La
grippe de cette année frappe dur à cause
de la présence d'une nouvelle souche virale de
l'influenza, la Fujian H3N2. Comme cette souche n'est
apparue qu'à la fin de la saison dernière,
le vaccin n'est pas disponible présentement en
Amérique du Nord. Résultat : les mortalités
devraient passer de 25 000 à 75 000.
Or, depuis deux semaines, un nouveau
virus de l'influenza fait encore plus peur. Issu de
la grippe du poulet, qui avait causé beaucoup
de tort à Hong-Kong en 1997, le virus se répand
partout en Asie du Sud-Est. Pour l'instant, il ne se
propage que des oiseaux aux humains. Mais ce serait
le désastre s'il passait d'un humain à
l'autre.
Journaliste
: Mario Masson
Réalisatrice : Chantal Théorêt
Depuis quelques semaines, elle a causé
la destruction de millions de poulets et la mort de
quelques dizaines de personnes en Asie. Elle fait peur,
cette grippe, très peur. Mais fait-elle trop
peur? Est-ce juste une autre histoire gonflée
par les médias? Est-ce encore une de ces catastrophes
annoncées qui ne se produira pas? Oui et non.
Ce qu'il y a de certain, c'est que l'influenza,
la grippe, ne doit pas être prise à la
légère. Bon an mal an, juste au Canada,
l'influenza causée par la souche virale H3N2,
celle qui nous rend régulièrement malades
depuis plus 30 ans, est responsable de la mort de 500
à 5000 personnes. Et cela, même si nous
sommes en partie immunisés contre elle. Or, nous
ne le sommes pas contre la grippe aviaire, du nom de
code H5N1, qui frappe présentement l'Asie. C'est
ça qui fait peur.
D'ailleurs, ce virus a déjà
causé tout un émoi en 1997. Ce qu'on appelait
alors « la grippe du poulet » avait
frappé 18 personnes, dont 6 sont mortes en quelques
jours. Responsable : le virus H5N1. Sa capacité
à tuer rapidement faisait penser à la
grippe espagnole, elle aussi une grippe aviaire, qui
avait causé la mort de 30 à 50 millions
de personnes en 1917 et 1918. Pour contrer cette grippe
du poulet, les autorités de Hong-Kong avaient
pris les grands moyens. En janvier 1998, elles avaient
abattu 1,5 millions de poulets en 72 heures. La crise
s'était ensuite résorbée. Non seulement
n'y avait-il plus de victimes, mais bonne nouvelle,
cette grippe ne semblait pas se propager entre humains.
Ceux qui étaient morts avaient tous été
en contact direct avec des poulets infectés.
Ce
même virus, le H5N1, légèrement
modifié, a refait surface en avril 2003. Mais
cette fois, il s'est répandu comme une traînée
de poudre dans 10 pays : la Chine, la Corée du
Sud, le Japon, Taïwan, le Vietnam, le Laos, la
Thaïlande, le Cambodge, de même qu'en Indonésie
et au Pakistan. La dissémination rapide du virus
H5N1, maintenant connu sous le nom de « grippe
aviaire », étonne. Il semble que certains
pays aient retardé la déclaration de la
maladie, donc son contrôle. C'est le cas de la
Thaïlande, pour laquelle la grippe aviaire est
une catastrophe économique. Ce qui a fait réagir
les gouvernements, c'est qu'elle s'est mise à
infecter et à tuer des humains. La proportion
de morts est plus élevée qu'à Hong-Kong
en 1997. Sur les quelques dizaines de personnes infectées,
60 % sont décédées. C'est énorme.
Ce pourcentage prouve hors de tout doute que la grippe
aviaire H5N1 est d'une grande virulence.
Avec un pourcentage aussi élevé,
on peut se demander pourquoi il n'y a pas eu davantage
de personnes infectées. Après tout, des
millions de poulets infectés ont été
en contact avec des centaines de milliers de personnes
en Asie depuis presque un an maintenant. La raison est
qu'il est relativement rare qu'un virus passe directement
de l'oiseau à l'humain. Or, ce que craint l'Organisation
mondiale de la santé, c'est que le virus H5N1
ne subisse une mutation, rendant possible la contagion
de personne à personne. Une probabilité
qui devient plus grande à mesure que le nombre
de poulets infectés augmente.
Ce
qui est à craindre, c'est qu'une personne déjà
infectée par le virus H3N2, notre virus de la
grippe, soit infectée par le virus H5N1. Une
telle rencontre dans un être humain pourrait donner
aux deux virus la chance de s'échanger des informations
génétiques. D'un coté, notre virus
H3N2 pourrait acquérir la virulence du virus
aviaire, alors que ce dernier pourrait se doter des
gènes qui rendent notre virus si contagieux.
Conséquence : un hybride extrêmement pathogène,
transmissible entre humains.
C'est cette possibilité que l'OMS
veut absolument éviter. Car il suffit d'un seul
cas du genre pour initier la chaîne de contagion.
Cela ne s'est pas encore produit jusqu'à maintenant,
mais les virologues ne peuvent se permettre d'écarter
un tel scénario. Cependant, l'OMS ne perd pas
de vue la voie classique de contagion. Généralement,
les virus aviaires deviennent contagieux en transitant
par une autre espèce génétiquement
plus proche de nous : le cochon. On estime d'ailleurs
que les premiers cas d'infection des cochons par le
virus H5N1 ne devraient pas tarder à se manifester.
En
entrant dans le cochon, le virus se transforme et se
rapproche des formes humaines de l'influenza. C'est
ce virus modifié qui, transmis ensuite à
l'homme, devient contagieux. Voilà pourquoi les
virus de l'influenza les plus pathogènes sont
presque tous venus d'Asie, là où les humains,
les oiseaux et les cochons vivent dans la promiscuité.
Cochons, et plus encore, poulets infectés,
ces deux scénarios inquiètent les autorités.
L'OMS ne peut se permettre de baisser la garde, car
elle se souvient toujours de ce qui est arrivé
en 1917-1918 avec la grippe espagnole. Pour notre système
immunitaire, c'est du jamais vu. On connaît déjà
les conséquences. L'OMS craint que le virus H5N1
ne nous joue le même tour.
Cela dit, il demeure très peu
probable que la catastrophe de la grippe espagnole se
répète. Cette fois, nous avons des vaccins.
En ce moment, leur production pose un problème,
parce que le virus aviaire H5N1 tue les ufs embryonnaires
de poulet qui servent normalement à la fabrication
du vaccin antigrippal. Toutefois, l'OMS pense qu'il
sera bientôt possible d'utiliser des astuces génétiques
pour parvenir à reproduire dans les ufs
le virus H5N1 sans qu'il ne les tue. Néanmoins,
il faudra attendre de quatre à six mois pour
avoir des vaccins en quantités suffisantes.
Heureusement,
nous possédons aujourd'hui des médicaments
antigrippaux qui peuvent agir sur les virus eux-mêmes.
Nous disposons aussi d'antibiotiques qui permettent
de maîtriser les infections secondaires, qui ont
causé bien des morts parmi les victimes de la
grippe de 1917-1918.
Enfin, il y a en place tout un système
de mesures d'hygiène d'urgence. Pas assez pour
empêcher toute propagation de la maladie, comme
l'a montré l'épisode du SRAS l'an dernier
à Toronto, mais assez efficace pour réduire
les dégâts. D'ailleurs, le gouvernement
vient tout juste de rendre public le plan canadien de
lutte contre la pandémie de grippe, qui le mettra
à l'avant-scène au niveau international.
En a-t-on fait assez? Seul l'avenir le
dira. L'enjeu est colossal : une pandémie qui
pourrait causer, selon Santé Canada, entre 11
000 et 58 000 morts au pays.