Enfant,
Gonzalo Mesa Allende était chez lui à la Moneda, la
maison présidentielle. Sa grand-mère, dont il était
très proche, y avait ses propres quartiers. Aujourd'hui,
au milieu d'une foule anonyme, le jeune écrivain de 37 ans
n'y est qu'un visiteur parmi d'autres. Aucun privilège.
Pourtant,
pour Gonzalo, revenir à la Moneda, c'est replonger dans des
souvenirs tragiques. L'après-midi du 11 septembre 1973, dans
un palais attaqué de tous les côtés et malgré
les offres de sauf-conduit, son grand-père se suicide. La
Moneda est alors détruite et, avec elle, le rêve du
parti de l'Unité populaire. Aujourd'hui, à la Moneda,
il n'y a plus de traces de ces heures sombres de 1973. La junte
militaire de Pinochet, assermentée le jour même du
coup d'État, règnera sur le Chili pendant 17 ans.
Les
mois et les années qui suivront seront tragiques pour la
famille, les collaborateurs et les sympathisants d'Allende. Des
centaines de milliers de personnes prendront le chemin de l'exil.
Plus de 100 000 connaîtront la prison et la torture.
Mais surtout, 3 000 personnes seront assassinées ou
portées disparues.
Marco
Antonio, lui, n'a pas eu à fuir le Chili en 1973. Son nom
de famille est Pinochet. C'est le fils cadet du général.
Il a vécu ces années tout à fait différemment.
À 45 ans, il est aujourd'hui dans les affaires : immobilier,
import-export…
Il
n'y a pas que l'armée qui sort victorieuse de la confrontation
avec le gouvernement. Toute une classe de gens, ceux que les réformes
d'Allende touchaient de près, sont soulagés. On fête
dans les salons cossus pendant que les prisons sont pleines et que
la torture et les disparitions deviennent monnaie courante.
Malgré
la répression, les manifestations populaires contre le régime
militaire s'intensifient. Dans les années 80, les fameuses
protestas servent de prétexte pour relancer un nouveau
cycle de répression. Le compte des morts et des disparus
continue à monter.
Sous
la pression populaire, les militaires finissent par assouplir les
règles. Dix ans après le coup d'État, on permet
à certains exilés de rentrer au pays. En digne petit-fils
de son illustre grand-père, aussitôt rentré,
Gonzalo commence à militer pour le retour de la démocratie.
En
1988, Augusto Pinochet, sous le feu croisé des pressions
populaires et internationales, décide de tenir un plébiscite.
Malgré
la peur qu'il inspire, le vieux général, trop sûr
de lui-même, perd son plébiscite. C'est le début
de la fin. En 1989 ont lieu les premières élections
libres. Le Chili en est aujourd'hui à son 3e gouvernement
démocratiquement élu. C'est le pays le plus prospère
et le plus stable du continent.
Le
pardon est-il possible?
Valparaiso
est la perle de la côte chilienne. C'est dans cette ville
portuaire qu'Augusto Pinochet a fait construire un nouveau parlement
en 1989. Chaque année, le 21 mai, un défilé
militaire marque l'ouverture de la session parlementaire. Les élus
du peuple passant en revue les trois corps de l'armée : c'est
toute une symbolique dans un pays où le bruit des bottes
a dominé la scène politique pendant près de
deux décennies! Cette année, la scène est encore
plus émouvante. Sur le podium se tiennent deux femmes célèbres
qui ont toutes deux perdu leur père lors du coup d'État
: Isabella, fille de Salvador Allende, est présidente de
la chambre des députés, et Michelle Bachelet, la fille
du général Bachelet, est la nouvelle ministre de la
Défense du Chili.
Alberto
Bachelet était un des rares généraux restés
fidèles au président Allende au moment du coup d'État.
Sa fille et lui seront tous deux emprisonnés quelques semaines
après la prise du pouvoir par Pinochet. Le père, souffrant
d'une faiblesse cardiaque, ne résistera pas à la torture.
La fille, elle, trente ans plus tard, dirige les destinées
des forces armées. Peut-on conclure qu'elle s'est réconciliée
avec le passé? Peut-être, dans une certaine mesure.
Mais de là à pardonner, c'est une toute autre chose.
« Vous
me demandez, lorsque je rencontre telle ou telle personne qui a
[participé au putsch], si je l'ai pardonnée? Je ne
pourrais pas dire que j'ai pardonné. Je dirais que j'ai rencontré
ce monde avec lequel j'étais en rupture profonde, et aujourd'hui
je travaille comme ministre de la Défense sans aucun problème
émotionnel. Bien sûr, j'ai mes douleurs à cause
de ce que j'ai vécu, parce que mes enfants n'ont pas de grand-père,
parce que ma mère est veuve, mais ce n'est pas contradictoire.
Mes douleurs m'ont servi. Au lieu d'avoir un sentiment négatif,
je me sers de ma douleur pour faire en sorte que personne, ni mes
enfants ni mes petits-enfants, ne passe par ce par quoi je suis
passée. J'essaie d'avoir une attitude constructive. Je n'ai
pas de contradiction. Je suis tranquille. » (Michelle
Bachelet)
Un
nouveau jour se lève sur Santiago. Difficile de croire à
quel point cette capitale et ce pays moderne et prospère
sont encore aux prises avec les fantômes du passé.
En août 2003, le président Ricardo Lagos a fait une
proposition à la nation chilienne. Intitulée « pas
de demain sans hier », la proposition prévoit
des compensations pour les 100 000 victimes de torture, des
pensions doublées pour les familles des disparus et assassinés,
ainsi que des diminutions de peines pour les militaires qui n'ont
fait qu'exécuter les ordres.
Cet
incitatif, espère-t-on, aura pour effet de faire avancer
la justice.

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le vendredi à 21 h et présentée en rediffusion
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