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Dans le chaos de l’aliénation parentale : « Papa dit que t’es une cr**** de folle »

UN de TROIS - Doit-on interdire l’utilisation d’un concept devant les tribunaux parce qu’il nuirait à certaines femmes victimes de violence? Des féministes pensent que oui et demandent qu'on interdise les accusations d’aliénation parentale. D’autres cependant s’en offusquent. Alors, noir ou blanc? La vérité ici est loin d’un pile ou face. Pour s’y retrouver, un peu de « slow journalism » s’impose.

 Une jeune fille assise, prostrée, sur les marches d'un escalier.

Une jeune fille assise, prostrée, sur les marches d'un escalier.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

 Une jeune fille assise, prostrée, sur les marches d'un escalier.

Une jeune fille assise, prostrée, sur les marches d'un escalier.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Elle résume : « Mon ex est un monstre ».

Je lui demande de me raconter les débuts de son histoire avec lui.

On travaillait ensemble. Je le trouvais beau. Je l’avais dans la peau. Je suis tombée enceinte rapidement. J’étais heureuse, pleine de lui. Nous allions être trois, créer la vie, et un amour solide.

J’imagine Simone à cette époque-là de sa vie, le ventre rond rempli d’espoirs et d’amour pour son enfant à naître.

La petite naît un soir de juillet. Elle était magnifique, me dit Simone, comme une fleur, toute rose, elle sentait bon, mon cœur a explosé, je n’avais jamais éprouvé un sentiment si fort d’amour pour un autre humain.

Pourtant, cette période, Simone ne s’en souvient qu’avec angoisse.

À la naissance de l’enfant, son chum devient malin, cruel. Les premiers mois de la petite correspondent au début des insultes. Alors que jusque-là, Simone raconte ses souvenirs avec fluidité, son récit se dépose en suspens sur des silences de quelques secondes que je n’interromps pas. Elle prend une gorgée de sa tasse de thé. La dépose sur la table. Elle brasse un peu le sachet de thé dans l’eau bouillante en le fixant. Puis, elle me dit, les yeux rivés dans le fond de la tasse : Je vais te raconter un truc dont j’ai très très honte.

Un jour, on s’est chicanés en faisant la vaisselle. Il n’aimait pas ma façon de rincer les assiettes. Il m’a dit : je vais te tuer. Il a prononcé ça, lentement, froidement, en me regardant dans les yeux. Puis il y a eu des coups. Ils ont laissé des bleus qu’une amie attentive a su voir. Ma vieille chum d’enfance avait compris ce qui se passait même si je n’en parlais pas. Un jour, elle m’a dit : si tu ne sors pas de là, c’est moi qui vais t’en sortir de force. Je vais le dénoncer à la police.

Quand j’ai fini par le quitter, nous avons annoncé à la petite que papa et maman se séparaient. Mon ex lui a dit : Ta mère ne veut plus de nous. Elle veut seulement sucer d’autres bittes. J’étais sidérée par sa vulgarité. Comment pouvait-il dire de telles énormités à ma fille? Mais le pire, c’était de lui mettre dans la tête qu’en quittant leur papa, je l’abandonnais, elle.

Commence alors la vengeance du père.

Dans le chaos de l’aliénation parentale est une série de trois reportages qui seront publiés les samedis 6, 13 et 20 avril sur Radio-Canada.ca. Samedi prochain : Anatomie d'une controverse

Au début, la petite rentrait de sa semaine chez lui et recrachait candidement tout le venin qu'elle y avait entendu avec ses mots à lui sortant de sa petite bouche : Papa dit que tu es une crisse de folle. Papa dit que tu nous as abandonnés, etc. Quand je la récupérais, j’en avais pour des jours à l’amadouer, se souvient Simone.

Ce manège a duré des années; des années pénibles où l’enfant était continuellement en guerre contre sa mère au nom du père.

Un jour, adolescente, elle a pris ses affaires et elle est partie habiter chez lui, sans m’avertir. Ça fait deux ans que je n’ai plus de ses nouvelles.

Le deuil de sa relation avec sa fille l’a menée à la dépression. Pendant des mois, j’ai voulu me tuer, m’a-t-elle confié tout bas.

Ce n’est pas Gaza, ce n’est pas l’Ukraine, ni le Darfour, mais vous entrez ici, chers lecteurs, dans une zone de guerre, une guerre intime qui ravage ce qu’il y a de plus précieux, de plus fragile, de plus fondamental : le lien entre un parent et un enfant. Dans ce conflit sans merci, l’enfant est utilisé comme une arme de destruction massive.

Depuis des décennies, des chercheurs, des cliniciens, partout dans le monde, désignent l'instrumentalisation grave d’un enfant dans une rupture, son rapt psychologique, par deux mots : aliénation parentale.

L’aliénation parentale est le concept qui définit les contours du deuil de Simone et lui permet de ne pas sombrer. Mais cet hiver, ce concept-là est devenu la cible de critiques de plus en plus médiatisées. Certains proposent même de bannir le concept dans le système de justice.

Simone vit cette fronde contre ce concept comme un coup à l’estomac. Elle a l’impression qu’on nie sa souffrance. Elle est incrédule devant ce qu’elle ressent comme un manque d’empathie de la part de militantes qui disent vouloir défendre des femmes victimes de violence.

Elle a envie de sacrer, de crier. Et c’est pour cette raison qu’elle m’a écrit. Les journalistes reçoivent peu de courriels sur le temps qu’il fait, mettons. En général, les gens nous écrivent parce qu’ils veulent dénoncer une injustice, mais dans le cas de Simone, l’injustice, c’est ce qu’elle perçoit comme le manque de nuances dans le débat public entourant l’aliénation parentale, qu’elle trouvait pernicieux.

Un concept considéré comme un fléau sexiste

Résumons l’affaire : l’Association nationale femmes et droit est un organisme qui se consacre à faire avancer la réforme féministe du droit au Canada. Basée à Ottawa, l’ANFD a reçu, selon son bilan annuel, 427 888 $ en subventions publiques en 2023 et 390 954 $ en 2022. L’association, qui aura 50 ans cette année, jouit d’une certaine audience auprès des décideurs. Ses membres témoignent régulièrement devant des comités de la Chambre des communes et du Sénat afin d’offrir une expertise juridique féministe aux législateur·trices canadien·nes, peut-on lire sur leur site Internet.

En décembre 2022, le groupe dépose un mémoire à la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences dans lequel l’aliénation parentale est décrite comme une réelle nuisance pour les femmes.

Puis, début 2024, l’ANFD porte, cette fois-ci dans la sphère publique, son point de vue sur le concept de l’aliénation parentale. Son site Internet en donne un aperçu, alors qu’on y décrit l’aliénation parentale comme un système de croyances, qui n’a aucun fondement scientifique, de plus en plus utilisé pour punir les mères considérées comme hostiles ou rancunières, ou qui s’opposent aux contacts entre l’enfant et le père, peut-on lire sur le site de l’ANFD.

En gros, suivant cette interprétation du concept, un homme violent pourrait s’en servir pour mener des représailles contre son ex, du genre : Ben non, je ne suis pas violent, c’est mon ex qui tente de monter mes enfants contre moi. Et la mère victime de violence se retrouverait accusée d’aliénation parentale, renversant le fardeau de la preuve.

Fin janvier, The National Association of Women and the Law (NAWL), nom anglais de cette association féministe, tient une conférence de presse. Elle demande au ministre de la Justice Arif Virani, au nom d’une coalition de 250 organismes féministes à travers le Canada, de réformer la Loi sur le divorce et d'interdire l’utilisation du concept d’aliénation parentale devant les tribunaux. Cette demande fait mouche dans les médias du Canada anglais qui rapportent les propos des organisations féministes avec enthousiasme, à l'exception du National Post qui pointe du doigt le fait que des hommes sont – eux aussi – victimes d’aliénation parentale et traite au passage Femmes et droit de militantes woke.

Avez-vous lu La pitié dangereuse de Stefan Zweig? m’écrivait Simone dans son courriel, comme on lance une bouteille à la mer. Dans ce cas-ci, c’est la vertu dangereuse. Ces féministes ne se rendent pas compte qu’en voulant sauver un type de victimes, elles nuisent à d’autres victimes, à des hommes et des femmes, comme moi, qui ont perdu leurs enfants aux mains de l’aliénation parentale. Vous devriez, Madame Dubreuil, vous intéresser à ce sujet.

Son courriel allait me plonger, l’espace de quelques semaines, dans un pays de ruines affectives encore fumantes. Faire une incursion dans le chaos de l'aliénation parentale allait, de surcroît, me tarauder drôlement les méninges, comme un devoir de philo au cégep un peu compliqué, mais que je résumerais ainsi : peut-on en visant le bien avec un B majuscule se tromper de chemin? Qui plus est, cette controverse, une sorte d’allégorie sur la polarisation, allait me faire réfléchir sur notre métier de journaliste.

 Une jeune fille accoudée à une clôture.

Une jeune fille accoudée à une clôture.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Les extraterrestres de la cour d’école

J’avais 7 ans quand mes parents se sont séparés. Parmi tous les élèves de notre petite école, nous n’étions que quatre enfants dans cette situation. Je m’en souviens, car nous en parlions entre nous tant nous étions considérés, par les autres élèves et les enseignants, comme des extraterrestres.

J’aurai 49 ans en juin, faites le calcul. Plus de 40 ans ont passé depuis cette époque où un enfant du divorce était un oiseau rare. Aujourd’hui, au moins 40 % des familles sont monoparentales ou recomposées, près d’un enfant sur deux grandit avec des parents séparés. Et j’imagine que ces enfants entendent, rarement, parfois, et dans quelques cas, peut-être très souvent, sorti de la bouche d’un de leur parent : Ta mère est une ceci, ton père est un cela. Même dans les meilleures dispositions, les parents séparés ne se sont pas séparés pour rien et des mots de trop peuvent s'égarer. L’aliénation parentale est l’incarnation aiguë de ce mal qui pourrait autrement être banal, celui qui s’installe quand les mots s’emballent pour de bon. Et ceux qui en souffrent sont aux soins intensifs des cœurs brisés.

Quand mes parents m’ont annoncé qu’ils se séparaient, ils m’ont répété ad nauseam que, s’ils ne formaient plus un couple, ils formeraient toujours une équipe de parents solidaires. Ils ont opté pour une garde alternée, option encore très marginale quand j’étais petite.

Catherine*, l’une des quatre enfants du divorce que je côtoyais dans la cour d’école, était elle aussi en garde partagée. À la récréation, pendant que les autres jouaient au ballon poire, elle me racontait, souvent en détails, comment son père détestait sa mère. Puis elle s'est mise elle-même à traiter sa mère d’irresponsable, à me dire qu’elle n’était pas intelligente, etc.

Un jour, elle m’a annoncé qu’elle n’irait plus du tout chez elle et qu’elle appellerait dorénavant maman la nouvelle blonde de son père. Je me souviens, même enfant, avoir trouvé la rupture entre Catherine et sa mère bien étrange.

C’est en pensant à cette camarade de classe que j’ai lu et relu le courriel que Simone* m’avait envoyé fin janvier pour m’exposer le sujet de sa révolte.

Faut-il abolir un concept parce que certains en font mauvais usage?

En février, l’Association femmes et droit, appuyée par d’autres organismes féministes, a lancé une campagne en français et a demandé, cette fois, au provincial d’interdire le recours possible aux accusations d’aliénation parentale devant les tribunaux du Québec. Conformément à l'article 32 du Code civil du Québec, un parent qui se dit aliéné peut saisir la Cour supérieure et demander de suspendre la garde du parent qui ferait de l'aliénation parentale.

Ça m’empêche de dormir! Ça me fait brailler que des féministes puissent prétendre que ce que je vis, c’est un pseudo-concept. On dirait du mansplaining, m’a écrit Simone dans un nouveau message.

Elle me demande si je veux l’accompagner à une conférence de presse des groupes féministes en faveur de l’abolition, le lendemain. Je veux pouvoir leur parler et poser des questions.

J’hésite, puis je pense à Catherine. À quelle heure? Elle me donne une adresse que je connais bien, car l’immeuble est souvent l’hôte de conférences de presse.

Le matin du 7 février, le ciel est d’un gris sombre.

J’aperçois Simone de loin avec son bonnet orange et un foulard assorti qui m’attend devant la porte du Centre Saint-Pierre, rue de La Visitation, dans le Centre-Sud de Montréal. La couleur pimpante de son bonnet fait contraste avec le gris du ciel et la pâleur de son visage. La couleur me donne un peu de courage, me dit-elle d’une voix mal assurée.

La salle aux murs fades où se tient la conférence de presse est presque vide. Peu de journalistes ont répondu à l'appel. Pourtant, si l’on en croit les allocutions des trois représentantes des organismes qui prennent la parole, l’heure est grave. La violence fait rage dans trop de foyers.

Mathilde Trou, coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, est la première à parler. Puis, Justine Fortin, avocate et directrice des services aux personnes victimes et survivantes chez Juripop, fait une allocution vibrante.

Juripop a reçu l’an dernier 2 217 000 $ en subventions gouvernementales. L’organisme s’est forgé au fil des années un nom crédible dans l’univers du droit. Dans son dernier rapport annuel, Juripop se targue d’influencer les décideurs.

L’allocution de maître Fortin se conclut ainsi : Ce que l’on fait, à notre avis, c’est de laisser les mères dans la peur, dans la honte, et les enfants dans le silence.

Mais c’est à Suzanne Zaccour, directrice des affaires juridiques à l’Association nationale femmes et droit, que revient l’honneur de conclure. Elle explique que les accusations d’aliénation constituent un outil de prédilection des pères violents qui leur permet de continuer de contrôler mère et enfants après la séparation. Elle qualifie au passage le concept d’aliénation parentale de sexiste et de pseudo-science.

Mme Zaccour est une chercheuse féministe qui s’intéresse aux violences sexuelles et conjugales, au droit de la famille et au langage inclusif. Elle a corédigé une grammaire non sexiste de la langue française et un livre sur la culture du viol, et elle détient un doctorat de l’Université d'Oxford qu’elle a consacré aux violences sexuelles.

Au nom des trois organismes présents, elle demande au gouvernement du Québec d’interdire l'utilisation du concept d'aliénation parentale pour mettre fin à cette épidémie qui décime nos idéaux de justice, d'équité et de protection des victimes au Québec.

Mme Zaccour brandit comme argument le travail de la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes et les filles, Reem Al Salem, qui recommande dans un rapport publié en juin 2023 d’abolir les accusations d’aliénation parentale. On se souviendra que l'Association nationale femmes et droit a soumis en 2022 un mémoire dans ce sens à cette même rapporteuse spéciale.

Victimes contre victimes

Assise à côté de moi, Simone* se lève, demande la parole. Elle s’interroge sur la logique de la coalition.

À la cour, mon ex m'a accusée de beaucoup de choses, d'être abusive, d'être maltraitante. Est-ce que vous allez demander, la semaine prochaine, qu’on interdise les accusations d’abus, de maltraitance ou de négligence sous prétexte que certaines femmes sont faussement accusées de ça? leur demande-t-elle.

Simone est claire : Moi, ce que je vis a un nom et ça s’appelle de l’aliénation parentale. Vous qui vous dites féministes. Je suis quoi, moi? Une mauvaise victime? Vous n’allez pas me protéger? Vous allez me dire : toi, ce que tu vis, ça n'existe pas?

Suzanne Zaccour insiste : Il y a des situations qui existent, ça ne veut pas dire que le concept est approprié pour les décrire, avant d'y aller d’une métaphore alambiquée pour dire à Simone qu'elle comprend mal ou nomme mal ce qu'elle vit.

Les éclairs ont toujours existé. Pendant longtemps, on a dit que ce sont les dieux qui les lançaient sur terre. Maintenant, on sait que c'est un transfert d'électricité. Donc, il faut distinguer une situation de fait d’une théorie qui sert pour l'expliquer.

De nombreux médias francophones ont rapporté la demande de ces groupes féministes telle qu'exposée dans leur communiqué de presse, sans pousser davantage comme c’est souvent le cas; le train de l’information file à toute allure.

Il faut croire les victimes, mais pas nous?

Le jour où j’ai compris ce qui se passait, que mon enfant était victime d’un parent aliénant, j’ai pu aller chercher de l’aide spécialisée. Ça m’a permis de nommer le cauchemar que je vis et de trouver des moyens spécifiques pour essayer de rétablir le lien, m’avait expliqué Simone, quelques jours avant la conférence de presse, dans un café où elle avait donné rendez-vous à deux autres mères.

Les trois femmes se sont connues dans un groupe de soutien pour parents. Leurs histoires se ressemblent. Elles affirment toutes avoir été victimes de violence psychologique et, lors de la séparation, le père a utilisé l’enfant comme une arme.

Au café, les femmes ont parlé longuement, elles ont pleuré aussi.

Mélanie* revoit sa fille depuis peu, mais ce n’est pas facile. Mon ex est assez ésotérique. Il lui a fait croire depuis qu’elle est toute petite que mon âme était maléfique et que l’âme de son papa et d’elle-même sont pures. La petite a été terrorisée par cette image. Je ne l’ai pas vue pendant deux ans. Elle ne voulait plus me voir. J’ai été suicidaire pendant longtemps et j’ai survécu parce que je suis capable de nommer le calvaire que je vis.

Véronique*, qui a perdu le contact avec ses deux filles, me confiait que, depuis le début de la controverse, elle fuyait les réseaux sociaux. Je me désorganise quand j’entends ça. Depuis le mouvement Me Too, on dit qu’il faut écouter et croire les victimes, mais pas nous? On ne nous croit pas? Il y a des fausses accusations de viol, va-t-on les interdire à cause de ça? questionne-t-elle, les yeux embués de larmes.

En quelques semaines, j’en ai contemplé beaucoup, des yeux remplis de larmes, et entendu beaucoup de voix s’étrangler au milieu d’un récit.

Les mamans comme les papas qui vivent ça sont tellement démunis. Ils sont traqués. Tout ce qu’ils font est critiqué, m’explique-t-elle autour d’un café. C’est une mise en échec grave qui cause une souffrance extrême. Les papas comme les mamans ont besoin d’aide et ne pas leur en offrir revient, à mon avis, à ne pas porter assistance à personne en danger, dit Joanna Murphy, responsable de l’accompagnement des familles au Carrefour aliénation parentale.

Depuis 2017, le CAP a accompagné plus de 5000 parents. Joanna Murphy est presque une missionnaire tant les ravages méconnus de l’aliénation parentale sur les enfants et des parents la préoccupent. Depuis le début de la controverse, elle constate l'immense désarroi semé sur le terrain par le dénigrement du concept.

 Une jeune fille, triste, dans une cave vide.

Une jeune fille, triste, dans une cave vide.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Vos enfants ne vous aiment plus

Je me souviendrai toujours de l'avocate qui a dit au tribunal que mes enfants ne voulaient plus me voir parce qu’ils ne m'aimaient pas! « Vos enfants ne vous aiment plus! a-t-elle dit froidement.

Pierre* se tait sur ces mots, incapable de parler tant la douleur associée à ce souvenir est encore vive.

Pierre hésitait à me raconter son histoire, tellement la perte de ses enfants le met à l’envers. Mais il s’est décidé parce que, comme beaucoup d’autres parents victimes du rapt psychologique de ses enfants, il est ébranlé par la demande des groupes féministes et trouve injuste qu’on oublie dans ce débat les papas, qui sont nombreux.

La proportion de parents qui se retrouvent victimes d’une dynamique d'aliénation parentale, nous, ce que l’on voit au Carrefour Aliénation parentale (CAP), c’est 50-50, autant d’hommes que de femmes, et c’est aussi ce que l’on retrouve dans la littérature scientifique, m’avait expliqué Joanna Murphy.

Pierre a été aidé par le CAP. Son histoire est assez typique d’un cas d’aliénation sévère. Il y a des degrés comme dans toute chose.

La maman n’accepte pas la rupture. Au fil des mois qui suivent la séparation, les enfants sont de plus en plus en colère lorsqu’ils sont chez leur père. Ils s’enferment dans leur chambre, ne veulent pas partir en vacances avec lui. Pierre les amène chez un psychologue, il essaie le dialogue autant que faire se peut. Les enfants lui crachent au visage : Tu as abandonné notre mère.

La pandémie de COVID-19 arrive. La mère est contre les mesures sanitaires. Son discours se radicalise, celui des enfants aussi.

Pierre prend de grandes respirations pour étouffer ses sanglots alors qu’il me relate le point de rupture. Un jour, son ex lui laisse un message pour lui annoncer que ses gars ne retourneront pas chez lui. Elle précise que c'est la décision des enfants. Il lui demande une explication. Il écrit aux garçons. Aucune réponse.

L’affaire se transporte devant le tribunal. Pierre souligne à quel point il s’est senti impuissant à faire reconnaître le problème de l’aliénation dans l’appareil judiciaire.

J’ai dépensé des dizaines de milliers de dollars. J’ai demandé des analyses psycho-légales, mais l’avocate de la mère a fait traîner les procédures jusqu’à ce que mon plus vieux ait 12 ans , explique-t-il. 12 ans. Cet âge charnière où l’avis de l’enfant sur sa garde est pris en compte. La juge m’a donné un droit d’accès, mais les gars peuvent choisir de venir ou non. Ils ne sont jamais revenus.

L’homme a fini par se résigner à faire profil bas. À un moment donné, je me suis dit : Faut que je lâche, sinon je  vais mourir.

Avant de le quitter, j’ai demandé à Pierre ce qu’il dirait à son ex s'il pouvait lui parler. Il réfléchit puis soupire : Je lui demanderais pourquoi elle prive nos enfants de leur papa. Est-ce qu’elle comprend ce qu’elle leur fait?

Parent aliénant, enfant manqué

Selon la clinicienne et professeure émérite en psychologie de l’Université de Montréal, Francine Cyr, qui a étudié longuement le phénomène de l'aliénation parentale, son impact sur les enfants est majeur. Il y a toute une liste de conséquences qui ont été observées dans les études : stress post-traumatique, faible estime de soi, problèmes d’attachements, dépression, idées suicidaires, etc.

Des séquelles qui ne disparaissent pas une fois atteint l’âge adulte.

Je sais que j’ai beaucoup de difficultés encore aujourd’hui à faire confiance aux autres à cause de ça, m’explique l’écrivaine Geneviève Pettersen. Adolescente, elle a connu le trou noir affectif de l’aliénation qui lui a inspiré de grands pans de son roman à succès La déesse des mouches à feu, où elle raconte l’histoire d’une jeune fille prise en étau entre ses deux parents.

L’écrivaine se souvient que son père, à l’adolescence, lui racontait toutes sortes d’histoires sordides et fausses à propos de sa mère. Le plus pernicieux, c’est que même si je sais pertinemment aujourd’hui que tout ce qu’il m’a raconté sur elle était faux, ça me hante encore, ça s’imprègne dans ta tête. C’est un poison, un venin, un lavage de cerveau.

Ça s’est dénoué quand j’ai compris que mon père était un homme violent, que ma mère était victime de violence conjugale et que moi, j’étais une enfant qui a grandi dans un contexte de violence conjugale. J’ai compris que mon père exerçait de la violence post-séparation, et l’une des pierres d’assise de la violence post-séparation, c’est l’aliénation parentale, et c’est pour cela qu’il y a une confusion autour de ce concept-là. Souvent le parent violent se sert de l’enfant pour contrôler l’autre parce que c’est ce qui lui reste pour faire mal.

Faut-il vider les piscines pour ne pas que les gens se noient?

À la gare Centrale de Montréal, où j'attendais le train pour Québec, j’ai rencontré une vieille connaissance. Nous avons bavardé un moment dans la file avant d’embarquer. Il me demandait sur quel sujet je travaillais en ce moment. Au mieux que le pouvait mon cerveau, encore embrumé de sommeil, je lui ai résumé le débat. Après un bref silence perplexe, il a dit : C’est comme si des gens demandaient au gouvernement de vider les piscines pour ne pas que les gens se noient, non?

Le trajet fut paisible. J’ai repensé à Simone, Pierre et Mélanie et à l’injustice cruelle qu’ils subissent.

J’ai pensé à Hélène* aussi. Son histoire souligne la difficulté qu’il y a à trancher ce débat sans faire de dégâts. C’est pour éviter des cas comme le sien que les groupes féministes veulent faire interdire l’utilisation du concept d’aliénation parentale devant les tribunaux. La jeune mère s’est ouverte à une intervenante de la DPJ. Elle croit que le père des enfants les frappe. Elle a pris des photos des bleus sur les petits corps de ses enfants. Mal lui en a pris : selon ses dires, on lui a retiré la garde sous prétexte qu’elle avait des comportements aliénants.

Le train a ralenti sur le bord de la falaise, là où le fleuve s’agrandit. Nous approchions de Québec où j’avais rendez-vous avec la directrice nationale de la DPJ. J’ai observé les tourbillons de neige dans le ciel et j'ai repensé à mon entrevue avec Geneviève Pettersen, à tout ce combat rhétorique et sémantique pour tenter de nommer ou de juguler la même chose, en fait, la violence.

Le train arrive à la gare du Palais. Dehors, il fait froid et il vente. La vie, cette vallée de larmes, manque si souvent de douceur, me suis-je dit en sautant dans un taxi, direction les bureaux de Québec de la DPJ.

*Nous avons accordé l'anonymat aux parents à qui nous avons parlé afin de protéger les enfants dont il est question dans ce reportage.

Avec la collaboration de Bernard Leduc

Samedi prochain, lisez la suite de notre long reportage : Dans le chaos de l’aliénation parentale : Anatomie d’une controverse.

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