De commissions en théories

Les théories sur l'assassinat de Kennedy ont foisonné depuis 40 ans. Le film JFK, réalisé en 1991 par Oliver Stone, présente sans doute l'une des plus connues. Le long métrage relate l'unique procès de l'histoire des États-Unis pour le meurtre du président Kennedy, une cause menée en 1968 par le Procureur général de la Nouvelle-Orléans, Jim Garrison, contre le financier louisianais Clay Shaw.

Dans son film, Stone évoque la version de Garrison, « une hypothèse parmi d'autres hypothèses », précise le réalisateur, telle que ce dernier l'a énoncée dans son livre On the Trail of the Assassins, publié en 1988. Il évoque les liens entre Lee Harvey Oswald, Jack Ruby et la famille de Carlos Marcello, un patron mafieux de Louisiane. David Ferrie, un autre membre de la pègre, et Clay Shaw auraient, selon lui, été derrière l'assassinat.

Marina Oswald

La veuve de Lee Harvey Oswald, Marina Prusakova, refuse depuis 40 ans de croire que son mari a assassiné Kennedy et privilégie la théorie du complot. Et si son défunt mari était impliqué, dit-elle, il n'était certainement pas seul.

Elle croit aussi que Jack Ruby a tué Oswald pour qu'il ne parle pas, et elle pense que Lee Oswald travaillait pour le gouvernement américain. C'est ainsi qu'elle explique, dans une entrevue au Ladies Home Journal en 1990, qu'il avait reçu une formation en russe et qu'il avait tenté d'émigrer en URSS.

« Il avait appris le russe quand il faisait son service militaire, a-t-elle déclaré. Ne trouvez-vous pas étrange de voir un soldat ordinaire se faire enseigner le russe? Par ailleurs, il pouvait aller et venir en URSS assez facilement, et il m'a fait sortir de l'URSS très facilement. »

Marina Oswald ajoute que, dans les mois qui ont précédé l'assassinat de Kennedy, un homme se faisant passer pour Lee Harvey Oswald était apparu dans plusieurs lieux publics dans la région de Dallas. « J'ai appris par la suite que quelqu'un disant s'appeler Lee Harvey Oswald circulait dans la région dans une voiture et prenait des consommations dans un bar. Or, je peux vous l'assurer, Lee ne savait pas conduire et ne buvait pas. »

La critique américaine a été extrêmement sévère à l'endroit d'Oliver Stone en considérant son film comme une œuvre de propagande. Il est accusé d'avoir mêlé documents d'archives et fiction, et d'avoir utilisé nombre d'éléments de preuve qui n'ont été connus qu'après le véritable procès. Le film a certes placé les Américains dans la situation absurde de juger la valeur documentaire d'une œuvre de fiction.

La sortie de JFK a toutefois assez ébranlé le gouvernement américain pour qu'il dévoile 800 000 pages de documents des diverses commissions, dont 90 000 provenant des archives de la CIA, en août 1993. Les membres du Congrès ont aussi emboîté le pas afin de rétablir l'opinion du public américain à son égard et de se disculper de toute accusation de falsification. Une vaste opération qui a culminé avec la publication, en 1998, de l'ensemble des documents du Congrès sur l'assassinat de Kennedy, notamment sur le passé de Lee Harvey Oswald.

Les archives du Congrès

Mais avant le procès intenté par Garrison en 1968, d'autres ouvrages ont soutenu que la commission Warren avait erré dans ses conclusions. D'abord, en 1966, Edward Jay Epstein publie sa thèse de doctorat sous le titre Le rapport Epstein, dans laquelle il conclut que l'enquête de la commission a été bâclée et que le rapport a été rédigé dans le but de faire taire les critiques.

La même année, l'avocat Mark Lane, appelé par la famille à défendre les intérêts de Lee Harvey Oswald devant la commission Warren, reprend l'ensemble des témoignages écartés par la commission pour arriver à la conclusion que le présumé tireur n'avait pu agir seul, et même qu'il avait pu ne pas agir du tout.

Ces points de vue, ainsi que la cause très médiatisée de Jim Garrison, ont certainement contribué à la création d'une commission du Congrès qui a conclu, le 29 mars 1979, que « le président Kennedy avait probablement été assassiné à la suite d'un complot ».

En 1990, peu avant la sortie du film JFK, un Américain de 29 ans avait affirmé que son père, Roscoe White, un policier de Dallas alors décédé, avait fait partie d'un commando de trois agents de la CIA qui avaient assassiné Kennedy. Il lui aurait révélé ces faits sur son lit de mort. Lee Harvey Oswald aurait fait partie du complot, mais n'aurait pas tiré et aurait servi de bouc émissaire. White aurait également abattu le policier J. D. Tippit.

En 1995, un documentaire réalisé par la BBC mettait la faute sur trois agents de la pègre corse, recrutés par la mafia américaine pour assassiner Kennedy. La piste marseillaise était également évoquée.

Puis, en 2003, l'auteur français William Reymond lance une nouvelle théorie dans JFK - le dernier témoin, basé sur le témoignage d'un proche du vice-président Lyndon Baines Johnson, Billie Sol Estes. Celui-ci met directement M. Johnson et le cartel texan du pétrole en cause. Une empreinte digitale retrouvée au cinquième étage du Texas Book Depository aurait appartenu à un certain Mac Wallace, un tueur à la solde de Johnson.

Les détracteurs

Malgré les théories de complot qui pullulent, d'autres chercheurs ont au contraire cherché à valider les conclusions de la commission Warren à l'aide de méthodes qui n'existaient pas en 1963.

C'est notamment le cas de l'avocat Gerald Posner qui, en 1993, a voulu rectifier le « délire » entretenu sur l'assassinat de Kennedy par le film d'Oliver Stone. Dans son livre Case Closed : Lee Harvey Oswald and the assassination of JFK, Posner défend la thèse de l'assassin solitaire en réexaminant le film de Zapruder. Il tente de démontrer que la fenêtre de tir, initialement calculée à 5,6 secondes par la commission Warren, était plutôt de 8,5 secondes.

Enfin, le 20 novembre 2003, le réseau ABC a diffusé un nouveau documentaire, présenté par Peter Jennings, qui tente de prouver la véracité de la thèse officielle. ABC News a travaillé avec un expert qui a reconstitué par ordinateur la fusillade grâce à des cartes, des documents, des prises de mesures physiques et plus de 500 photos, sans oublier les films existants et les rapports d'autopsie. Il s'agit d'une nouvelle technologie, disponible seulement depuis quelques années et qui est aujourd'hui fréquemment utilisée lors des enquêtes criminelles.

À coups de nouveaux interviews et de documents, ABC conclut aussi que Jack Ruby, l'assassin d'Oswald, n'avait agi que par amour pour le président Kennedy. Le documentaire écorche également plusieurs interprétations évoquées dans le film JFK.

Aujourd'hui encore, 70 % des Américains n'endossent pas les conclusions de la commission Warren, selon le dernier sondage mené par ABCNews. Pour plusieurs, l'année 2029, où l'ensemble des documents secrets du FBI, de la CIA et de la Maison-Blanche relatifs à l'assassinat du président Kennedy doivent être rendus publics, pourrait répondre aux dernières interrogations. On s'attend notamment à ce que ces documents éclaircissent le passé de Lee Harvey Oswald.

Il reste que, quels que soient les éléments apportés par les partisans de la théorie du tireur unique ou par ceux de la théorie du complot, la controverse risque de se maintenir longtemps. La mort de Kennedy, en plus d'alimenter le mythe de sa présidence écourtée, reste le refuge de théories qui témoignent sans doute de l'impact puissant de l'homme dans les œillères de l'histoire. Peut-être même que le mythe lui-même ne serait pas ce qu'il est devenu, sans la controverse.