Selon
une nouvelle étude parue dans le magazine Science
du 9 janvier dernier, les niveaux de polluants sont
10 fois plus élevés chez les saumons d'élevage
que chez les saumons sauvages. Les chercheurs qui ont
mené l'étude conseillent même aux
consommateurs de ne pas manger de saumons d'élevage
plus d'une fois par mois pour la majorité des
gens, et pas du tout dans le cas des femmes enceintes
et des enfants. Bien sûr, l'industrie de l'aquaculture
ne partage pas ce point de vue. Faut-il réellement
s'alarmer?
Journaliste:
Mario Masson
Réalisatrice: Jeannita Richard
En raison des droits d'auteur,
ce reportage ne sera pas disponible sur Internet.
Le saumon d'élevage canadien est
un mets très prisé. Sa chair ferme, son
goût à la fois délicat et robuste
en font un aliment de choix, une source de santé.
Mais des doutes commencent à planer.
Tout
a commencé lorsque le laboratoire Axis, à
Vancouver, a commencé à recevoir des colis
contenant des saumons d'élevage. Achetés
dans les supermarchés de 16 grandes villes, ces
saumons provenaient de huit pays d'Europe, d'Amérique
du Nord et d'Amérique du Sud. La chimiste Coreen
Hamilton et ses collègues ont étudié
les poissons et ont publié leurs résultats.
Cela a eu l'effet d'une bombe. «La grande conclusion
de cette étude, c'est que les gens devraient
être prudents en ce qui concerne la quantité
de saumons d'élevage qu'ils consomment»,
avertit la scientifique. L'équipe a identifié
différents polluants dans les saumons d'élevage,
comme des dioxines, des pesticides, et plus particulièrement
des BPCs et des organochlorés, qu'on pense être
responsables de certains cancers et des retards de développement
chez l'être humain.
L'équipe de Coreen Hamilton a
aussi comparé les saumons d'élevage aux
saumons sauvages. Les résultats ont démontré
que le niveau moyen de BPCs dans les saumons d'élevage
est, de façon constante et significative, beaucoup
plus élevé que dans les saumons sauvages.
En outre, ce niveau varie selon la région. Il
est beaucoup plus élevé en Europe du Nord
qu'il ne l'est au Canada, aux États-Unis ou au
Chili. Mais les saumons d'élevage canadiens ne
sont pas au-dessus de tout soupçon pour autant.
«Les consommateurs canadiens seraient exposés
à un niveau de polluants 10 fois plus élevé
chez les saumons d'élevage que chez les saumons
sauvages», avance Mme Hamilton.
D'après
les recherches, cette pollution semble provenir de la
nourriture donnée en quantité industrielle
aux saumons d'élevage. Les saumons sont des carnivores
voraces qu'il faut gaver en vitesse pour les mettre
sur le marché le plus rapidement possible. Pour
cela, on leur donne des boulettes riches en protéines
et en huile de poissons. Il faut en moyenne 3 kg de
cette nourriture pour produire 1 kg de saumon. La relation
de cause à effet entre la nourriture donnée
aux saumons d'élevage et les forts niveaux de
polluants qu'ils contiennent est incontournable, selon
le chercheur principal de l'étude, David Carpenter.
«La pollution provient essentiellement de la
nourriture donnée aux saumons d'élevage.
Nous avons analysé des échantillons de
cette nourriture provenant de partout dans le monde.
Les saumons sont gavés de poissons sans valeur
commerciale, moulus et transformés en farine
et en huile de poisson. L'analyse de cette nourriture
a démontré qu'il y avait pollution dans
chaque cas, et que très souvent, la quantité
de polluants dans la nourriture correspondait à
la quantité de polluants dans les saumons.»
L'industrie
de l'aquaculture conteste avec véhémence
les conclusions de cette recherche. «Notre
intérêt premier, c'est le consommateur.
Nous n'aimons pas qu'il y ait des polluants dans notre
environnement, et nous n'aimons pas qu'il y en ait dans
notre nourriture. Nous faisons tout pour en réduire
la quantité», avance David Rideout,
de l'Alliance canadienne de l'industrie de l'aquaculture.
Selon l'organisation, le niveau trouvé dans les
saumons d'élevage est nettement inférieur
à ce qui est considéré comme dangereux
par les instances gouvernementales. «Nous avons
demandé à Santé Canada et à
la Food and Drug Administration des États-Unis
s'il y avait un problème. Leur réponse:
"Il n'y en a pas, de problème."»
Si on se fie à l'industrie de
l'aquaculture, comme le saumon est bon pour la santé
en raison de la présence des acides gras oméga
3, les Canadiens, qui en consomment des millions de
tonnes par année, ne devraient pas arrêter
d'en manger. L'équipe de Coreen Hamilton n'est
pas du même avis. Elle estime que les critères
de santé tels que déterminés par
Santé Canada et le FDA américain ne sont
pas assez sévères. Par conséquent,
l'équipe recommande aux femmes enceintes et aux
jeunes enfants d'éviter complètement le
saumon d'élevage. Pour les autres adultes, elle
conseille de réduire leur consommation à
une fois par mois. Elle suggère aussi à
la population de trouver d'autres sources riches en
oméga 3, comme l'huile de lin. Enfin, selon les
chercheurs, tous les saumons devraient être étiquetés
de manière à ce que les consommateurs
en connaissent la provenance.
Et ce n'est pas tout... «L'aquaculture
doit trouver une nourriture pour ses poissons d'élevage
libre de polluants, ou à tout le moins avec des
niveaux moins élevés. On peut y parvenir
en remplaçant les huiles et les farines de poissons
par des huiles et des protéines végétales
ou en utilisant des farines de poissons provenant d'océans
moins pollués, ou encore en trouvant une astuce
pour retirer les polluants des farines de poissons»,
ajoute David Carpenter.
Les
chercheurs de Pêches et Océans Canada,
à Saint-Andrew, au Nouveau-Brunswick, ont justement
commencé à travailler sur des nourritures
pour saumons plus saines, et surtout moins polluées.
Ils ne sont pas les seuls. Mais en attendant que l'industrie
de l'aquaculture corrige le tir et applique ces nouvelles
recherches, il est conseillé de modifier la façon
de faire cuire le saumon. «Nous conseillons
aux gens d'enlever la peau et la partie foncée
des saumons, là où se concentre le gras,
avant la cuisson. En plus, les gens devraient cuire
le saumon de façon à que le gras qui sort
de la chair puisse s'égoutter, parce c'est justement
ce gras qui contient les polluants», précise
David Carpenter.
Le problème, c'est que le gras
de saumon, s'il contient les polluants, contient aussi
une bonne quantité d'oméga 3. Alors que
faire? Manger ou ne pas manger de saumons d'élevage?
Et en quelle quantité? Pour dissiper tous les
doutes, d'autres études seront nécessaires.