Les bases biologiques du suicide
Pourrait-on,
par un test biologique, identifier ceux qui risquent
vraiment de se suicider? Des chercheurs croient que
cela est possible. Ils scrutent les cerveaux et les
gènes des suicidés à la recherche
d'indices biologiques. Leur but : créer un test
qui permettrait aux médecins et aux psychiatres
de confirmer ou d'infirmer leurs craintes. Un test qui
leur permettrait d'intervenir à temps et de sauver
des vies.
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Journaliste
: Claude D'Astous
Réalisateur : Pierre Tonietto |
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Vous pouvez visionner
l'émission Place publique en compagnie
des animateurs Madeleine Roy et Charles Tisseyre. |
« C'est là que j'ai
vu Steven, raconte Louise Pinkerton, en pointant
l'endroit où elle a retrouvé le corps
inanimé de son fils. Il était couché
par terre, sur le ventre, sur le côté droit.
Il était mort. Cette image restera dans ma tête
jusqu'à la fin de mes jours. »
Steven, son fils de 24 ans, s'est suicidé. Il
pratiquait avec succès le culturisme, mais depuis
quelques mois, il avait des idées suicidaires.
Il avait même écrit des lettres d'adieux
qu'il avait cachées à ses proches. « Mais
sachant comment il était fort d'esprit, je ne
pouvais pas m'imaginer qu'il s'enlèverait la
vie, explique Louise Pinkerton. C'est une douleur
qui transperce mon âme. »
Pourquoi Steven s'est-il enlevé
la vie? Cette question hante sa mère.
Pourquoi
le suicide? Le psychiatre Gustavo Turecki, du groupe
d'études sur le suicide de l'Université
McGill, y consacre ses recherches. « La
première chose qu'on constate, quand on étudie
le cas des personnes qui se sont suicidées, c'est
la présence de maladie mentale. En fait, presque
100 % des gens qui se sont suicidés avaient un
problème de santé mentale »,
avance le Dr Gustavo Turecki. Une personne sur quatre
souffrira d'une maladie mentale au cours de sa vie.
Parmi ces gens, bien peu se suicideront. Comment cibler
ceux qui présentent un risque réel de
s'enlever la vie? En consultation, il n'est pas facile
d'évaluer ce risque. Le médecin doit se
fier à ce que le patient lui raconte.
Depuis
longtemps, les psychologues et psychiatres essaient
de faire le portrait-robot du suicidé. Nadia
Chawki est la responsable des psychologues qui aident
les proches éprouvés par un suicide. Pour
chaque cas, elle essaie de comprendre ce qui s'est passé.
« Ce qui ressort beaucoup, ce sont des
problèmes de dépression ou d'abus de substances
comme l'alcool ou la drogue. Au niveau de la personnalité,
on remarque souvent de l'impulsivité »,
analyse Nadia Chawki. On remarque aussi que les personnes
qui se sont suicidées ont de la difficulté
à donner un sens à leur vie. Ils ont souvent
vécu des situations d'abandon et de rupture (perte
d'emploi, divorce, etc.). « On parle aussi
beaucoup de problème de résilience. Ces
personnes ont de la difficulté à rebondir
devant l'adversité », ajoute Mme
Chawki. Pourtant, la majorité des gens qui répondent
à ces critères ne se suicideront pas pour
autant. Y a-t-il un moyen de cibler davantage ceux qui
passeront à l'acte?
Les chercheurs se sont tournés
vers la biologie. Ils sont allés voir ce qui
n'allait pas dans le cerveau des suicidés. Pour
cela, ils gardent dans des congélateurs plus
d'une centaine de cerveaux qu'ils peuvent scruter à
la loupe. S'il est vrai que les expériences que
nous vivons influent sur le fonctionnement, sur la biochimie
de notre cerveau, il est vrai aussi que la biochimie
du cerveau peut influer sur nos comportements. On sait
déjà que de nombreuses maladies mentales,
comme la dépression, s'accompagnent de problèmes
biochimiques. Qu'en est-il pour le suicide?
L'équipe
du Dr Gustavo Turecki a premièrement noté
un problème de sérotonine dans le cerveau
de ceux qui s'étaient suicidés. Dans un
cerveau en santé, on retrouve dans le bulbe rachidien
un noyau de neurones qui produit de la sérotonine,
un neurotransmetteur. De là, la sérotonine
est distribuée dans le cerveau. L'étude
des coupes du noyau montre que chez les personnes qui
se sont suicidées, contrairement à ce
qu'on pourrait s'attendre, les neurones produisent davantage
de sérotonine. Toutefois, malgré cette
production élevée, on observe dans le
lobe préfrontal un manque de sérotonine.
C'est donc le transport de ce neurotransmetteur qui
serait déficient. Résultat : le lobe préfrontal,
qui contrôle l'impulsivité, fonctionne
mal.
Dans la pratique, on a effectivement
remarqué que les personnes qui se sont suicidées
sont souvent impulsives, voire agressives. Il ne serait
donc pas étonnant qu'il y ait bien un lien entre
l'impulsivité, la sérotonine et le suicide.
La mère de Steven le confirme : « Les
derniers mois ont été difficiles. Il était
devenu très tendu. Son vocabulaire était
agressif. Il parlait de son travail, de ses activités,
mais avec tellement d'agressivité, de rage parfois. »
Une autre piste est aussi considérée,
bien qu'elle soit très contestée par les
cardiologues. Des études ont démontré
que les gens ayant un faible taux de cholestérol
sanguin seraient plus sujets à l'impulsivité.
Le Dr Gustavo Turecki, quant à lui, refuse d'ignorer
cette piste. Après tout, peut-être que
les gènes qui contrôlent la production
du cholestérol ont des effets insoupçonnés
sur la biochimie du cerveau. « Il n'y
a pas de gène du suicide, mais on étudie
la génétique parce qu'on veut comprendre
la prédisposition au suicide »,
précise-t-il.
Grâce
à la collaboration des familles, la recherche
dispose de centaines de fioles de sang provenant de
personnes qui se sont suicidées. Dans l'histoire
du suicide, l'hérédité aurait son
mot à dire. Certaines familles semblent plus
fragiles que d'autres. L'équipe du Dr Turecki
est en train de passer au crible les 30 000 gènes
que contient l'ADN. On veut vérifier lesquels
sont activés ou désactivés dans
le cerveau, selon le type de décès. Dans
le cas de Steven, depuis son adolescence, il traînait
une fatigue chronique qu'il combattait de toutes ses
forces et face à laquelle la médecine
semblait impuissante. Pour en avoir raison, Steven s'est
adonné au culturisme, mais cette fatigue a persisté,
minant sa vie. Malgré son état, Steven
refusait de voir un médecin. Après sa
mort, les psychologues ont diagnostiqué une dépression
majeure.
Aujourd'hui, avec les nouvelles découvertes,
on espère aller encore plus loin. On espère
qu'un jour, un examen d'imagerie médicale, ou
encore un test sanguin, permettra de mieux mesurer le
risque suicidaire.
Quelques adresses
importantes :
Groupe
McGill d'études sur le suicide
Groupe de recherche sur le suicide
Téléphone : (514) 251-4015 poste 3530
Association
québécoise de prévention du suicide
Groupe qui rassemble les ressources en prévention
du suicide au Québec
Téléphone : (514) 528-5858
Suicide-Action Montréal
Groupe qui offre de l'intervention directe auprès
des personnes en détresse et ayant des idées
suicidaires
Téléphone : (514) 723-4000
La
part des gènes dans le suicide
Article du Devoir, 7 mai 2003
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