Le
16 octobre dernier, l'agence antidopage américaine
annonçait la découverte de la tetrahydrogestrinone,
ou THG, un stéroïde synthétique jusqu'ici
inconnu. Depuis, plusieurs athlètes de renom
ont admis avoir pris de la THG, un stéroïde
fait sur mesure. Un des pires cauchemars des milieux
antidopage.
En raison des droits d'auteur,
ce reportage ne sera pas disponible sur Internet.
Dwain Chambers, champion d'Europe du
100 mètres, a avoué qu'il avait pris un
nouveau stéroïde, indétectable. Regina
Jacobs, coureuse de demi-fond, 15 fois championne des
États-Unis, a elle aussi admis en avoir pris.
Mais il n'y a pas que l'athlétisme. Au football,
on pointe du doigt quelques gros calibres comme Bill
Romanowski et Chris Cooper des Raiders d'Oakland. Au
baseball, c'est Barry Bonds, la star des Giants de San
Francisco qui se retrouve sur la sellette.
Tout commence en juin dernier. Sous le
couvert de l'anonymat, un entraîneur sportif contacte
l'agence antidopage américaine, dénonçant
des athlètes qui se dopent avec un produit nouveau.
Expédié au laboratoire antidopage de l'Université
de Californie à Los Angeles, le paquet a alors
fait l'objet d'une enquête scientifique sans précédent.
À la première analyse au spectromètre
de masse, les chercheurs n'arrivent pas à identifier
ce stéroïde. C'est le Dr Catlin, directeur
du laboratoire, qui réussira à l'identifier.
Le
produit est un dérivé d'une molécule
qui, elle, est bien connue pour ses propriétés
pharmacologiques. Cette molécule, la gestrinone,
est un médicament qu'on utilise en gynécologie.
Mais on n'a jamais vu ce dérivé auparavant.
D'après sa structure, le Dr Catlin le nomme tetrahydrogestrinone
ou THG.
Après avoir identifié ce
nouveau dérivé, l'équipe de scientifiques
a trouvé le moyen de le dépister dans
un test d'urine. La THG fait maintenant partie de la
longue liste des stéroïdes interdits par
le Comité international olympique.
Ceci aurait pu être la fin de l'histoire,
mais ce n'est que le début. Car, pour la première
fois, on a vu apparaître un stéroïde
«fait sur mesure».
Aux États-Unis, la menace a été
prise très au sérieux. En octobre, une
enquête fédérale a été
lancée. Les autorités ont perquisitionné
dans les locaux des laboratoires Balco, à San
Francisco. Leur propriétaire, Victor Conte, un
nutritionniste autodidacte, avait mis au point des suppléments
vitaminiques qui se vendaient comme des petits pains
chauds dans les milieux du sport de haut niveau.
Le
12 février dernier, le procureur général
des États-Unis a déposé une poursuite
contre quatre hommes, dont Victor Conte, sur 42 chefs
d'accusation. Selon l'inculpation, les laboratoires
Balco auraient notamment distribué de manière
clandestine de produits faits à partir de tetrahydrogestrinone.
Qui a fabriqué la THG et comment?
Pour l'instant, l'enquête ne le dit pas, mais
il s'agit certainement d'un chimiste qualifié,
disposant d'un laboratoire bien équipé.
À l'aide de plusieurs réactions chimiques,
ce chimiste aurait réussi à modifier la
gestrinone, pour la rendre indécelable, tout
en gardant ses propriétés anabolisantes.
Le problème, c'est que la même méthode
utilisée par le chimiste pourrait être
appliquée à 13 autres molécules
du même type. Et c'est déjà arrivé!
En 2002, une molécule interdite, la norboléthone,
a été modifiée en 7-dehydro-genabol.
Tetrahydrogestrinone, norboléthone,
en voilà deux d'identifiées. Mais cela
signifie qu'il en existe 11 autres possibles. Sont-elles
en préparation quelque part? Certaines informations
laissent penser que les laboratoires Balco avaient en
réserve un autre stéroïde sur mesure,
au moment où ils ont été stoppés
dans leur élan.
Décidément,
ceux qui luttent contre le dopage courent toujours loin,
très loin derrière les tricheurs! En fait,
leurs tests ont un défaut fondamental: ils ne
dépistent que des molécules explicitement
bannies, dont le profil est connu en chromatographie.
Comme certaines molécules n'ont jamais été
synthétisées, ils ne peuvent pas les dépister
dans leurs appareils. Tant qu'ils n'ont pas un profil
de référence, ils ne sont sûrs de
rien.
Dans le milieu de la lutte au dopage,
on n'admet pas facilement cette faille béante
dans les tests de dépistage. Avec une absence
de contrôles, une disponibilité maximale,
facilitée, entre autres, par Internet, il n'est
pas étonnant que des entrepreneurs comme Victor
Conte apparaissent. Plusieurs athlètes de haut
niveau sont d'ailleurs prêts à payer très
cher pour une molécule nouvelle, mais surtout
indétectable, ne serait-ce que pendant quelques
mois, le temps d'une médaille.