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REPORTAGE  —  11 janvier 2004

 
Prospection ou baleines? (suite)

Journaliste : Gilles Provost
Réalisateur : Pascal Gélinas

Les hydrocarbures, une menace pour les baleines?

Robert Michaud est un expert des baleines du Saint-Laurent. Il les connaît presque par leur petit nom! Jamais il n'a été aussi inquiet pour l'avenir des baleines du Saint-Laurent. Et il n'est pas le seul. Autour de lui gravite toute une coalition d'écologistes, des regroupements de pêcheurs, des associa-tions touristiques et d'artistes. Tous se sont mobilisés contre une campagne de levées sismiques qu'Hydro-Québec a commandée à Geophysical Service Incorporated, de Calgary. GSI doit, en deux semaines, procéder à 1600 km de levées sismiques entre la Gaspésie, l'île d'Anticosti et les Îles-de-la-Madeleine, et cela, à travers le couloir de migration des grands rorquals bleus, les plus gros animaux vivants sur notre planète.

Un peu comme pour la prospection terrestre, GSI procède à ses levées sismiques en laissant traîner derrière son navire plusieurs assemblages de canons à air. À toutes les 12 secondes, l'équipage fait exploser des bulles d'air comprimé près de la surface. Contrairement aux méthodes terrestres, durant les levées sismiques, le navire de GSI traîne derrière lui plusieurs assemblages de canons à air. À toutes les 12 secondes, ils font exploser des bulles d'air comprimé près de la surface. Les détonations se répercutent sur le fond marin et sur les structures du sous-sol, tandis que leurs échos sont enregistrés avec des microphones répartis le long d'un câble de 6 km.

Robert Michaud craint que les baleines ne soient blessées par l'intensité des sons utilisés pour la prospection sismique. « Les sons utilisés pour sonder les fonds marins vont faire une espèce de masque dans le Saint-Laurent. Et il ne faut pas oublier que les baleines sont essentiellement des animaux acoustiques, qu'ils dépendent des sons pour naviguer, pour trouver leur nourriture et pour communiquer avec leurs pairs. » Il va jusqu'à dire que les baleines pourraient être menacées.

À Calgary, ces prétentions font bondir Paul Einarsson, président de GSI. « Pendant les années 70 et 80, on a fait plus de 60 000 km de levées sismiques dans le golfe Saint-Laurent. Les intensités sonores étaient bien supérieures à celles d'aujourd'hui, et on ne prenait aucune des précautions actuelles. Malgré cela, on n'a jamais constaté de dommages. On a identifié chaque individu par les détails de sa queue, on les a étiquetés et on les a suivis sur de longues périodes, et aucun d'entre eux ne s'est perdu. Les baleines sont toujours là, elles continuent à s'alimenter. Apparemment, il n'y a eu aucun impact. »

Robert Michaud n'est pas d'accord avec ces conclusions. Les rorquals bleus utilisent des sons de très basses fréquences pour s'orienter et pour trouver leurs partenaires. Cela implique que leur oreille est très sensible aux sons de la sismique, car le bruit de l'air comprimé est lui aussi un son grave, à une fréquence si basse que l'oreille humaine n'en perçoit que les harmoniques. Si ces animaux sont soumis à ces sons, ils peuvent interrompre leurs activités d'alimentation et dévier de leur route de migration, nous rappelle Robert Michaud. Le rorqual bleu risque de prendre la fuite, et ce faisant, il quitterait sa migration et serait privé d'une zone riche en nourriture. « On minimise beaucoup cet effet. C'est plus que de déranger une baleine pendant son repas! C'est peut-être l'empêcher d'accumuler les réserves énergétiques nécessaires pour compléter son cycle vital avec succès. En d'autres mots, cela pourrait mettre en péril sa survie à long terme ou son succès reproducteur », signale M. Michaud.

GSI se défend de ne pas prendre la migration de ces bêtes en considération. Pour minimiser cet impact, GSI doit entamer sa prospection à partir de l'ouest, dans le même sens que la migration normale des rorquals. En somme, Paul Einarsson est convaincu d'avoir pris toutes les précautions possibles. À ses yeux, les écologistes devraient plutôt s'inquiéter des touristes qui pourchassent les baleines et du vacarme de la navigation commerciale.

Mais ce qui est inquiétant, c'est que l'industrie pétrolière se concentre présentement sur un projet sismique très limité, presque inoffensif. Les 1600 km dont on parle ne sont qu'un amuse-gueule par rapport aux 17 500 km qu'Hydro-Québec prévoit pour la suite, car si on trouve des formations intéressantes, il faudra ensuite les préciser. Le navire devra effectuer un quadrillage très serré autour de l'île de Sable. Les impacts futurs seront donc plus graves, mais plus localisées. Comment l'environnement sera-t-il affecté? Si danger il y a, sera-t-il pire pour les baleines, les poissons ou les homards? Et quelles normes de protection adopter?

Autant de questions difficiles que Québec a adressées à son Bureau d'audiences publiques sur l'Environnement, en décembre dernier. Une démarche qu'apprécient peu les écologistes. En effet, leur bataille allait bien au-delà des baleines et de la prospection sismique. Pour protéger l'environnement du golfe, ils voulaient empêcher tout développement pétrolier dans le Saint-Laurent : autant la prospection que le forage et l'exploitation.

Pour Paul Einarsson, c'est tout le contraire! Le Québec ferait une grave erreur stratégique en renonçant aux hydrocarbures pour protéger l'écologie. Il rappelle que c'est surtout du gaz naturel qu'Hydro-Québec prévoit trouver, un combustible plus propre que le pétrole. Si on multiplie les puits de gaz dans le golfe Saint-Laurent, l'environnement serait mieux servi, selon lui, car on pourrait alors réduire le trafic des pétroliers, ceux qui provoquent les marées noires.

Et puis, bien sûr, il y a les considérations économiques. « Ce serait bien que le Québec et la Nouvelle-Écosse aient une industrie énergétique forte, comme l'Alberta. Elles jouiraient d'une économie solide, avec des revenus fiscaux et l'indépendance énergétique. Le Québec importe une quantité phénoménale d'énergie! » Ce que M. Einarsson oublie, c'est que pour que le Québec importe une quantité phénoménale d'énergie, il faudrait des gisements énormes pour assurer son indépendance énergétique. S'il y a du pétrole ou du gaz sous le Saint-Laurent, on l'aura sans doute épuisé en moins de 40 ans.

Alors, le jeu en vaut-il la chandelle?

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