Pour
le responsable du Centre d'avalanche de la Haute-Gaspésie,
avril est le mois de tous les dangers. Avec de brusques
changements de température, de la neige molle
et de la pluie, le risque d'avalanche de neige est très
élevé dans les monts Chic-Chocs. C'est
une réalité peu connue, mais, depuis le
début des années 70, les avalanches de
neige ont fait 33 morts et 50 blessés au Québec,
et c'est dans la Haute-Gaspésie que le risque
est le plus important.
Journaliste:
Jean-Pierre Rogel
Réalisatrice: Sophie Malavoy
Lundi 19 avril, 7 h du matin, mont Albert,
dans les Chic-Chocs. Il a neigé toute la nuit
et, maintenant, il pleut. Comme d'habitude, Dominic
Boucher et Stéphane Gagnon entament leur tournée
du terrain. Leur mission: évaluer les risques
d'avalanche pour émettre un bulletin qui devrait
être valable pour les trois prochains jours. «Si
ça continue à se réchauffer,
s'inquiète Dominic, on peut soupçonner
des problèmes en profondeur. Ce qu'on va vérifier,
aujourd'hui, c'est si la pluie a touché le manteau
neigeux et si cela risque de devenir vraiment instable.»
Les monts Chic-Chocs sont nés
en même temps que les Appalaches, dont ils forment
l'extrémité nord. Il y a 400 millions
d'années, un morceau de plancher océanique
s'est soulevé ici, formant ce massif montagneux.
Ces sommets sont tabulaires et dominent la plate-forme
en contrebas. De loin, ils apparaissent comme une barre
dans le paysage. Chic-Chocs vient d'ailleurs d'un mot
amérindien qui signifie «rocher escarpé,
mur infranchissable».
Sur
le terrain, les deux patrouilleurs commencent par creuser
un trou pour vérifier l'état du manteau
neigeux. Ils plantent notamment des thermomètres
pour connaître la température de la neige
à différentes profondeurs. Ils mesurent
aussi l'épaisseur des couches de neige.
Pendant ce temps, il continue à
pleuvoir sur le massif. Chez nos prévisionnistes
d'avalanche, l'inquiétude est palpable. «S'il
continue à pleuvoir, note Stéphane,
et s'il continue à faire chaud, c'est sûr
que des décrochements vont commencer, qui iront
dans différentes directions.» Ce qu'ils
craignent, ce sont les accidents d'avalanche. Ils ont
beau être rares, ils peuvent être catastrophiques.
Dans 8 cas sur 10, ils sont déclenchés
par des skieurs.
Le manteau neigeux ressemble à
un grand gâteau à plusieurs étages.
Certains étages sont durs comme de la glace,
tandis que d'autres sont poudreux comme du sucre. Toute
couche fragile représente un danger. À
la suite d'un choc, provoqué, par exemple, par
le passage d'un skieur, elle peut se rompre. Elle se
transforme alors en un véritable tapis roulant
pour les couches supérieures. À cause
des pentes abruptes et du temps très changeant
- et aussi à cause d'une fréquentation
élevée -, les Chic-Chocs sont l'endroit
où le risque d'avalanche est le plus élevé
au Québec.
Aujourd'hui, pour Dominic et Stéphane,
le diagnostic n'est pas évident. Le risque d'avalanche,
faible les derniers jours, semble monter en flèche.
Mais tout dépendra du temps qu'il fera cette
nuit et demain matin.
Le
lendemain, bonne nouvelle: le temps est partiellement
dégagé. Mais la température est-elle
descendue suffisamment, au cours de la nuit, pour que
la neige regèle en surface? Aux premières
mesures, à la station météo dans
la vallée, il semble que oui. Mais qu'en est-il
un peu plus haut? Une station automatique transmet des
données directement au Centre d'avalanche, mais
comme elle a eu des ennuis techniques récemment,
l'équipe décide d'aller vérifier
si tout fonctionne bien.
En altitude, par contre, le temps se
dégrade. Au sommet du mont Ernest-Laforce - une
modeste butte de 820 mètres de hauteur -, le
vent est mesuré à 81 km/h. Il faut s'arc-bouter
pour ne pas s'envoler. Le vent est un facteur important
dans la prévision d'avalanche. C'est lui qui
déplace les masses neigeuses vers les pentes
en couloirs. Il les rend plus lourdes, plus chargées.
Deux
cents mètres plus bas, il n'y a plus de vent,
mais il faut vérifier l'état de la neige.
Une sonde permet de tester la consistance des couches.
«Il y a deux croûtes: celle qui était
là avant la neige et la pluie d'hier, et celle
de cette nuit», conclut Stéphane. Pour
nos deux experts, la conclusion de la tournée
d'hier et de ce matin commence à se dessiner.
À 800 mètres d'altitude, tout est bien
gelé, alors que dans les vallées, la neige
commence à fondre. «Ce sont des informations
très importantes. Cela nous dit que, [puisque
les zones de départ sont encore bien gelées],
le potentiel de créer une avalanche est relativement
faible», explique Dominic.
Il est 3 h de l'après-midi, la
patrouille est terminée. Il ne reste plus qu'à
écrire un bulletin de prévision d'avalanche
et à l'envoyer par Internet. Quant aux monts
Chic-Chocs, ils attendent les skieurs et les planchistes,
imperturbables, comme toujours.