Le conflit
des sexes chez les serpents de Narcisse
Les
serpents rayés de Narcisse, au Manitoba, forment
la plus importante colonie de reptiles au monde. Ils
sont plus de 50 000, et constituent une véritable
mine d'or pour les biologistes qui viennent, chaque
année, les étudier. Pour ceux qui s'intéressent
à leur comportement reproducteur, c'est une chance
inouïe de les observer dans leur habitat naturel.
Après un hiver long et rigoureux,
les serpents jarretière à flancs rouges
de la région de Narcisse se réveillent.
Plusieurs dizaines de milliers d'entre eux émergent
chaque printemps des fosses de calcaire désaffectées
où ils ont hiverné.
Le biologiste Bob Mason, de l'Université
de l'Oregon, étudie les serpents de Narcisse
depuis une vingtaine d'années. Pour lui, les
tanières manitobaines sont un endroit rêvé
pour observer le comportement reproducteur et la physiologie
de l'espèce.
«
Mes collègues ailleurs dans le monde se comptent
chanceux de voir quelques douzaines d'accouplements
au cours de leur vie. Eh bien, ici, dans les tanières
de Narcisse, au Manitoba, on peut en observer plusieurs
centaines en une heure », explique Bob
Mason.
Les serpents jarretière s'investissent
énormément dans la reproduction. Les mâles
veulent assurer la transmission de leurs gènes
et les femelles cherchent à garantir la survie
de leur progéniture.
Dès qu'elle émerge de la
tanière, au printemps, la femelle émet
une phéromone qui attire les mâles. Ils
accourent de partout pour la courtiser. Une centaine
d'entre eux s'accrochent à elle dans le but de
copuler. La femelle profite de cette mêlée
pour se réchauffer et retrouver ses forces. Mais
elle risque aussi se faire écraser sous la masse.
Après une lutte acharnée,
un des mâles réussit finalement à
la féconder. Au cours de la copulation, il dégage
une phéromone qui repousse les autres mâles.
Puis il laisse un bouchon à sperme qui empêchera,
pendant quelques jours, les autres mâles de féconder
à leur tour la femelle.
La femelle peut maintenant quitter la
tanière à la recherche de pâturages
d'été, ou rester encore quelques jours
afin de trouver un meilleur partenaire.
Si,
dans la boule d'accouplement, tous les mâles ont
une chance égale de s'accoupler, ce n'est pas
le cas à l'extérieur de la tanière.
En pleine possession de ses moyens, la femelle se faufile
à vive allure. Seuls les mâles les plus
costauds réussiront à l'attraper.
Cette stratégie de reproduction soulève
plusieurs questions chez les scientifiques. Ils se demandent
notamment comment la femelle sait qu'elle doit tenter
une deuxième fécondation. Est-ce que le
bouchon à sperme fournit des informations sur
le géniteur ? Et surtout, comment ce modèle
de reproduction contribue-t-il à l'évolution
de l'espèce ?
Les chercheurs rapporteront plusieurs serpents en Oregon.
À la fin de l'été, lorsque les
femelles auront donné naissance à leurs
petits, les scientifiques pourront mener des épreuves
d'ADN pour vérifier la paternité des serpenteaux.
Ils espèrent que ces recherches leur permettront
de mieux comprendre les mécanismes de reproduction.