La fin de Lâcher prise : rencontre avec Isabelle Langlois
Valérie Danault (Sophie Cadieux) nous a dit adieu lundi soir, étant donné la diffusion du dernier épisode de Lâcher prise. Il a aussi fallu dire au revoir à Madeleine (Sylvie Léonard), à Kevin (Éric Paulhus) et à leurs répliques assassines et savoureuses. Celle qui les a écrites, Isabelle Langlois, parle de la fin de sa série.
Alerte aux divulgâcheurs : si vous n’avez pas vu l’épisode du 30 mars de Lâcher prise, ne lisez pas le reste de l’article.
Jointe par téléphone en cette période de pandémie de COVID-19, Isabelle Langlois avoue que le confinement n’a pas changé grand-chose à son quotidien, puisque le travail d’écriture est très solitaire. J’habite en campagne. Je marche dans la forêt avec mon chien. J’écoute plus les nouvelles
, raconte-t-elle.
Va-t-elle s’inspirer de la COVID-19 pour ses prochaines histoires? Les idées auxquelles je travaille n’allaient pas dans ce sens, mais on verra si ça peut y trouver une place
, souligne-t-elle.
Avant de penser à une éventuelle nouvelle série, Isabelle Langlois a fermé le livre de Lâcher prise le 30 mars, lors de la diffusion du dernier épisode. Toutefois, l’autrice avait fini d’écrire le scénario le 15 septembre dernier.
Une fin prévue
Dès le début, Isabelle Langlois savait comment la série se terminerait, sauf qu’elle pensait écrire seulement trois saisons. Finalement, il y en a eu quatre.
Je savais que ça finirait sur le rétablissement de Valérie. Quand je pense une histoire, j’ai des pivots, des repères, mais je l’écris une année à la fois. Je n’avais pas trois ans [d’écriture] de prêts. Les idées me viennent beaucoup en écrivant.
L’autrice souligne que l’histoire se module au fil de son écriture ou grâce aux suggestions des actrices et acteurs. Il arrive que des idées qu’elle pensait intéressantes le soient moins, et que d’autres prennent de l’importance. Parfois, une scène m’intéresse davantage. Je reste très à l’écoute de mes idées. Par exemple, quand les acteurs arrivent, j’ai déjà écrit 8 ou 10 épisodes, je commence à m’habituer à leur voix, et à leurs propositions, car j’estime qu’on a une garde partagée. Parfois, ils m’envoient de belles balles
, explique celle qui a aussi écrit la série Rumeurs.
Des personnages qui ont pris de l’importance
Lorsqu’Isabelle Langlois a commencé à écrire Lâcher prise, certains personnages n’avaient pas l’envergure qu’ils ont prise au fil des épisodes. Kevin, à l’origine, il était seulement le chum gai. La relation de Valérie n’était qu’avec son ex-mari. Lors de l’écriture, tout le monde aimait le personnage et en voulait plus. Tu y vas à tâtons, mais comme ils tripaient, il a pris de l’importance
, explique l’autrice.
Elle ajoute que la manière dont le comédien Éric Paulhus, qui interprète Kevin, a abordé son rôle a aussi justifié son choix.
Le personnage de Gilles, le père de Valérie, joué par Gildor Roy, devait aussi être moins important. Sa relation avec Madeleine a évolué, justifie Isabelle Langlois. Je ne pensais pas qu’il allait être là aussi longtemps. Tu regardes les acteurs et c’est inspirant. Il n’y a pas plus collaboratif que ce travail-là
, ajoute-t-elle.
Par ailleurs, comment Isabelle Langlois s’assure-t-elle que les répliques assassines, percutantes et savoureuses de Madeleine et Kevin atteignent la cible?
C’est un peu comme de la musique. Ça me vient relativement facilement, mais je les travaille beaucoup quand même. Entre Éric et Kevin, c’est comme un match de tennis. Madeleine, on lui laisse toute la place. Chacune de ses phrases devrait être un point final.
La scénariste explique que si l’on transcrivait le verbatim d’une conversation entre plusieurs personnes, il y aurait beaucoup de redites et de radotage. Son travail est d’écrire des dialogues qui imitent de véritables conversations, mais en faisant du ménage, c’est-à-dire en coupant des phrases. C’est de la comédie et de la fiction, alors il faut que ça soit efficace. La majorité du temps, je dis mes répliques à voix haute. Quand je ne le fais pas, ça se voit au rush. Je parle toute seule dans mon bureau
, explique Isabelle Langlois.
L’épuisement professionnel de Valérie
Lâcher prise est d’abord l’histoire de l’épuisement professionnel de Valérie. La série commence quand elle craque, et l’histoire se termine avec l’image de Valérie en famille et souriante. Toutefois, Isabelle Langlois se demande si l’on guérit vraiment de ce genre d’épreuve.
Quand on fait un burn-out, on garde une fragilité, mais elle existait avant et on pousse au maximum. Après, on est conscient de cette fragilité qui ne s’en va pas, mais on le sait
, explique Isabelle Langlois, qui a fait beaucoup de lectures sur le sujet et s’est inspirée d’expériences personnelles.
D’ailleurs, si la série s’est étalée sur quatre saisons, l’autrice rappelle que le récit a, en réalité, duré environ 18 mois, le temps d’un épuisement professionnel. Valérie en fera peut-être d’autres, mais elle a appris ses leçons
, pense-t-elle.
En quatre saisons, la relation entre Valérie et sa mère Madeleine a aussi beaucoup évolué. De tendue et conflictuelle, leur relation est devenue plus tendre et humaine. Madeleine est rendue ailleurs dans sa vie. Elle est passée de l’admiration à la retraite, ce qui a créé un grand vide. De la même manière que pour sa fille. C’est une occasion pour ces deux femmes de trouver un terrain de jeu possible pour toutes les deux
, explique Isabelle Langlois.
Évidemment, l’autrice avoue qu’elle a parfois amplifié la réalité, entre autres avec une thérapie de famille réunissant autant de personnes. Les thérapies de famille existent, mais pas avec autant de personnes et jamais avec tout le monde en même temps. C’est un étrange portrait. Aussi, je doute qu’une thérapeute mette ses clients à la porte, comme l’a fait Rachel [Danielle Proulx] à un moment donné
, souligne Isabelle Langlois.
Pourquoi une série sur l’épuisement professionnel?
Le sujet m’intéressait, car c’est tellement présent autour de moi, c’est un angle aveugle. Dans mon entourage, presque tout le monde en a fait un. Je voyais des gens qui pensaient que c’était plus efficace de prendre des médicaments pour gérer leur stress, qui développent de l’anxiété au lieu de prendre un pas de recul. Ça m’éblouissait qu’on pensait que les solutions étaient là, au lieu de réfléchir à notre travail et à notre relation.
Finalement, pourquoi avance-t-on de presque un an dans le récit lors des deux derniers épisodes? Mes épisodes durent 21 minutes, il y avait beaucoup de personnages et d’histoires, et je voulais tout conclure
, soutient-elle.
Par ailleurs, elle désirait qu’on voie les nouveaux parents avec leurs enfants et leur famille quelques mois plus tard. Elle était aussi heureuse d’avoir réuni Josianne (Christine Beaulieu) et Valérie lors de l’accouchement de cette dernière.
Pourquoi certains personnages n’étaient-ils pas présents lors du double baptême? C’est technique. Je ne pouvais avoir que 10 personnages par épisode. J’en ai eu seulement six à l’avant-dernier pour en avoir quatre de plus seulement
, explique-t-elle.
Une absente : Suzanne
La fin de la série nous apprend aussi la mort de Suzanne, dont on se doutait en ne voyant pas ce personnage aux baptêmes. Elle avait confié à Madeleine avoir découvert une bosse sur un sein. Puis, à un moment, on comprend que Gilles lui parle au téléphone après l’un de ses traitements de chimiothérapie.
Pourquoi ne la voit-on pas? En fait, c’est dans la dernière scène qu’on a la confirmation de sa mort, alors que Valérie place dans son livre le traditionnel signet remis aux funérailles d’une personne. Je trouvais que c’était une belle sortie et un beau clin d’œil. C’est une femme pas très éclatante, une mère traditionnelle, qui ne voulait pas déranger. Dans la thérapie, tout le monde a son mot, sauf elle. Elle s’est toujours occupée de Valérie, surtout quand elle était jeune
, explique Isabelle Langlois.
J’ai l’impression d’avoir bien bouclé toutes les boucles. J’aime beaucoup la dernière réplique de Valérie : “J’ai faim.” Ça termine bien
, conclut Isabelle Langlois.
Pour consulterle site de la série ou revoir les quatre saisons sur ICI Tou.tv