Dotée de paysages volcaniques
spectaculaires, d'immenses champs de lave, de longs
tunnels de lave et des cônes volcaniques très
colorés, l'île de Lanzarote, la plus orientale
de l'archipel des Canaries, présente un intérêt
particulier parce que le volcanisme y est encore très
présent. Découverte a suivi un
groupe d'étudiants et de chercheurs de l'Université
du Québec à Montréal et leurs collègues
espagnols, en voyage d'études à Lanzarote
et dans les îles voisines.
Journaliste :
Jean-Pierre Rogel
Réalisateur : Pierre Tonietto
Dix-huit
étudiants, trois professeurs, mais une seule
mission : étudier le volcanisme aux îles
Canaries. Un voyage d'études où l'on est
constamment sur le terrain, car en géologie,
il faut observer les paysages et faire des croquis précis
pour bien saisir la réalité. Le groupe
se rend dans un premier temps à Lanzarote, l'île
la plus à l'ouest de l'archipel, situé
au large de la côte du Maroc. Toutes ces îles
sont d'origine volcanique. La plus ancienne a près
de 20 millions d'années, et la plus récente,
1 million d'années. Des îles très
jeunes, du moins à l'échelle géologique.
Le
nord de Lanzarote est dominé par le volcan Corona.
Un de ses flans est un immense champ de lave. Pour les
habitants de l'île, c'est le malpaïs,
le pays mauvais, qu'on ne peut pas cultiver. Au début,
une rivière de lave s'est écoulée
du volcan, mais rapidement, la partie exposée
à l'air libre a refroidi et durci. Pendant ce
temps, la lave du centre, très fluide, a continué
de s'écouler, formant ce qu'on appelle un tube
lavique. Ici, le tube mesure près de huit kilomètres
et se prolonge de deux kilomètres sous le niveau
actuel de la mer. Toute cette lave s'est écoulée
en couches successives. Selon les études scientifiques,
la première serait âgée de 53 000
ans, et la dernière, d'environ 20 000 ans.
La mission des étudiants sera de vérifier
si cette évaluation est exacte.
À
Timanfaya, une région qui couvre près
du tiers de l'île, les paysages sont désolés,
d'immenses champs de lave et de cendres, des cratères
saisissants. Ce chaos est dû à des événements
qui ont eu lieu il y a moins de 300 ans. Des événements
que connaît bien le géographe français
Raphaël Paris : « L'éruption
de Timanfaya, c'est une succession d'éruptions
stromboliennes par analogie avec le volcan
Stromboli, qui symbolise bien ce type de volcanisme
qui construit de petits cônes de lapillis. Les
lapillis, ce sont de petites projections volcaniques
qui d'une taille à peu près comme le bout
du pouce, disons. Et ça construit des petits
cônes, avec des coulées qui s'en échappent.
En fait, pendant six ans, on n'a pas moins d'une quarantaine
de cônes qui se construiront, plus ou moins alignés
les uns derrière les autres, et de chaque côté
de ces alignements de cônes, de grandes coulées
qui iront jusqu'à la mer. » C'est
la troisième plus grande éruption fissurale
de tous les temps. Même si plus de 400 fermes
ont été ensevelies, il n'y a pas eu de
victimes, les habitants ayant pu fuir à temps.
Retour
dans le nord de l'île pour examiner une énigme
géologique : une falaise de 30 kilomètres
de longueur et de 600 mètres de hauteur. Ici,
il y a près de 10 millions d'années, il
y avait un très grand volcan. La partie ouest,
qui faisait face à la mer, s'est effondrée.
Pourquoi? Raphaël Paris émet une hypothèse :
« Ça pourrait être l'érosion,
mais il n'y a pas de raison de penser que l'érosion
s'attaque à l'ouest plutôt qu'à
l'est du volcan. L'hypothèse la plus probable,
c'est qu'on a eu un glissement massif de toute une partie
du volcan, vers l'ouest. Alors, des épisodes
de ce genre, il s'en est produit pas moins d'une douzaine
au cours du quaternaire aux îles Canaries. »
Un glissement massif, mais qui n'explique
pas tout. Sous le volcan, certains pensent qu'à
l'origine de la falaise, il existe une fracture en grande
profondeur qui se prolonge sous presque toute l'île
de Lanzarote, y compris sous la série de volcans
du parc de Timanfaya.
Selon cette hypothèse, c'est l'activation
de cette fracture qui a causé le glissement massif
à l'origine de la falaise, comme l'explique le
géologue Normand Goulet, de l'Université
du Québec à Montréal : « Cette
fracture pourrait aller en très grande profondeur,
jusque dans le manteau. Et depuis à peu près
20 millions d'années, cette fracture aurait pu
jouer à plusieurs moments et contrôler
ces centres volcaniques, jusqu'à tout récemment,
il y a à peu près 300 ans, plus loin au
sud. »
L'étude des changements climatiques
Après
le volcanisme, l'étude des changements climatiques
est la deuxième spécialité de cette
île-laboratoire, courue par les chercheurs du
monde entier. On y trouve une dune de sable qui révèle
le climat d'hier, et peut-être celui de demain.
En effet, ces dépôts de sables amenés
par les vents, venus en grande partie du Sahara, enregistrent
la succession de périodes sèches et humides
du climat. Une couche plus claire correspond à
une période plus sèche, alors qu'une couche
plus foncée correspond à une période
plus humide.
On le voit d'ailleurs dans les fossiles,
qui n'existent que dans les couches plus foncées :
l'humidité a permis à une faune locale
de se développer. Ici, on a des coquilles de
gastéropodes, et des sortes de dés à
coudre qui sont en fait des nids d'abeilles primitives,
qui vivaient il y a 250 000 ans.
Mais
quelle est donc la cause ultime de cet empilement de
couches? Selon le géologue Michel Lamothe, de
l'Université du Québec à Montréal,
« cette rythmicité est fondamentalement
le résultat de l'interaction du rayonnement solaire
avec la surface terrestre dans les secteurs environnants.
On dit que c'est le résultat des variations de
l'insolation que reçoit la planète Terre.
Cette insolation est fonction de la position de la planète
autour du Soleil, dans sa course autour du Soleil. »
Le Soleil, gardien ultime des changements
climatiques sur Terre. Voilà une conclusion qui
met un bémol aux craintes sur le réchauffement
actuel du climat. Sur une échelle de quelques
siècles, c'est l'insolation qui compte, et pas
les gaz à effet de serre.
En étudiant les changements climatiques
à travers les fossiles, le paléontologue
canarien Joaquim Meco s'est taillé une réputation
internationale. Il vient d'ailleurs de démontrer
à quel point, aux Canaries, le climat était
beaucoup plus chaud il y a 135 000 ans qu'il ne
l'est aujourd'hui.
Pour
les étudiants, le stage est une occasion unique
de rencontrer sur le terrain un chercheur de grande
renommée. Un homme qui, à partir de simples
coquillages, réfléchit au climat et à
l'avenir de l'humanité. Un voyage exceptionnel,
sur une île exceptionnelle. Un groupe de jeunes
passionnés qui, chaque jour, étudient
en direct les archives de la Terre. En somme, la science
comme une aventure.