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La colère gronde chez les agriculteurs québécois

Les agriculteurs du Québec ne jettent peut-être pas de purin sur les édifices gouvernementaux comme le font leurs confrères français, mais ils sont eux aussi en colère de ne pas être soutenus davantage par l’État en ces temps difficiles.

Une femme exprimant sa colère dans une foule.

Des centaines d'agriculteurs, dont Marjolaine Turcotte, ont manifesté à Québec au début de décembre pour réclamer un plus grand soutien de l’État.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard

L’atmosphère était à couper au couteau au Centre des congrès de Québec, le 6 décembre dernier, lors de la période de questions du congrès annuel de l’Union des producteurs agricoles (UPA).

Après une vingtaine de minutes d’allocution, le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, André Lamontagne, s’est fait couper la parole par le président de l’UPA, Martin Caron. Ce dernier était pressé de donner le micro aux nombreux agriculteurs venus présenter leurs doléances au ministre.

La manœuvre a jeté un froid dans l’assemblée, mais pas autant que ce qui allait suivre.

Quand Philippe Le Guerrier s’est avancé, il a brandi des bottes.

Je vous ai écouté. Je n'ai pas l'impression qu'il y a un seul agriculteur dans la salle qui est rassuré. Je vous ai amené mes bottes de travail, si ça peut vous botter le cul pour agir!

Une citation de Philippe Le Guerrier, agriculteur, à l'intention du ministre André Lamontagne
Philippe Le Guerrier tient une carotte.

Philippe Le Guerrier est un producteur maraîcher biologique.

Photo : Radio-Canada / JF Brassard

Ce maraîcher biologique de Blainville, dans les Laurentides, est frappé de plein fouet par les effets des changements climatiques. L’été dernier, 319 millimètres de pluie sont tombés dans ses champs en un mois, ravageant presque entièrement sa récolte de betteraves.

Son intervention au micro a provoqué un malaise avant qu’un autre agriculteur ne vienne jeter de l’huile sur le feu.

Yves Laurencelle, président de la Fédération de l’UPA de la Capitale-Nationale–Côte-Nord, a montré du doigt ses confrères rassemblés derrière lui et a lancé : Ce sont des producteurs agricoles de ma région. Ils sont sur le bord de la faillite ou quasiment. Ils ne sont pas ici avec la gêne de faire faillite, ils sont ici pour venir m’appuyer à chaque fois que je vous dis que ça ne fonctionne pas dans les régions.

Selon Statistique Canada, le nombre de faillites dans les entreprises agricoles et forestières du Québec était de 23 % plus élevé en 2023 qu’en 2022.

Marie-Josée Daguerre, une maraîchère biologique, fait partie des statistiques. Elle était jusqu’à tout récemment copropriétaire de l’entreprise Les Jardins de la Pinède, à Oka, qui a dû fermer ses portes l’automne dernier.

L’entreprise serricole avait pourtant le vent dans les voiles.

Marie-Josée Daguerre regarde des plants de tomates morts.

Marie-Josée Daguerre, ex-copropriétaire des Jardins de la pinède à Oka, a dû mettre la clé sous la porte.

Photo : Radio-Canada

Portée par la stratégie de 2020 du gouvernement québécois, qui encourage la production en serres pour atteindre l’autonomie alimentaire, Les Jardins de la Pinède ont reçu une subvention de 600 000 $ pour construire un complexe de serres quatre saisons.

Mais les coûts de construction du projet explosent pendant la pandémie. Les partenaires réduisent près de moitié la superficie des serres pour s’adapter.

Mélanie Mathieu, consultante en agriculture, considère que c’est une erreur. Ça semble logique, sauf que si on coupe la superficie de production en deux, on a deux fois moins de revenus pour payer ce gros investissement-là, dit-elle. On se retrouve avec des frais d'exploitation supplémentaires qu’on doit payer avec la moitié des revenus projetés.

Marie-Josée Daguerre en convient. On aurait dû se rasseoir avec nos conseillères financières pour évaluer la viabilité financière du projet, reconnaît-elle. Mais on était tous emballés, contents que le projet débute. On ne regardait plus nécessairement les chiffres. C'est ça, le plus gros problème.

Portrait de Marie-Josée Daguerre.

Marie-Josée Daguerre au palais de justice de Saint-Jérôme, le 9 novembre dernier.

Photo : Radio-Canada

C’est au palais de justice de Saint-Jérôme que son rêve s’est terminé, le 9 novembre 2023. Le temps d’assister à une audience pour permettre aux institutions financières de vendre Les Jardins de la Pinède afin de rembourser les dettes de l’entreprise. La prochaine étape, c’est la faillite.

Je pars d'ici sans compte de banque, sans voiture, avec quelques meubles, mes sacs de vêtements, rien d'autre, regrette Mme Daguerre.

Mélanie Mathieu, elle, prévient les agriculteurs que le pire est à venir puisque plusieurs n’ont pas encore renouvelé leur hypothèque. Il faut savoir qu’en agriculture, on investit beaucoup plus que dans les autres secteurs économiques pour générer de l’argent.

Le ratio moyen est de 8 $ investis pour générer 1 $ de recettes annuelles, alors qu’il est de 2 pour 1 dans l’économie en général. La spécialiste en redressement de fermes affirme qu’on vit le calme avant la tempête. Présentement, je vois beaucoup plus de dossiers de redressement que de projets d'expansion.

Un millier d'agriculteurs dans les rues

Des manifestants tiennent une banderole sur laquelle est écrit « Placez-nous au cœur de la solution ».

Des centaines d'agriculteurs ont manifesté dans les rues de Québec le 6 décembre dernier.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard

La journée du 6 décembre dernier avait pourtant bien commencé : une marche pacifique et festive dans les rues de la capitale pour demander du soutien à Québec. Un millier d’agriculteurs venus remettre un manifeste au ministre Lamontagne, présent pour les accueillir devant le parlement, là où ont culminé les activités.

Haranguant la foule, le président de l’UPA, Martin Caron, a lancé : Le gouvernement du Québec met moins de 1 % de son budget en agriculture et en agroalimentaire. Ce n'est pas ça qu'on veut!

Une déclaration accueillie bruyamment par la foule.

Martin Caron s'adresse à la foule.

Martin Caron, président de l'UPA, lors de la manifestation du 6 décembre.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard

Questionné à ce sujet, le ministre André Lamontagne a répondu que les agriculteurs peuvent compter sur tout [son] soutien.

Mais depuis, aucun engagement clair n’a été pris par le gouvernement.

Il y a bien un projet de fonds dédié aux changements climatiques, mais rien de concret n’a encore été confirmé.

Le programme de l’assurance-récolte dédiée aux agriculteurs est en révision. La prochaine mouture doit être mise en œuvre à partir de l’automne prochain.

Une pancarte sur laquelle est écrit : « Que restera-t-il de l'autonomie, quand la paysannerie sera à l'agonie? »

L'anxiété de nombreux agriculteurs était claire, à l'occasion de cette marche.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard

André Lamontagne semble pourtant sensible aux difficultés des agriculteurs, affirmant même en entrevue qu'il lui arrive d’avoir le moral bas lui aussi.

Je suis conscient des défis d'être agriculteur ou agricultrice au Québec. L’été dernier, c'est venu me chercher, assure-t-il, en référence aux averses abondantes qui ont endommagé 60 % des superficies en cultures dans la majorité des régions du Québec.

Un homme à cravate en entrevue.

André Lamontagne, ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, assure qu'il compatit avec les agriculteurs en difficulté.

Photo : Radio-Canada / Michel Riverin

3 $ de l’heure pour un couple de maraîchers

L’été dernier, Alain Boucher et Marjolaine Turcotte ont dit adieu à leur métier de maraîcher.

La ferme Poulin-Turcotte existait depuis 40 ans à Sainte-Famille-de-l'Île-d'Orléans. Le couple avait pris la relève des parents de Marjolaine et offrait des paniers de légumes depuis 15 ans.

Après la pandémie, l’engouement pour la formule s'est essoufflé partout au Québec. Le couple n’y a pas échappé. Le nombre de leurs abonnés est passé de 200 à 95.

La météo désastreuse de l’été a grugé leurs dernières réserves d’énergie. Marjolaine estime qu’ils gagnaient 3 $ de l’heure chacun en tenant compte des nombreuses heures travaillées.

Ils ont abandonné le métier.

Le plus difficile, ça a été d’annoncer la décision à leurs clients, souligne Marjolaine Turcotte. Certains ont été vraiment fâchés de constater que, malgré tout le travail qu'on mettait, malgré la qualité de nos produits, on n'arrivait pas à en vivre dignement.

Un kiosque en bois sur lequel on peut lire « La p'tite cabane libre-service, Ferme Poulin-Turcotte ».

Marjolaine et Alain ne cultiveront plus qu'une superficie limitée afin d'approvisionner un point de vente en libre-service.

Photo : Radio-Canada

L’été prochain, l’agriculture ne sera qu’un passe-temps pour Marjolaine et Alain. Ils cultiveront une toute petite superficie. Ça leur permettra d'approvisionner un kiosque libre-service où les clients de passage laisseront l’argent de leurs achats dans une petite caisse.

On veut garder un certain lien avec les gens, dit Marjolaine. Je ne me sentais pas prête à marquer la fin d'une entreprise familiale qui a quand même 40 ans d'existence.

Ils ont maintenant chacun un travail à temps plein.

Un homme travaille sur le moteur d'une voiture.

Alain Boucher travaille maintenant à restaurer des voitures anciennes.

Photo : Radio-Canada / Jean-François Brassard

Alain est restaurateur d’automobiles anciennes, un métier qui le comble. Tu as des clients à satisfaire, mais ce n'est pas la même pression du tout. Et on s'entend que ce n'est pas la même paye non plus!

Marjolaine est quant à elle aide-cuisinière dans un restaurant. Elle est moins sereine qu’Alain face à sa nouvelle vie.

Si j'avais pu avoir une baguette magique qui aurait fait en sorte qu'on ait une rémunération convenable, c'est sûr que je l’aurais prise, dit-elle. J'aurais continué à faire pousser des légumes. Ce n'est pas normal que l'agriculture préoccupe plus qu'elle n'occupe. Et c'est vraiment ça qui nous a poussés vers la sortie.

Des tomates laissées à l'abandon dans une serre.

Le reportage de Julie Vaillancourt et de Mathieu Quintal.

Photo : Radio-Canada

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