La réfrigération
écologique du centre-ville de Toronto
La
Ville de Toronto a entrepris de capter l'eau profonde
- et très froide - du lac Ontario pour climatiser
à bas prix une centaine d'immeubles du centre-ville
et obtenir en même temps une eau potable de meilleure
qualité. C'est le plus gros projet du genre au
monde. Il économisera 30 millions de kWh par
année et réduira de 40 000 tonnes la production
annuelle de gaz à effet de serre en Ontario.
Toronto est une métropole qui
a les pieds dans l'eau, dans l'eau du lac Ontario. En
été, cette station balnéaire est
un paradis pour la navigation de plaisance. Au bord
de l'eau, en pleine canicule, quoi de mieux pour se
rafraîchir?
Mais la Ville Reine est aussi une agglomération
d'immenses gratte-ciel. Leur climatisation consomme
énormément d'énergie, particulièrement
pendant les vagues de chaleur. Lorsque le réseau
électrique de l'Ontario a cédé,
pendant plus d'une semaine l'été dernier,
les gratte-ciel sont devenus de véritables fours.
Tout cela pourrait changer dès l'été
prochain.
Trois
gros tuyaux flexibles ont été soudés
bout à bout. On a ensuite lesté ces conduites
de plastique avec de gros collets en béton armé.
Puis, en août dernier, on les a remorqués
vers le large. On les a tendus jusqu'à cinq kilomètres
du rivage, où on les a laissés couler
jusqu'au fond, à 85 mètres sous la surface.
À cette profondeur, l'eau du lac est toujours
froide, été comme hiver. Les tuyaux vont
capter, chaque jour, 380 000 mètres cubes
de cette eau glacée afin de climatiser jusqu'à
une centaine d'immeubles de bureaux du centre-ville.
C'est le plus gros projet du genre au
monde! Un investissement de 175 millions de dollars
de la compagnie Enwave, la même qui fournit déjà
le chauffage collectif à 130 édifices
du centre-ville pendant l'hiver. Dorénavant,
elle assurera aussi la climatisation collective.
Mais quel sera l'impact de ce projet
sur le lac? Si on lui retire une telle quantité
d'eau froide, qui va lui revenir plus chaude, est-ce
qu'on ne risque pas de changer sa température
au fil des ans? Chris Asimakis, vice-président
de Enwave, se montre rassurant: «Nos études
ont démontré qu'on pourrait faire 1000
projets semblables sans même modifier la température
de l'eau. L'eau retrouve chaque année la même
température, comme elle le fait depuis des siècles.»
Et
il n'a pas tort. Tous les lacs profonds sont de véritables
machines à stocker le froid pendant l'hiver parce
que l'eau change de volume en fonction de la température.
À quatre degrés Celsius, l'eau devient
plus compacte, plus lourde, et elle s'accumule alors
au fond du lac. À la fin de l'été,
l'eau de la surface se refroidit et, en se contractant
à son tour, elle coule vers les profondeurs.
Cette plongée d'eau froide se poursuit pendant
l'automne, jusqu'à ce que toute l'eau du lac
soit à quatre degrés, sa densité
maximale. Puis, avec l'hiver, l'eau continue de se refroidir.
Elle devient alors un peu plus légère
et flotte à la surface, provoquant son gel. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle les poissons peuvent
survivre pendant l'hiver: l'eau la plus froide est juste
sous la glace, alors que le fond demeure toujours à
quatre degrés. Lorsque le temps chaud revient,
la surface se réchauffe, mais l'eau du fond reste
toujours à quatre degrés. L'eau chaude
flotte, et le fond reste froid.
Il y a aussi un autre bénéfice.
Comme l'eau froide du fond ne se mélange à
peu près pas avec l'eau polluée des rives
à la surface, elle demeure propre. Cette source
d'eau potable est excellente. Les services des aqueducs
de Toronto ont même décidé de devenir
partenaires du projet de Enwave. Ainsi, les trois grands
tuyaux dirigeront d'abord leur eau froide vers l'usine
d'eau potable de Toronto. L'eau y sera filtrée,
désinfectée et injectée dans l'aqueduc
municipal. Mais avant d'arriver aux consommateurs, l'eau
va passer par des «échangeurs de chaleur»,
qui vont transférer le froid chez Enwave, et
l'eau potable dans l'aqueduc!
En
juillet 2003, l'édifice University était
la première tour de bureaux à se rattacher
à la climatisation d'Enwave. «Nous épargnons
presque 1 million de dollars en ne remplaçant
pas nos vieux climatiseurs. Et en septembre, notre facture
d'électricité a diminué de moitié
par rapport au mois de septembre précédent»,
atteste Andrew McAllan, d'Oxford Properties Group, gestionnaire
de l'édifice.
L'ensemble du projet fera économiser
30 millions de kWh par année, surtout lors
de la pointe de consommation en été. Comme
cette énergie est habituellement fournie par
des centrales au charbon, on réduira la pollution
de l'air et on éliminera, chaque année,
40 000 tonnes de gaz à effet de serre.
L'énergie de refroidissement est
renouvelable et gratuite, mais l'investissement demandé
pour monter cette infrastructure est énorme.
Et tout cela prend du temps! Il est clair qu'on ne pourrait
jamais climatiser 100 édifices du jour au lendemain!