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REPORTAGE  —  18 avril 2004

 
Mémoire oubliée

Un jeune chercheur montréalais a démontré qu'il était possible d'effacer un souvenir traumatisant de la mémoire d'un rat à l'aide d'une drogue. Il espère maintenant démontrer que le même phénomène peut se produire chez l'humain. Si c'est le cas, les thérapeutes posséderaient un outil supplémentaire pour traiter les grands traumatisés.

Journaliste: Normand Grondin
Réalisatrice: Chantal Théorêt

Certains événements dramatiques, comme la mort d'un proche, un accident ou une agression, laissent une trace indélébile dans le cerveau. Par la suite, des images remontent parfois à la surface, aussi intenses et traumatisantes qu'au premier jour. Et même la meilleure thérapie ne parvient pas à les faire disparaître. C'est un peu comme si les souvenirs étaient emprisonnés à jamais dans le coffre-fort de la mémoire.

Mais cette image est remise en question par Karim Nader, un jeune neuroscientifique de l'Université McGill. Avec des rats de laboratoire, le chercheur a en effet démontré que la mémoire était beaucoup plus fragile qu'on pouvait le croire. «Selon le modèle traditionnel, une fois que les souvenirs sont emmagasinés dans le cerveau, il est impossible de les effacer. Nous avons remarqué qu'à chaque fois qu'un souvenir douloureux refaisait surface dans la mémoire, le cerveau reprenait tout le processus de consolidation. Or, nous avons découvert que si nous bloquions justement ce processus, le souvenir semblait disparaître complètement de la mémoire.»

Karim Nader a travaillé avec des rats parce que leur cerveau est semblable à celui des humains. Comme tous les mammifères, ils possèdent une zone connue pour être le siège des souvenirs reliés à la peur: le corps amygdalien.

Pour démontrer qu'il était possible d'effacer un souvenir traumatisant, le chercheur a d'abord soumis ses animaux à une expérience de conditionnement. Dans la cage, le petit rongeur est laissé à lui-même durant quelques minutes. Puis on lui fait entendre un son aigu. Après quelques secondes, le son cesse et on envoie une légère décharge électrique sur les pattes de l'animal. «Rapidement, le rat apprend à associer les deux événements et présente la réponse comportementale classique au conditionnement: il fige dès qu'il entend le son», explique Karim Nader.

Pendant le conditionnement, le cerveau du rat se met au travail. Il doit emmagasiner ce souvenir important dans sa mémoire à long terme. Pour y parvenir, le cerveau crée de nouveaux réseaux de neurones afin de conserver une trace de l'expérience vécue. Ensuite, il produit différentes protéines qui fixent ce souvenir dans sa mémoire. C'est ce qu'on appelle la consolidation. Un processus biochimique qu'on croyait jusqu'ici irréversible.

Karim Nader a tenté de faire oublier aux rats l'expérience qu'ils avaient vécue. Il a d'abord injecté dans le corps amygdalien une drogue qui provoque l'amnésie en bloquant la production des protéines. Ce fut un échec: remis dans la cage, les rats continuaient de figer en entendant le son. Puis, il a détruit leur hippocampe, une zone essentielle au bon fonctionnement de la mémoire. Toujours aucun changement. Le chercheur a donc tenté une nouvelle expérience. «Nous avons décidé d'utiliser une nouvelle fois la drogue amnésique, mais cette fois-ci, juste avant de l'injecter, nous avons fait entendre le son aux animaux pendant une trentaine de secondes afin de les obliger à faire remonter le souvenir traumatisant de leur mémoire. Et le lendemain, lorsqu'on a fait rejouer le son, c'est comme si, soudainement, il n'avait plus aucune signification pour eux.»

Publiés dans différentes revues scientifiques, les résultats de Karim Nader sur la reconsolidation ont bousculé plusieurs idées reçues. On a découvert que des souvenirs qu'on croyait définitivement classés dans le coffre-fort de la mémoire redevenaient fragiles chaque fois qu'on les rappelait. Dans certaines conditions, ils peuvent même disparaître.

Chez l'humain

Récemment, une équipe de l'université Harvard a démontré que le phénomène de reconsolidation semblait se produire également chez l'humain. Si c'est le cas, les recherches de Karim Nader pourraient ouvrir la porte à une nouvelle forme de thérapie. «Il faudrait d'abord inciter les gens à se remettre leur traumatisme en mémoire, que ce soit la guerre ou autre chose. Puis, au même moment, on bloquerait la reconsolidation de ce souvenir. On se retrouverait avec un souvenir qui aurait perdu une grande partie de son intensité émotionnelle. Pas toute son intensité, mais suffisamment pour rendre la victime plus réceptive à une psychothérapie ou à une intervention psychiatrique.»


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