Professeur
de biochimie à l'Université du Québec
à Montréal et directeur du laboratoire
d'oncologie moléculaire de l'hôpital Sainte-Justine,
Richard Béliveau a, à son actif, de belles
réussites en recherche. Étoile montante
et modèle pour ses jeunes collègues, il
s'est récemment illustré en trouvant une
manière élégante de faire franchir
aux médicaments la barrière hémato-encéphalique.
«C'est un combat personnel,
la lutte au cancer. Notre objectif est d'amener les
observations que nous faisons avec les modèles
animaux aux modèles cellulaires, en clinique»,
décrit Richard Béliveau, directeur du
laboratoire de biologie moléculaire du centre
de cancérologie Charles-Bruneau, à l'hôpital
Sainte-Justine. Ce chercheur, qui se bat contre le cancer,
est aussi imprégné de culture japonaise.
«Les samouraïs sont toujours à
proximité de la mort. Un chercheur en oncologie
vit aussi avec l'idée de la mort sur une base
quotidienne. Si je réussis, le patient survit.
Si je ne réussis pas, le patient meurt.»
Un samouraï contre le cancer, un
combat où la mort est toujours présente.
Ses valeurs en recherche sont les mêmes que le
Bushido, la voie du guerrier: compétence technique,
dévotion à une cause, persévérance
et tolérance. «Les bons chercheurs ne
sont pas juste des gens imaginatifs et créateurs,
ce sont des gens qui sont capables de se relever lorsqu'ils
tombent par terre, qui sont capables d'encaisser l'échec.
On doit, comme chercheur, rejeter les hypothèses
qu'on a créées du revers de la main sans
aucune amertume», une philosophie qu'il considère
comme très proche des arts martiaux.
En
cancérologie, par exemple, un des objectifs est
d'amener les médicaments directement aux tumeurs.
Lors des dernières années, bien des chercheurs
ont tenté d'y parvenir, mais en vain. Richard
Béliveau a aussi suivi plusieurs fausses pistes,
mais pour lui, ce n'était pas des échecs.
Tout au plus un manque de concentration.
«La vraie percée en recherche,
c'est lorsqu'on prend des éléments disparates,
qu'on les met ensemble et qu'à ce moment, apparaît
l'hypothèse unificatrice. On retrouve cette philosophie
aussi dans les arts martiaux. J'avais un maître
de Kendo qui me disait toujours: "Lorsque tu veux
donner le bon de coup de sabre, il ne faut pas que tu
penses au coup de sabre, il faut que tu sois le coup
de sabre."» Un jour, Richard Béliveau
est devenu le coup de sabre. Conjonction parfaite de
l'intention et du mouvement. Il est tombé sur
la bonne molécule, celle qui permet d'approcher
les tumeurs cancéreuses du cerveau.
En laboratoire, on cherche des moyens
d'atteindre les tumeurs du cerveau. Le défi est
grand, puisque le cerveau possède son propre
système de défense: la barrière
hémato-encéphalique. Très peu de
substances naturelles peuvent la franchir et se rendre
à l'intérieur du cerveau. La seule solution
était de trouver un cheval de Troie, une molécule
pouvant en cacher une autre pour permettre aux médicaments
de franchir la barrière. C'est ce que Richard
Béliveau a trouvé. Son coup de sabre,
c'est la découverte de la mélanotransferrine.
Le
succès vient aussi d'une équipe, qu'on
sent très soudée autour de son leader.
Tout récemment, l'équipe du professeur
Béliveau a trouvé une autre molécule
du même genre, apparemment 10 fois plus efficace
encore que la mélanotransferrine. Mais attention:
tout ceci n'est qu'à l'étape du laboratoire.
On n'a réussi à démontrer l'efficacité
de ces molécules que sur des animaux de recherche.
On est encore loin d'un traitement pour les malades.
Même chose pour un autre volet
de la recherche. L'équipe de Richard Béliveau
a identifié plusieurs molécules naturelles,
présentes notamment dans le thé vert.
Elles auraient des vertus thérapeutiques contre
le cancer. En prévention, et peut-être
en traitement. Biologiquement, c'est peut-être
ces molécules qui jouent le rôle naturel
des agents anticancéreux dans l'alimentation.
Tout cela est prometteur, mais la recherche
est un long chemin pour le samouraï. «C'est
vraiment de la rage que cela prend, une rage rationnelle,
une rage éduquée, une rage ciblée,
mais il faut se fâcher dans la vie pour que les
choses bougent.»