Depuis
deux ans, plusieurs découvertes fondamentales
ont permis une meilleure compréhension de la
schizophrénie, une maladie mentale complexe qui
affecte 1 % de la population. Cette maladie a longtemps
été perçue comme un trouble affectant
un neurotransmetteur en particulier, la dopamine. Mais
les dernières découvertes pointent vers
un désordre plus étendu dans le fonctionnement
des neurones.
Journaliste
: Michel Rochon
Réalisatrice : Chantal Théorêt
Jocelyn,
un jeune homme de 23 ans, se passionne pour la philosophie,
la psychologie et la sociologie. En avril 2001, il a
participé aux manifestations du Sommet des Amériques.
C'est à ce moment que s'est déclenchée
sa première crise de schizophrénie. Il
a alors perdu contact avec la réalité.
Il s'est replié dans un monde intérieur,
caractérisé par le délire et les
idées de grandeur. Les symptômes de Jocelyn
avaient toutefois commencé dès l'adolescence.
Avant d'en arriver à ses idées de grandeur,
il avait d'abord eu le sentiment d'être dominé,
d'être constamment menacé par les autres.
Il s'était souvent isolé, esclave de sa
paranoïa.
La paranoïa et les idées
de grandeur de Jocelyn sont deux manifestations parmi
d'autres de la schizophrénie. Les plus connues
sont celles des hallucinations auditives, mais il y
a aussi une grande désorganisation de la pensée.
« Cette désorganisation amène
de la difficulté à communiquer avec les
autres, explique le Dr Marc-André Roy, psychiatre
travaillant au Centre de recherche Université
Laval Robert-Giffard. Le patient en arrive à
s'isoler pour se protéger, et développe
même parfois des idées délirantes. »
Les
médecins utilisent des antipsychotiques depuis
près de 50 ans pour contrôler les crises,
même s'ils ne comprennent pas exactement leurs
modes d'action. Ces médicaments contrôlent
en partie les hallucinations et les délires,
mais l'efficacité de ces drogues est limitée.
« Dans plusieurs cas, de 25 à 50
%, on a affaire à des phénomènes
de résistance au traitement, c'est-à-dire
que les symptômes psychotiques persistent malgré
l'utilisation du médicament. Les antipsychotiques
produisent des symptômes négatifs, tels
que le fait de manquer de motivation, de manquer d'intérêt
et de ne plus avoir envie de socialiser. On voit souvent
aussi une perte de performance dans certains tests de
mémoire, d'attention, de planification et ainsi
de suite. »
Les antipsychotiques n'agiraient donc
pas sur les véritables causes de la maladie.
Alors, que se passe-t-il dans le cerveau des schizophrènes?
Les neurones
sont un peu comme des fils électriques.
Ils sont entourés d'un isolant électrique
- la myéline - qui facilite le passage
du courant. Si cet isolant disparaît, le
courant ne passe plus. Résultat: différentes
régions du cerveau ne communiquent plus
entre elles. Le lobe frontal, la région
des prises de décisions, ne reçoit
plus d'information des autres régions associées
à la maladie.
La myéline
À l'hôpital Mount Sinai,
en plein cur de Manhattan, l'équipe du
docteur Kenneth Davis a examiné le cerveau de
schizophrènes à l'aide de la résonance
magnétique. Son équipe a découvert
que chez les patients schizophrènes, près
de 30 % des neurones de leur cerveau avaient perdu leur
myéline.
Cette perte de myéline influence
particulièrement les régions du cerveau
responsables des hallucinations et des délires.
Ces régions sont aussi impliquées dans
le contrôle des émotions, la logique et
la mémoire. Mais la force de cette théorie,
c'est qu'elle a été prouvée à
la fois par la résonance magnétique et
par la génétique. En effet, après
avoir analysé le cerveau de schizophrènes
décédés, le chercheur en neurosciences
Vahram Haroutunian a découvert qu'ils possédaient
six gènes défectueux. Et ces six gènes
seraient responsables de la perte de myéline,
ce qui vient prouver que le manque de myéline
est un facteur important dans la maladie.
Les synapses et l'hérédité
La synapse
est un peu comme la fiche d'un câble électrique.
Une perte du nombre de synapse mène encore
une fois à une perte de courant dans le
système. Un phénomène que
nous vivons tous à la fin de l'adolescence,
mais qui est plus marqué chez les schizophrènes.
Chez les schizophrènes, des chercheurs
ont remarqué qu'une autre partie neurologique
était affectée. Cette autre partie, la
synapse, permettrait d'expliquer pourquoi la schizophrénie
survient plus souvent à la fin de l'adolescence.
« On connaît maintenant
un peu plus la chronologie de la synaptogénèse,
ce processus normal par lequel, à l'adolescence,
on élimine les synapses inutiles. Cette chronologie
pourrait expliquer pourquoi la schizophrénie
émerge généralement vers la fin
de l'adolescence et le début de l'âge adulte.
De plus, puisque ce processus est influencé par
les hormones sexuelles, et particulièrement par
les strogènes, cela expliquerait pourquoi
les psychoses et la schizophrénie apparaissent
plus tard chez la femme, et que ces maladies ont une
meilleure évolution », en déduit
le Dr Roy.
La schizophrénie aurait également
un caractère héréditaire, encore
difficile à quantifier. Mais la récente
découverte de gènes de susceptibilité
à la maladie pourrait un jour permettre un dépistage.
« Pour développer la maladie, il
faut probablement une combinaison de gènes de
susceptibilité. Un seul gène ne suffit
pas », conclut le psychiatre. Et il ne
faut pas oublier que d'autres facteurs entrent en ligne
de compte. Le stress, par exemple, peut déclencher
la maladie. Pour Jocelyn, ce fut le Sommet des Amériques,
pour d'autres, ce sera un conflit familial, amoureux
ou scolaire.
On est loin d'avoir tout compris sur
la schizophrénie, car ces nouvelles découvertes
n'expliquent pas la cause première de la maladie.
Mais une chose est certaine: la schizophrénie
est maintenant vue comme un désordre de connexions
entre plusieurs régions du cerveau, ce qui pourra
mener, éventuellement, à de nouvelles
thérapies.