création a toujours été en moi. Même quand je faisais de la musique ou que je dessinais, j’avais besoin de créer quelque chose qui était sensiblement original, même si ça ne l’est jamais vraiment. Ironiquement, je n’étais vraiment pas très doué en français. (Rires) Comme le métier de réalisateur t’oblige à connaître un peu tous les autres postes de l’équipe – tu dois être bon dans tout, excellent dans rien –, j’ai été exposé à mes propres faiblesses d’écriture au cégep, puis à l’université. Au cégep, j’ai un peu corrigé le tir pour l’écriture. Ensuite, à l’université, je me suis dit que si je voulais devenir un meilleur créateur, il fallait que je suive des cours de littérature. De fil en aiguille, je me suis mis à lire et à écrire plus.
Ce qui t’intéressait d’abord, c’était la réalisation. Est-ce que c’est en étudiant dans le domaine que tu t’es rendu compte que tu n’avais pas le choix de connaître une base de scénarisation?
C’est indissociable dans la mesure où je n’ai jamais réalisé un projet que je n’ai pas écrit. C’est toujours venu en duo. Quand on commence, on a juste le goût de sortir avec un Kodak et d’aller tourner avec ses amis. Rapidement, tu réalises que ce que tu as écrit ne fonctionne pas. (Rires)
Tranquillement, je me suis aperçu que l’écriture pour la télé et le cinéma était une forme d’art à part entière et que ça pouvait être aussi beau que l’écriture d’un roman.
Je suis autodidacte à certains égards; il y a donc beaucoup de choses que j’ai faites par moi-même. À force de bûcher, ton travail est éventuellement présenté devant une foule, et c’est dans ces moments-là que tu réalises qu’il te reste des trucs à peaufiner. (Rires)
Tu as travaillé sur des projets pour le cinéma et la télé, en fiction et en documentaire, comme scénariste et réalisateur. Est-ce important pour toi de toucher à différents genres et de porter plusieurs chapeaux?
Pour ce qui est des genres, j’ose croire que tout est un peu lié dans la mesure où les propos que je mets de l’avant à l’écran font nécessairement partie de mes champs d’intérêt dans la vie, tels que les enjeux sociaux et les laissés-pour-compte de notre société. Vu que j’ai baigné un peu dans l’univers social, j’ai réalisé que c’est là que je pouvais être utile, que ma réelle empathie se trouve.
Il faut être capable de capter l’histoire des autres et d’en faire la nôtre, de raconter sans juger et ne pas être complaisant non plus. Il ne faut pas avoir peur d’aller dans des zones inconfortables.
Après, l’inconfort, ça appartient au public, pas à moi, mais c’est à lui de se poser des questions à savoir pourquoi il réagit d’une certaine façon devant une histoire. Souvent, ce qui fait que tu es pris dramatiquement dans un récit, c’est que tu ressens des émotions.
Pour ce qui est du documentaire, c’est une autre sorte d’écriture. Souvent, on va préparer un projet et le tourner avant d’écrire l’histoire en travaillant sur le montage. En fiction, c’est l’inverse. Là où les deux genres se rejoignent, c’est qu’ils nécessitent de la recherche. Quand on écrit sur des sujets plus précis ou délicats, il faut se rendre sur le terrain afin de créer des liens de confiance avec les gens dont tu racontes l’histoire. Comme réalisateur et scénariste, le documentaire m’oblige à mettre mon ego de côté dans tout le processus parce que ce qui m’intéresse, c’est le sujet, comme un prof qui en arrache, par exemple. Pour réussir à bien raconter cette histoire, mon ego ne peut pas s’y immiscer.
En fiction, le travail en amont me permet d’avoir une plus grande humilité et d’arrêter de penser à l’effet que je fais dans le milieu culturel. Ça m’amène à réfléchir à ma responsabilité par rapport au sujet que je traite, ce que je trouve très enrichissant en plus de m’enlever une certaine pression parce qu’on vit beaucoup en se regardant dans le miroir dans le milieu culturel. Je trouve que c’est intéressant d’arrêter un peu de se comparer ou du moins de le faire pour les bonnes raisons; quand ça devient plus positif que négatif.
Est-ce important pour toi que tes projets portent un message?
Je ne serais pas capable de travailler sur un projet que j’estime ne pas avoir de sens. J’ai compris que là où je suis confiant et je me sens bon, c’est quand je traite d’enjeux de société de façon à mener à une réflexion. C’est comme un musicien qui répète toujours le même morceau : ça devient enivrant parce qu’il touche à un certain sacré et qu’il s’améliore constamment. Moi, j’ai réalisé qu’en écrivant là-dessus, ça me donnait un sens. Ça devient très personnel, rendu là. Ça ne veut pas dire qu’un jour, je ne pourrais pas écrire une histoire avec les mêmes sujets et enjeux dans un univers un peu plus drôle ou même dans un suspense. Mais ça doit me toucher; c’est la première chose que je recherche.
Est-ce que tu vises toujours à aborder des thèmes différents d’un projet à l’autre?
Je pense que tout finit par se connecter et que l’œuvre précédente nourrit la prochaine de façon indirecte. Tout est à peu près dans tout, alors la recherche est globale. J’acquiers de l’expérience qui ne me sera pas nécessairement utile dans un projet, mais qui pourra l’être dans un autre. Ce qui est important pour toi, tu vas t’en souvenir.
Dans la série Je voudrais qu’on m’efface, il y a un personnage de travailleuse de rue interprétée par Marie-Évelyne Lessard, et des fois, j’avais le goût de connaître son histoire. Est-ce que ça va donner lieu à un nouveau projet avec un personnage principal de travailleuse de rue? Je ne le sais pas, mais il arrive souvent que des moments de la sorte nous mènent vers autre chose. Avant de travailler sur Je voudrais qu’on m’efface, j’ai fait la série Écrivain public. Je n’aurais jamais fait ce projet d’adaptation sans avoir réalisé le premier.
Quel est le principal défi quand on adapte un livre pour la télé?
C’est de transposer la poésie de l’autrice et d’en faire quelque chose qui vit tout seul sans que les gens aient nécessairement lu le livre.
J’aime ça quand les œuvres demeurent intactes et qu’ensuite, les gens qui regardent les adaptations faites au cinéma ou à la télé ont une nouvelle surprise, une nouvelle lecture de la proposition. C’est un gros défi.
Florence [Lafond] (la coscénariste de Je voudrais qu’on m’efface) et moi avons transposé l’histoire d’Hochelaga dans Saint-Michel, alors, déjà en partant, il y avait tout ce travail de prendre le contexte dans lequel les personnages évoluent et de le placer dans un autre quartier. Ça nous a permis de traiter des enjeux qui sont spécifiques à ce lieu, mais aussi d’éviter de répéter ce qui était dans le livre.
Que retiens-tu de ton expérience sur Je voudrais qu’on m’efface?
Que la collaboration, c’est la clé de tout, autant quand vient le temps de faire de la recherche de terrain ou d’écrire un scénario crédible, en tenant compte des apprentissages réalisés pendant les visites au centre communautaire du quartier, [que quand il faut] avoir de nouvelles perspectives par rapport à des personnages, à l’adolescence. Florence a apporté une vision différente de la mienne sur le regard que peut avoir une société sur les femmes, par exemple. Ça ne se retrouve pas tant dans l’histoire nécessairement, mais ça demeure en filigrane.
La participation des interprètes afro-québécois dès le début de la lecture des scénarios a aussi été très nourrissante. On leur communiquait des idées et leurs commentaires nourrissaient notre écriture. Aussi, ça nous a sûrement évité de tomber dans certains pièges. Ça peut être souffrant à écrire, mais c’est très enivrant quand tu réalises des apprentissages qui te permettent de maîtriser le sujet avant de défendre ton projet et de le partager avec les gens.
Comment est-ce qu’une idée de série te vient en tête? Est-ce un processus parfaitement conscient, ou plutôt aléatoire?
Ça fait longtemps que j’écris de la série, alors on dirait que c’est devenu un réflexe. Je pense souvent en film ou en série parce que je ne consomme que ça ou presque. C’est sûr que comme le roman est une histoire chorale, on trouvait que c’était une bonne idée de faire une série parce qu’on pouvait isoler les personnages par segment. Cela nous permettait d’utiliser l’absence d’autres personnages dans certaines histoires ou de faire des croisés intéressants.
Quels sont les ingrédients essentiels pour créer une bonne série?
Avoir du cran. Quand j’écris, je n’ai pas peur de me mettre en danger et d’aller dans des endroits vraiment inconfortables pour le public parce que j’écris aussi pour lui. J’essaie de me mettre dans la peau de quelqu’un qui regarde une histoire et qui en sera chamboulé. Il y a ces mécanismes-là qui sont intéressants.
Je pense que le propos derrière mes histoires et les enjeux sociaux dont je traite sont importants, mais jamais la série ne doit devenir un pamphlet. Je n’ai pas envie de donner de leçons morales à personne. Qui suis-je pour faire la morale de toute façon?
Des fois, proposer des pistes de réflexion dans des histoires avec des personnages qui sont dans des zones grises, ça peut être intéressant. Un personnage de femme qui fait de la prostitution dans Saint-Michel, ça me permet de mettre un visage et une voix sur un groupe de femmes qui ont rarement l’occasion de s’exprimer ou d’être humanisées au Québec, ce que je trouve intéressant et important.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’écriture?
La discipline. (Rires) J’ai l’impression qu’écrire, c’est l’affaire la plus facile à faire pour tout le monde – dans la mesure où dès que tu maîtrises le moindrement le français, tu peux écrire –, mais que personne ne le fait. C’est souffrant : on est seul avec soi-même. C’est plus facile de raconter quelque chose de vive voix que de s’asseoir et de bâtir un plan créatif où les intrigues et les trames vont se répondre et se parler.
Dans la vie, je fais plein de choses : je réalise, j’ai ma boîte de production, Babels Films, je travaille souvent sur plusieurs projets en même temps, et on dirait que l’écriture vient tout le temps en dernier. Je sais toutefois que ça devient enrichissant quand je me mets à juste écrire. Je dois m’obliger à le faire. C’est un peu comme aller au gym ou avoir une hygiène de vie respectable : tu sais que tu devrais le faire, mais tu trouves un empêchement parce qu’il y a toujours autre chose… Quand tu écris, il y a cette distraction-là. J’imagine que c’est pour ça qu’il y a autant d’oiseaux de nuit parmi les gens qui écrivent. Moi, je travaille bien quand il est tard et que je me retrouve un peu tout seul avec moi-même; c’est peut-être ce qui explique ça.
Qu’est-ce qui est le plus satisfaisant?
Il y a deux trucs : la plupart du temps, je réalise ce que j’ai écrit avec d’autres scénaristes. Ce qui est vraiment le fun, c’est le moment où les interprètes jouent les textes et que tu réalises que, non seulement ça se tient, mais ça crée un effet Wow!
. C’est un peu comme si on avait créé la vie. Je compare ça au sentiment du créateur de Frankenstein : tu as mis les pièces ensemble, activé la machine et, soudainement, ça prend vie.
L’autre truc que je me dis souvent, c’est que quand j’écris, je deviens auteur, je ne suis plus réalisateur, même si c’est assez indissociable. Quand j’arrive à l’étape où j’ai peur de réaliser mon propre scénario, ça veut dire que je suis rendu à une étape vraiment le fun, parce que l’auteur a peur que le réalisateur ne fasse pas une bonne job avec les textes. C’est tellement bon que moi, comme réalisateur, j’ai peur de ne pas être à la hauteur.
Je l’ai dit tantôt, mais j’écris rarement des scénarios seul. Ce qui explique mon choix, c’est que le métier de scénariste est assez solitaire, et que de travailler avec quelqu’un qui a une autre perspective, une autre richesse de vie, d’expériences, de sensibilités, ça fait juste nourrir l’histoire. C’est ce que Florence a apporté au scénario. Je trouve que c’est vraiment intéressant parce que ça me motive et que l’expérience acquise lors de l’écriture d’un scénario me fait grandir comme personne.
Eric Piccoli, merci beaucoup!
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Pour regarder la nouvelle série Je voudrais qu’on m’efface, adaptation du roman du même titre d’Anaïs Barbeau-Lavalette, rendez-vous sur ICI Tou.tv.
Si vous n’avez toujours pas vu la série Écrivain public, elle est actuellement offerte sur la plateforme TV5 Unis.
La série documentaire Le dernier felquiste est sur Club Illico.
À bientôt pour un autre billet de la série Secrets de scénariste
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