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REPORTAGE  —  8 février 2004

 
La forêt de l'Aigle

À 50 km à l'ouest de Maniwaki, dans la forêt de l'Aigle, on tente depuis 5 ans une expérience de foresterie nouvelle, autour du concept de « forêt habitée ». L'objectif est de faire coexister les activités d'exploitation forestière, de tourisme, de chasse et de pêche sur un territoire forestier de 115 kilomètres carrés. Une société de gestion, formée de représentants du milieu, s'est engagée à aménager la forêt de manière durable, respectueuse de la capacité de régénération de la ressource. Un modèle pour l'avenir?

Journaliste : Jean-Pierre Rogel
Réalisateur : Yves Lévesque

 

Des arbres à perte de vue, à 20 km de Maniwaki. Ici, on ne remarque que le silence et la silhouette majestueuse des grands pins. C'est en 1996 qu'a débuté l'expérience de la forêt de l'Aigle. Sept organismes locaux, dont une coopérative sylvicole, deux clubs de chasse et pêche et le peuple amérindien Kitibanzibi, s'associent pour fonder une société. Leur but : exploiter de façon durable cette ancienne réserve forestière.

La forêt de l'Aigle est un petit territoire de 140 kilomètres carrés. Mais il possède un joyau : des énormes pins, qui couvrent le tiers de la surface totale. Pins rouges, pins blancs, ils sont issus d'un feu, survenu à la fin du 19e siècle, et n'ont jamais été récoltés depuis. Une rareté au Québec. « On a de la chance avec la forêt de l'Aigle. Il y a là une richesse forestière hors du commun. Il y a des revenus très intéressants à faire avec l'exploitation forestière. Non seulement pour le volume, mais pour la qualité. Ces arbres, on s'en sert pour faire des poteaux électriques, des poteaux de téléphone », explique Marc Beaudoin, ingénieur forestier et directeur de la Corporation de la gestion de la forêt de l'Aigle. Des pins comme ceux-là, droits et sans nœuds, peuvent se vendre de 300 à 600 $ chacun. À la forêt de l'Aigle, on les vend debout, comme on dit, c'est-à-dire avant qu'ils soient abattus. On les vend aux enchères - parfois même sur Internet!

Mais pour arriver à cela, il faut avoir une stratégie. Ici, jamais de coupe totale. Des coupes d'éclaircie seulement. On étudie bien les parcelles, et on fait du cas par cas. « Dans un premier temps, on identifie les meilleurs arbres, les arbres qui feront le peuplement final. Les arbres sont alors marqués en bleu. Ensuite, on dégage ces arbres en marquant en orange ceux qui viennent compétition. En enlevant ces derniers, les arbres en bleu sont plus libres de croître, et ils gagnent en volume beaucoup plus rapidement et génèrent un peuplement final de meilleure qualité », précise Marc Beaudoin. Un peuplement non seulement de qualité, mais aussi durable. La clé, c'est de protéger la régénération naturelle. Inutile de protéger les petits plants tout de suite après une coupe. La majorité va disparaître naturellement, par le jeu de la compétition. Les gagnants, ceux qui seront encore là dans 10 ou 15 ans, vont être bichonnés pour le futur.

Au début du projet, la forêt n'était habitée que par le bruit du vent. Puis sont venus les bûcherons. Mais au bout de trois ans, on a converti les premiers revenus en investissements, pour en faire une vraie forêt habitée. On a investi dans des équipements récréotouristiques de grande qualité. Le camping, la randonnée, et même un sentier suspendu de 600 mètres de longueur a été aménagé pour en faire un site tout à fait exceptionnel. Accroché aux grands pins, il domine les feuillus alentour. Sensations garanties! Les chasseurs sont aussi les bienvenus dans cette forêt, où l'orignal et le chevreuil sont en abondance. Sans compter les adeptes des sentiers de véhicule tout-terrain et de motoneige, deux activités très populaires dans la région.

Concrètement, cela se traduit par un plan de développement quinquennal. Le territoire a été découpé en secteurs, dans lesquels les aménagements sont spécifiés. Par exemple, autour du lac Harry, il y a un habitat protégé, une héronnière, des sentiers de motoneige le long de la rivière et une zone de foresterie intensive. Tout ça dans une petite zone de 8 kilomètres carrés. À la Corporation de la gestion de la forêt de l'Aigle, on appelle cela une « scénarisation intégrée » : des petits morceaux pour faire un tout, un peu comme dans les reportages de Découverte!

Il reste que, malgré les bonnes intentions, le projet est jeune, et il lui manque quelques atouts. Par exemple, il est impossible de faire de la gestion intégrée si on ne contrôle pas l'exploitation de la ressource faunique. Or, la société de gestion de la forêt de l'Aigle ne détient pas les droits de gestion sur la faune. Si bien qu'elle ignore quel est le prélèvement réel des espèces chassées, telles que l'orignal et le chevreuil. « On veut contrôler la faune, contrôler le prélèvement de certaines espèces, sans pour autant nuire au droit des gens qui étaient là avant l'arrivée de la société. Par contre, on a le mandat de gérer les ressources, dont la ressource faunique. On doit donc éviter la surexploitation », expose André Dumont, directeur de l'aménagement de la Corporation de la forêt de l'Aigle. Conclusion : il va falloir contrôler les chasseurs et les faire payer. Un tournant pas facile à négocier pour ce territoire qui a toujours été d'accès libre.

Il y a 7 ans, le gouvernement québécois lançait 15 projets-pilotes de forêts habitées. La forêt de l'Aigle est le projet qui s'en sort le mieux, et qui paraît le plus prometteur. Ses animateurs en sont fiers et espèrent faire école. Une forêt pour tous, d'où on tire du bois de qualité, sans l'épuiser : voilà une expérience qui fait réfléchir. Une expérience, et peut-être un modèle pour la foresterie de demain.

Pour en savoir plus :

 


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