Robert
Michaud est un expert des baleines du Saint-Laurent.
Il les connaît presque par leur petit nom! Jamais
il n'a été aussi inquiet pour l'avenir
des baleines du Saint-Laurent. Et il n'est pas le seul.
Autour de lui gravite toute une coalition d'écologistes,
des regroupements de pêcheurs, des associa-tions
touristiques et d'artistes. Tous se sont mobilisés
contre une campagne de levées sismiques qu'Hydro-Québec
a commandée à Geophysical Service Incorporated,
de Calgary. GSI doit, en deux semaines, procéder
à 1600 km de levées sismiques entre la
Gaspésie, l'île d'Anticosti et les Îles-de-la-Madeleine,
et cela, à travers le couloir de migration des
grands rorquals bleus, les plus gros animaux vivants
sur notre planète.
Un
peu comme pour la prospection terrestre, GSI procède
à ses levées sismiques en laissant traîner
derrière son navire plusieurs assemblages de
canons à air. À toutes les 12 secondes,
l'équipage fait exploser des bulles d'air comprimé
près de la surface. Contrairement aux méthodes
terrestres, durant les levées sismiques, le navire
de GSI traîne derrière lui plusieurs assemblages
de canons à air. À toutes les 12 secondes,
ils font exploser des bulles d'air comprimé près
de la surface. Les détonations se répercutent
sur le fond marin et sur les structures du sous-sol,
tandis que leurs échos sont enregistrés
avec des microphones répartis le long d'un câble
de 6 km.
Robert Michaud craint que les baleines
ne soient blessées par l'intensité des
sons utilisés pour la prospection sismique. « Les
sons utilisés pour sonder les fonds marins vont
faire une espèce de masque dans le Saint-Laurent.
Et il ne faut pas oublier que les baleines sont essentiellement
des animaux acoustiques, qu'ils dépendent des
sons pour naviguer, pour trouver leur nourriture et
pour communiquer avec leurs pairs. »
Il va jusqu'à dire que les baleines pourraient
être menacées.
À
Calgary, ces prétentions font bondir Paul Einarsson,
président de GSI. « Pendant les
années 70 et 80, on a fait plus de 60 000 km
de levées sismiques dans le golfe Saint-Laurent.
Les intensités sonores étaient bien supérieures
à celles d'aujourd'hui, et on ne prenait aucune
des précautions actuelles. Malgré cela,
on n'a jamais constaté de dommages. On a identifié
chaque individu par les détails de sa queue,
on les a étiquetés et on les a suivis
sur de longues périodes, et aucun d'entre eux
ne s'est perdu. Les baleines sont toujours là,
elles continuent à s'alimenter. Apparemment,
il n'y a eu aucun impact. »
Robert Michaud n'est pas d'accord avec
ces conclusions. Les rorquals bleus utilisent des sons
de très basses fréquences pour s'orienter
et pour trouver leurs partenaires. Cela implique que
leur oreille est très sensible aux sons de la
sismique, car le bruit de l'air comprimé est
lui aussi un son grave, à une fréquence
si basse que l'oreille humaine n'en perçoit que
les harmoniques. Si ces animaux sont soumis à
ces sons, ils peuvent interrompre leurs activités
d'alimentation et dévier de leur route de migration,
nous rappelle Robert Michaud. Le rorqual bleu risque
de prendre la fuite, et ce faisant, il quitterait sa
migration et serait privé d'une zone riche en
nourriture. « On minimise beaucoup cet
effet. C'est plus que de déranger une baleine
pendant son repas! C'est peut-être l'empêcher
d'accumuler les réserves énergétiques
nécessaires pour compléter son cycle vital
avec succès. En d'autres mots, cela pourrait
mettre en péril sa survie à long terme
ou son succès reproducteur »,
signale M. Michaud.
GSI
se défend de ne pas prendre la migration de ces
bêtes en considération. Pour minimiser
cet impact, GSI doit entamer sa prospection à
partir de l'ouest, dans le même sens que la migration
normale des rorquals. En somme, Paul Einarsson est convaincu
d'avoir pris toutes les précautions possibles.
À ses yeux, les écologistes devraient
plutôt s'inquiéter des touristes qui pourchassent
les baleines et du vacarme de la navigation commerciale.
Mais ce qui est inquiétant, c'est
que l'industrie pétrolière se concentre
présentement sur un projet sismique très
limité, presque inoffensif. Les 1600 km dont
on parle ne sont qu'un amuse-gueule par rapport aux
17 500 km qu'Hydro-Québec prévoit pour
la suite, car si on trouve des formations intéressantes,
il faudra ensuite les préciser. Le navire devra
effectuer un quadrillage très serré autour
de l'île de Sable. Les impacts futurs seront donc
plus graves, mais plus localisées. Comment l'environnement
sera-t-il affecté? Si danger il y a, sera-t-il
pire pour les baleines, les poissons ou les homards?
Et quelles normes de protection adopter?
Autant
de questions difficiles que Québec a adressées
à son Bureau d'audiences publiques sur l'Environnement,
en décembre dernier. Une démarche qu'apprécient
peu les écologistes. En effet, leur bataille
allait bien au-delà des baleines et de la prospection
sismique. Pour protéger l'environnement du golfe,
ils voulaient empêcher tout développement
pétrolier dans le Saint-Laurent : autant la prospection
que le forage et l'exploitation.
Pour Paul Einarsson, c'est tout le contraire!
Le Québec ferait une grave erreur stratégique
en renonçant aux hydrocarbures pour protéger
l'écologie. Il rappelle que c'est surtout du
gaz naturel qu'Hydro-Québec prévoit trouver,
un combustible plus propre que le pétrole. Si
on multiplie les puits de gaz dans le golfe Saint-Laurent,
l'environnement serait mieux servi, selon lui, car on
pourrait alors réduire le trafic des pétroliers,
ceux qui provoquent les marées noires.
Et puis, bien sûr, il y a les considérations
économiques. « Ce serait bien que
le Québec et la Nouvelle-Écosse aient
une industrie énergétique forte, comme
l'Alberta. Elles jouiraient d'une économie solide,
avec des revenus fiscaux et l'indépendance énergétique.
Le Québec importe une quantité phénoménale
d'énergie! » Ce que M. Einarsson
oublie, c'est que pour que le Québec importe
une quantité phénoménale d'énergie,
il faudrait des gisements énormes pour assurer
son indépendance énergétique. S'il
y a du pétrole ou du gaz sous le Saint-Laurent,
on l'aura sans doute épuisé en moins de
40 ans.