Un jeune chercheur montréalais
a démontré qu'il était possible
d'effacer un souvenir traumatisant de la mémoire
d'un rat à l'aide d'une drogue. Il espère
maintenant démontrer que le même phénomène
peut se produire chez l'humain. Si c'est le cas, les
thérapeutes posséderaient un outil supplémentaire
pour traiter les grands traumatisés.
Certains
événements dramatiques, comme la mort
d'un proche, un accident ou une agression, laissent
une trace indélébile dans le cerveau.
Par la suite, des images remontent parfois à
la surface, aussi intenses et traumatisantes qu'au premier
jour. Et même la meilleure thérapie ne
parvient pas à les faire disparaître. C'est
un peu comme si les souvenirs étaient emprisonnés
à jamais dans le coffre-fort de la mémoire.
Mais cette image est remise en question
par Karim Nader, un jeune neuroscientifique de l'Université
McGill. Avec des rats de laboratoire, le chercheur a
en effet démontré que la mémoire
était beaucoup plus fragile qu'on pouvait le
croire. «Selon le modèle traditionnel,
une fois que les souvenirs sont emmagasinés dans
le cerveau, il est impossible de les effacer. Nous avons
remarqué qu'à chaque fois qu'un souvenir
douloureux refaisait surface dans la mémoire,
le cerveau reprenait tout le processus de consolidation.
Or, nous avons découvert que si nous bloquions
justement ce processus, le souvenir semblait disparaître
complètement de la mémoire.»
Karim
Nader a travaillé avec des rats parce que leur
cerveau est semblable à celui des humains. Comme
tous les mammifères, ils possèdent une
zone connue pour être le siège des souvenirs
reliés à la peur: le corps amygdalien.
Pour démontrer qu'il était
possible d'effacer un souvenir traumatisant, le chercheur
a d'abord soumis ses animaux à une expérience
de conditionnement. Dans la cage, le petit rongeur est
laissé à lui-même durant quelques
minutes. Puis on lui fait entendre un son aigu. Après
quelques secondes, le son cesse et on envoie une légère
décharge électrique sur les pattes de
l'animal. «Rapidement, le rat apprend à
associer les deux événements et présente
la réponse comportementale classique au conditionnement:
il fige dès qu'il entend le son», explique
Karim Nader.
Pendant le conditionnement, le cerveau
du rat se met au travail. Il doit emmagasiner ce souvenir
important dans sa mémoire à long terme.
Pour y parvenir, le cerveau crée de nouveaux
réseaux de neurones afin de conserver une trace
de l'expérience vécue. Ensuite, il produit
différentes protéines qui fixent ce souvenir
dans sa mémoire. C'est ce qu'on appelle la consolidation.
Un processus biochimique qu'on croyait jusqu'ici irréversible.
Karim
Nader a tenté de faire oublier aux rats l'expérience
qu'ils avaient vécue. Il a d'abord injecté
dans le corps amygdalien une drogue qui provoque l'amnésie
en bloquant la production des protéines. Ce fut
un échec: remis dans la cage, les rats continuaient
de figer en entendant le son. Puis, il a détruit
leur hippocampe, une zone essentielle au bon fonctionnement
de la mémoire. Toujours aucun changement. Le
chercheur a donc tenté une nouvelle expérience.
«Nous avons décidé d'utiliser
une nouvelle fois la drogue amnésique, mais cette
fois-ci, juste avant de l'injecter, nous avons fait
entendre le son aux animaux pendant une trentaine de
secondes afin de les obliger à faire remonter
le souvenir traumatisant de leur mémoire. Et
le lendemain, lorsqu'on a fait rejouer le son, c'est
comme si, soudainement, il n'avait plus aucune signification
pour eux.»
Publiés dans différentes
revues scientifiques, les résultats de Karim
Nader sur la reconsolidation ont bousculé plusieurs
idées reçues. On a découvert que
des souvenirs qu'on croyait définitivement classés
dans le coffre-fort de la mémoire redevenaient
fragiles chaque fois qu'on les rappelait. Dans certaines
conditions, ils peuvent même disparaître.
Chez l'humain
Récemment, une équipe de
l'université Harvard a démontré
que le phénomène de reconsolidation semblait
se produire également chez l'humain. Si c'est
le cas, les recherches de Karim Nader pourraient ouvrir
la porte à une nouvelle forme de thérapie.
«Il faudrait d'abord inciter les gens à
se remettre leur traumatisme en mémoire, que
ce soit la guerre ou autre chose. Puis, au même
moment, on bloquerait la reconsolidation de ce souvenir.
On se retrouverait avec un souvenir qui aurait perdu
une grande partie de son intensité émotionnelle.
Pas toute son intensité, mais suffisamment pour
rendre la victime plus réceptive à une
psychothérapie ou à une intervention psychiatrique.»