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REPORTAGE  —  15 février 2004

 
La grippe aviaire

La grippe de cette année frappe dur à cause de la présence d'une nouvelle souche virale de l'influenza, la Fujian H3N2. Comme cette souche n'est apparue qu'à la fin de la saison dernière, le vaccin n'est pas disponible présentement en Amérique du Nord. Résultat : les mortalités devraient passer de 25 000 à 75 000.

Or, depuis deux semaines, un nouveau virus de l'influenza fait encore plus peur. Issu de la grippe du poulet, qui avait causé beaucoup de tort à Hong-Kong en 1997, le virus se répand partout en Asie du Sud-Est. Pour l'instant, il ne se propage que des oiseaux aux humains. Mais ce serait le désastre s'il passait d'un humain à l'autre.

Journaliste : Mario Masson
Réalisatrice : Chantal Théorêt

Depuis quelques semaines, elle a causé la destruction de millions de poulets et la mort de quelques dizaines de personnes en Asie. Elle fait peur, cette grippe, très peur. Mais fait-elle trop peur? Est-ce juste une autre histoire gonflée par les médias? Est-ce encore une de ces catastrophes annoncées qui ne se produira pas? Oui et non.

Ce qu'il y a de certain, c'est que l'influenza, la grippe, ne doit pas être prise à la légère. Bon an mal an, juste au Canada, l'influenza causée par la souche virale H3N2, celle qui nous rend régulièrement malades depuis plus 30 ans, est responsable de la mort de 500 à 5000 personnes. Et cela, même si nous sommes en partie immunisés contre elle. Or, nous ne le sommes pas contre la grippe aviaire, du nom de code H5N1, qui frappe présentement l'Asie. C'est ça qui fait peur.

D'ailleurs, ce virus a déjà causé tout un émoi en 1997. Ce qu'on appelait alors « la grippe du poulet » avait frappé 18 personnes, dont 6 sont mortes en quelques jours. Responsable : le virus H5N1. Sa capacité à tuer rapidement faisait penser à la grippe espagnole, elle aussi une grippe aviaire, qui avait causé la mort de 30 à 50 millions de personnes en 1917 et 1918. Pour contrer cette grippe du poulet, les autorités de Hong-Kong avaient pris les grands moyens. En janvier 1998, elles avaient abattu 1,5 millions de poulets en 72 heures. La crise s'était ensuite résorbée. Non seulement n'y avait-il plus de victimes, mais bonne nouvelle, cette grippe ne semblait pas se propager entre humains. Ceux qui étaient morts avaient tous été en contact direct avec des poulets infectés.

Ce même virus, le H5N1, légèrement modifié, a refait surface en avril 2003. Mais cette fois, il s'est répandu comme une traînée de poudre dans 10 pays : la Chine, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan, le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge, de même qu'en Indonésie et au Pakistan. La dissémination rapide du virus H5N1, maintenant connu sous le nom de « grippe aviaire », étonne. Il semble que certains pays aient retardé la déclaration de la maladie, donc son contrôle. C'est le cas de la Thaïlande, pour laquelle la grippe aviaire est une catastrophe économique. Ce qui a fait réagir les gouvernements, c'est qu'elle s'est mise à infecter et à tuer des humains. La proportion de morts est plus élevée qu'à Hong-Kong en 1997. Sur les quelques dizaines de personnes infectées, 60 % sont décédées. C'est énorme. Ce pourcentage prouve hors de tout doute que la grippe aviaire H5N1 est d'une grande virulence.

Avec un pourcentage aussi élevé, on peut se demander pourquoi il n'y a pas eu davantage de personnes infectées. Après tout, des millions de poulets infectés ont été en contact avec des centaines de milliers de personnes en Asie depuis presque un an maintenant. La raison est qu'il est relativement rare qu'un virus passe directement de l'oiseau à l'humain. Or, ce que craint l'Organisation mondiale de la santé, c'est que le virus H5N1 ne subisse une mutation, rendant possible la contagion de personne à personne. Une probabilité qui devient plus grande à mesure que le nombre de poulets infectés augmente.

Ce qui est à craindre, c'est qu'une personne déjà infectée par le virus H3N2, notre virus de la grippe, soit infectée par le virus H5N1. Une telle rencontre dans un être humain pourrait donner aux deux virus la chance de s'échanger des informations génétiques. D'un coté, notre virus H3N2 pourrait acquérir la virulence du virus aviaire, alors que ce dernier pourrait se doter des gènes qui rendent notre virus si contagieux. Conséquence : un hybride extrêmement pathogène, transmissible entre humains.

C'est cette possibilité que l'OMS veut absolument éviter. Car il suffit d'un seul cas du genre pour initier la chaîne de contagion. Cela ne s'est pas encore produit jusqu'à maintenant, mais les virologues ne peuvent se permettre d'écarter un tel scénario. Cependant, l'OMS ne perd pas de vue la voie classique de contagion. Généralement, les virus aviaires deviennent contagieux en transitant par une autre espèce génétiquement plus proche de nous : le cochon. On estime d'ailleurs que les premiers cas d'infection des cochons par le virus H5N1 ne devraient pas tarder à se manifester.

En entrant dans le cochon, le virus se transforme et se rapproche des formes humaines de l'influenza. C'est ce virus modifié qui, transmis ensuite à l'homme, devient contagieux. Voilà pourquoi les virus de l'influenza les plus pathogènes sont presque tous venus d'Asie, là où les humains, les oiseaux et les cochons vivent dans la promiscuité.

Cochons, et plus encore, poulets infectés, ces deux scénarios inquiètent les autorités. L'OMS ne peut se permettre de baisser la garde, car elle se souvient toujours de ce qui est arrivé en 1917-1918 avec la grippe espagnole. Pour notre système immunitaire, c'est du jamais vu. On connaît déjà les conséquences. L'OMS craint que le virus H5N1 ne nous joue le même tour.

Cela dit, il demeure très peu probable que la catastrophe de la grippe espagnole se répète. Cette fois, nous avons des vaccins. En ce moment, leur production pose un problème, parce que le virus aviaire H5N1 tue les œufs embryonnaires de poulet qui servent normalement à la fabrication du vaccin antigrippal. Toutefois, l'OMS pense qu'il sera bientôt possible d'utiliser des astuces génétiques pour parvenir à reproduire dans les œufs le virus H5N1 sans qu'il ne les tue. Néanmoins, il faudra attendre de quatre à six mois pour avoir des vaccins en quantités suffisantes.

Heureusement, nous possédons aujourd'hui des médicaments antigrippaux qui peuvent agir sur les virus eux-mêmes. Nous disposons aussi d'antibiotiques qui permettent de maîtriser les infections secondaires, qui ont causé bien des morts parmi les victimes de la grippe de 1917-1918.

Enfin, il y a en place tout un système de mesures d'hygiène d'urgence. Pas assez pour empêcher toute propagation de la maladie, comme l'a montré l'épisode du SRAS l'an dernier à Toronto, mais assez efficace pour réduire les dégâts. D'ailleurs, le gouvernement vient tout juste de rendre public le plan canadien de lutte contre la pandémie de grippe, qui le mettra à l'avant-scène au niveau international.

En a-t-on fait assez? Seul l'avenir le dira. L'enjeu est colossal : une pandémie qui pourrait causer, selon Santé Canada, entre 11 000 et 58 000 morts au pays.

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