Jérémie Larouche : motiver les humoristes de demain
Jérémie Larouche est un vétéran du milieu de l’humour. Au cours des 10 dernières années, il a étudié à l’École nationale de l’humour, s’est donné en spectacle des centaines de fois, a animé des émissions de télé à saveur humoristique en plus de participer à leur écriture... Disons qu’il n’a pas besoin de s’inventer des loisirs pour remplir son curriculum vitae.
Avec toute son expérience, il était donc la personne toute désignée pour être à la barre de la série web Cultive ton comique qui est disponible sur la plateforme ICI Tou.tv depuis quelques semaines déjà. Déclinée en 11 épisodes, la série propose une sorte de formation en accéléré aux humoristes en herbe qui souhaitent développer leurs habiletés afin d’écrire et de jouer un numéro comique.
Pour en savoir plus sur Cultive ton comique, sur son animateur ainsi que sur le métier d’humoriste, nous avons piqué un brin de jasette avec celui-ci récemment.
Voici ce qu’il avait à nous dire.
Peux-tu te présenter brièvement?
Mon nom est Jérémie Larouche. Je suis un homme blanc cisgenre de 6 pieds 3, j’ai 36 ans et deux enfants. De plus, c’est très important, je suis un fanatique de chips au ketchup. Sinon, je suis humoriste depuis 10 ans et j’enseigne à l’École nationale de l’humour. Je fais du stand-up, mais aussi de la marionnette humoristique. Je fais un spectacle qui s’appelle La saga des étoiles qui résume les six premiers films de la série Star Wars avec des marionnettes en carton en une heure et demie. C’est vraiment niaiseux. Je fais ce genre de numéros, une sorte de théâtre-objet avec des marionnettes en carton ou des objets que j’ai fabriqués. Dans mon stand-up, c’est plus généralement anecdotique, comme des histoires père-filles, moi qui ai été papa à 18 ans pour la première fois. Je fais aussi des vidéos YouTube avec mes filles. C’est souvent très geek, mes affaires.
Qui t’a influencé dans ton art?
J’ai grandi en regardant les Chick’n Swell. C’est sûr que du minimalisme impressionnant et niaiseux, c’est vraiment quelque chose qui me fascine. Sinon, je suis fâché que Robot chicken (une émission à sketches humoristiques américaine) existe parce que ce n’est pas moi qui la fais. C’est comme un rêve de pouvoir faire ça, même si on n’a pas nécessairement ce budget et ces possibilités-là au Québec. Sinon, en stand-up, je suis un gros fan de Marc Maron et de son podcast. Son authenticité vient vraiment me chercher; sans filtre, sans jugement. Au Québec, j’adore Korine Côté et Mariana Mazza. Je les trouve vraiment inspirantes sur scène dans leur façon de faire des blagues. Mariana a un franc-parler, une énergie et une complicité exceptionnelle avec le public. Korine est capable de faire tous les gags possibles et inimaginables sur un sujet qui, d’emblée, semblait anodin, en abordant tous ses angles. Elle est très économe; elle va donc pouvoir faire de l’humour longtemps, comme elle n’aura pas tout exploré. Je pense qu’elle a parlé de 3 affaires en 15 ans de carrière. (Rires) Il y a Mathieu Cyr aussi qui m’a beaucoup influencé; je le trouve vraiment bon pour établir une relation de proximité avec son public. Tu as l’impression que c’est ton ami à la fin du spectacle tellement il est chaleureux. Il y a aussi Pascal Morrissette, un gars que j’aime particulièrement. On a fait de l’impro ensemble au secondaire. Je l’apprécie pour son côté pétillant, sa belle naïveté. Il est toujours de bonne humeur; c’est un bébé Golden Retriever. Je fais pas mal de télévision jeunesse maintenant et je m’inspire beaucoup de ce qu’il fait. Ah oui, une autre de mes inspirations, c’est Catherine Ethier : j’adore la musicalité de ses blagues. Son humour est travaillé et rigoureux. Je suis toujours impressionné quand elle écrit un billet d’humour.
Cela fait quelques semaines que la série Cultive ton comique a été lancée sur ICI Tou.tv. Peux-tu nous la décrire?
Cultive ton comique, c’est un genre de classe de maître qui t’explique en 11 étapes faciles comment écrire un numéro d’humour. Ça part de la volonté de faire quelque chose de drôle; on commence avec une définition de ce qu’est une œuvre humoristique, ce n’est pas nécessairement obligé d’être du stand-up. On explique comment trouver des idées, comment les tester. On discute aussi du remue-méninges, de la structure des idées et des blagues avec les différents procédés humoristiques.
C’est très large dans la façon dont on l’approche. Le contenu est surtout axé vers le stand-up, mais les notions s’appliquent un peu à n’importe quoi : quelqu’un qui voudrait faire un bon PowerPoint comique à son travail pourrait utiliser les techniques qui sont données dans la série.
J’aborde aussi des techniques pour répéter et mémoriser un numéro ainsi que pour se préparer pour une prestation. Après, on explique comment se lancer dans le vide et s’abandonner, et surtout, comment réécouter, réécrire et le refaire, ce qui est souvent le plus difficile. C’est un genre de condensé d’une formation à l’École nationale de l’humour.
Est-ce que Louise Richer, la directrice de l’École nationale de l’humour, t’en veut, d’ailleurs?
Mais non! Le projet est né d’une collaboration de Juste pour rire, d’ICI Tou.tv et de l’École nationale de l’humour. Il n’y a rien qui va remplacer une formation intensive de deux ans où tu as une épée de Damoclès au-dessus de la tête. L’École a tout à gagner à ce que ce genre de contenu soit diffusé, parce que plus il y aura d’humoristes dans l’industrie, meilleur le milieu va être; ça pousse tout le monde vers le haut.
À qui s’adresse la série?
À la base, on voulait cibler les jeunes (de 13 à 20 ans) dans le ton et l’esthétique, mais en même temps, vraiment n’importe qui peut regarder ça. C’est sûr que si tu es une personne qui fait de l’impro, une personne drôle, ça peut être le petit coup de pied pour faire ça plus sérieusement. Le but, c’est de cultiver ton comique, d’où le nom de la série.
D’où est venue l’idée?
Durant le confinement, comme il avait été annoncé que les écoles seraient fermées pour un petit bout de temps, les gens de Juste pour rire se sont dit qu’il serait intéressant de remettre le bon vieux concours Jeunes pour rire au goût du jour et ainsi permettre aux jeunes de se divertir. Ils se sont associés à l’École de l’humour et à ICI Tou.tv pour développer une série vidéo éducative, mais aussi divertissante. Ensuite, il y a eu un volet concours qui encourageait les jeunes à participer en envoyant leur candidature en vidéo. (Le jeudi 13 août à 19 h sur la page Facebook d'ICI TOU.TV, les 5 candidats choisis par le Jury du Concours Jeunes pour rires présenteront des vidéos humoristiques lors d'un rendez-vous en direct animé par Jérémie Larouche auquel participeront des invités du milieu de l'humour.) J’ai embarqué dans le projet quand ils m’ont approché pour l’animer. Je n’avais pas vraiment le choix d’accepter : ils m’ont dit que ça allait être moi. J’étais super content qu’ils me fassent confiance. En même temps, je les comprends : j’étais indéniablement le meilleur choix possible. (Rires) Ça m’a beaucoup touché quand ils m’ont demandé ça.
Quel est le conseil le plus précieux que quelqu’un t’a donné dans le milieu de l’humour?
Il y a des bonnes phrases que j’ai entendues, comme Ferme-la quand les gens rient
. Dans le sens que, des fois, au début, on a tellement peur des silences qu’on va enchaîner en parlant, alors que le public était encore en train de rire. Sinon, je pense que la plus grande qualité d’un stand-up, c’est l’écoute. Être à l’écoute de son public : est-ce que les gens rient ou non? Est-ce que je suis allé trop loin ou pas assez? Un numéro d’humour, c’est une discussion que tu as avec les spectateurs. Quand tu fais ton gag, leur réaction va dicter comment tu vas envoyer le prochain. Même qu’il arrive que leur réaction détermine quelle sera la prochaine blague que tu vas faire parce qu’avec l’expérience, tu peux changer l’ordre établi avant d’embarquer sur scène. C’est vivant, les spectateurs ne regardent pas un DVD. Je crois aussi que les personnes du milieu de l’humour doivent être davantage à l’écoute au sens large : avec nos collègues pour savoir s’il y a un malaise ou pour nous permettre de remarquer des comportements déplacés.
Il est grand temps qu’on s’ouvre les yeux, puisqu’il y a visiblement un problème dans le milieu du divertissement au Québec, comme on a pu le constater avec la récente vague de dénonciations sur les médias sociaux.
Selon toi, qu’est-ce qui est le plus difficile à maîtriser sur scène pour être efficace en humour?
Trouver son identité. Au départ, quand tu commences, tu ressembles toujours aux gens que tu aimes, et c’est normal, ce sont tes influences. Ce dont je me rends compte après 10 ans de carrière, c’est que plus j’ai d’expérience, plus j’ai intellectualisé mes affaires, plus j’ai essayé des trucs, et plus ce que je fais ressemble à ce que je faisais d’instinct à mes débuts, alors que je n’avais pas étudié l’humour. C’est bizarre, mais des fois, tu reviens exactement à tes premiers amours, parce que tu sais que c’est fondamentalement toi. Ça te prend un long pèlerinage pour te rendre compte que tu étais là tout ce temps-là.
Trouver ton personnage de scène, ta voix, ton clown, ta couleur, c’est ce qui est le plus long et le plus difficile à maîtriser.
Il y a des gens qui commencent avec des couleurs hyper originales, mais pas tout le temps polyvalentes. Si on regarde le bon vieux numéro des faucons de François Bellefeuille, on s’aperçoit vite qu’il gueule tout le long. Ça n’aurait pas été possible de faire deux heures de spectacle avec ce personnage-là. François a su le travailler pour qu’il y ait plus d’ondulation dans son personnage. Quand j’ai commencé à faire du stand-up avec François Bellefeuille, il n’était pas un personnage. Il faisait des blagues en François; ce n’était pas la bibitte que l’on connaît aujourd’hui. Même chose pour Louis T : à ses débuts, il faisait ses numéros en chemise et en t-shirt jusqu’à ce qu’un beau jour, il se pointe en habit au Saint-Ciboire, disant qu’il voulait essayer ça. Son personnage s’est placé ensuite. C’est long, peaufiner son identité comme artiste.
Quelle est l’aptitude la plus importante pour réussir en humour selon toi?
Je pense qu’il y en a deux : le travail et l’intégrité. C’est un marathon, pas une course. Ça a l’air cliché, mais c’est vraiment ça. Il faut éviter de se comparer aux autres et de laisser la jalousie avoir le dessus. Je me rappelle qu’il y a quelques années à peine, Jay du Temple embarquait avec moi en auto pour aller à des soirées d’humour. Regarde où il est aujourd’hui. Je pourrais être fâché et amer, mais ça ne donne absolument rien. La notoriété n’enlève rien à la qualité de ton travail.
As-tu reçu des commentaires d’humoristes en herbe qui ont suivi tes conseils?
Oui. J’ai reçu des bons commentaires d’humoristes en herbe, mais aussi de collègues, qui trouvaient que le contenu était clair, simple et bien vulgarisé. Il y a même une prof de français qui m’a écrit pour me dire qu’elle allait [faire regarder] la série à ses élèves et leur demander d’écrire un numéro d’humour dans son cours parce que c’est un bon exercice pour travailler la langue. Ça m’a touché de savoir ça. Il y a plusieurs jeunes qui m’ont aussi écrit pour mentionner que ça les avait beaucoup inspirés, que j’étais chanceux de faire ça dans la vie. Il y a des gens qui m’ont parlé de l’épisode 5, celui où l’on explique l’éthique et l’angle humoristique. Je trouve que c’est un problème qui se répète souvent, dans le sens que les gens vont prendre un gag hors contexte et ne pas se casser la tête à savoir ce que l’artiste a voulu dire dans son numéro. Ce n’est pas ça, l’humour. Cet épisode fait la part des choses et apporte des nuances. Par exemple, la saga Mike Ward-Jérémy Gabriel : c’est sûr que si tu prends la blague hors contexte, elle est horrible, mais si tu la mets dans le spectacle, elle a raison d’être. Souvent, la majorité des gens vont condamner une blague sans même savoir de quoi elle traite dans son contexte. Ce qui est important, c’est ce que l’artiste veut dire, au-delà de la blague.
As-tu des suggestions pour les gens qui voudraient travailler des numéros pour les présenter éventuellement?
Oui! D’abord, écoutez ce que je dis dans Cultive ton comique. J’ai vraiment essayé de mettre le plus de choses possible. Et soyez aussi curieux et ouverts d’esprit. Regardez énormément de stand-up. Idéalement, si vous parlez anglais, vous avez accès à plein de matériel américain, britannique et autre d’excellente qualité. Consommez de l’humour le plus possible pour vous permettre d’en avoir une vue globale. Plus vous connaissez ça, plus vous en regardez, plus vous pouvez vous faire une idée et maîtriser la matière.
Merci beaucoup!
Pour regarder les 11 épisodes de la série Cultive ton comique, rendez-vous sur ICI Tou.tv.
Bon visionnage aux humoristes en herbe!