Les magnifiques papillons monarques
qui volent au-dessus des champs durant l'été
sont des insectes uniques. Dès l'automne, comme
les grands oiseaux migrateurs, ils partent par millions
vers le sud pour y passer l'hiver. Un voyage de plus
de 5000 km vers les montagnes du Michoacan, à
quelques heures de route de Mexico. Mais cette migration
est menacée. Leur lieu d'hivernage dans le Michoacan
subit une déforestation massive, et d'importants
changements climatiques affectent leur survie. Voici
l'aventure de deux hommes qui tentent de les sauver.
Journaliste :
Michel Rochon
Réalisatrice : Chantal Théorêt
À
3000 mètres d'altitude, deux cavaliers atteignent
le sommet des montagnes du Michoacan, au Mexique. Après
une longue et difficile route, ils arrivent enfin aux
portes du sanctuaire des papillons monarques. Jose
Luis Alvarez, un écologiste mexicain, travaille
à la sauvegarde de ces papillons depuis de nombreuses
années. Jean Lauriault, un biologiste
canadien, spécialiste des monarques, vient ici
depuis 10 ans. Les deux hommes ont en commun un grand
respect pour un des plus fascinants spectacles de la
nature: le site d'hivernation des papillons monarques
d'Amérique.
Ce
sanctuaire est menacé par la déforestation
et les changements climatiques. Les deux hommes sont
unanimes : la situation est désastreuse.
À l'hiver 2002, des dizaines, voire quelques
centaines de millions de papillons, sont morts à
cause de l'effet combiné du froid et de la déforestation.
Cette année, c'est le même constat, et
ce phénomène risque d'être amplifié,
au cours des prochaines décennies, par d'importants
changements climatiques dans la région. On prévoit,
en effet, une augmentation des précipitations
et des températures plus fraîches dans
le Michoacan. Un mélange mortel pour les monarques.
Ce
site d'hivernage était pourtant idéal
pour les papillons. Depuis des millénaires, les
monarques débutent leur longue migration vers
la fin de l'été. Un périple de
trois mois, au cours duquel, partis du Canada et du
nord des États-Unis, ils atteignent le Mexique.
Un trajet qui représente 100 km par jour. En
novembre, ils convergent vers une petite section de
forêt de pins et de sapins au sommet des montagnes,
à une centaine de kilomètres à
l'ouest de la ville de Mexico. « C'est
toute une question d'équilibre d'énergie.
Le papillon monarque arrive ici avec une certaine quantité
d'énergie, et il doit passer tout l'hiver avec
cette quantité d'énergie. C'est pour ça
qu'il vient ici. Il y retrouve un bon taux d'humidité
et des températures relativement basses,
explique Jean Lauriault, biologiste du Musée
canadien de la nature. Ensuite, avec l'augmentation
de la température et de la clarté, le
papillon monarque devient mature sexuellement et commence
à s'accoupler. »
En 1986, le gouvernement mexicain a décrété
que cette région était une « réserve
de la biosphère ». Malgré cela,
les résidents de la région ont poursuivi
une coupe sélective ou une coupe
à blanc à l'intérieur
de cette réserve. Les papillons auraient ainsi
perdu 44 % de leur territoire d'hivernation.
Concilier le bien-être des
monarques et celui des habitants
Les
pins et les sapins abattus font partie d'une économie
clandestine et lucrative pour certains résidents,
même si, depuis des années, la majorité
des résidents tente de se convertir à
l'écotourisme. Jose Luis Alvarez est conscient
des besoins de la population. Il a aussi tenté
de venir en aide aux Ejideros en leur proposant une
solution : le développement durable.
Pour ce faire, il plante des oyamels
dans les forêts coupées à blanc.
Non seulement les monarques affectionnent cette variété
d'arbres, mais ces arbres ont l'avantage de pousser
rapidement, ce qui permettra de faire une coupe sélective
tous les cinq ans autour des zones d'hivernation. Après
15 ans, un résident se retrouvera avec 800 arbres
par hectare. Une forêt qui rapportera près
de 100 000 $ l'hectare et qui assurera également
un écosystème viable pour le papillon.
Grâce à une fondation à but non
lucratif, 200 000 arbres seront plantés
cette année.
Mais
pour l'instant, ces efforts demeurent insuffisants.
Ce sont des dizaines de millions d'arbres qu'il faudrait
planter. Pour Jean Lauriault, il y a urgence d'agir.
La déforestation est une menace réelle
pour une autre raison. « Avec la déforestation,
on augmente la température locale. Par conséquent,
le papillon monarque va se réchauffer et va commencer
à voler plus tôt. En volant, il perdra
son énergie, et il est possible qu'il soit plus
difficile pour lui de s'accoupler et de retourner au
Canada. »
À la fin de son hivernation à
la fin du mois de mars c'est ici qu'il
se reproduit avant de repartir pour le Canada. Après
la reproduction, les papillons meurent. Une nouvelle
génération de monarques quitte alors le
Michoacan vers le Canada. Ils se reproduisent à
leur tour et meurent tout au long du chemin. Entre la
fin du mois de mars et la fin de juin, il faudra environ
quatre générations successives de papillons
pour se rendre jusqu'au Canada.
Même si on a découvert leur
cachette hivernale en 1975, on est encore loin de tout
comprendre sur ce mystérieux voyage annuel. Pour
des scientifiques comme Jean Lauriault, la grande réunion
de ces centaines de millions de papillons inspire le
respect et justifie notre effort pour sauvegarder l'espèce.