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REPORTAGE  —  9 novembre 2003

 
Les bases biologiques du suicide

Pourrait-on, par un test biologique, identifier ceux qui risquent vraiment de se suicider? Des chercheurs croient que cela est possible. Ils scrutent les cerveaux et les gènes des suicidés à la recherche d'indices biologiques. Leur but : créer un test qui permettrait aux médecins et aux psychiatres de confirmer ou d'infirmer leurs craintes. Un test qui leur permettrait d'intervenir à temps et de sauver des vies.

Journaliste : Claude D'Astous
Réalisateur : Pierre Tonietto
   
Vous pouvez visionner l'émission Place publique en compagnie des animateurs Madeleine Roy et Charles Tisseyre.

« C'est là que j'ai vu Steven, raconte Louise Pinkerton, en pointant l'endroit où elle a retrouvé le corps inanimé de son fils. Il était couché par terre, sur le ventre, sur le côté droit. Il était mort. Cette image restera dans ma tête jusqu'à la fin de mes jours. » Steven, son fils de 24 ans, s'est suicidé. Il pratiquait avec succès le culturisme, mais depuis quelques mois, il avait des idées suicidaires. Il avait même écrit des lettres d'adieux qu'il avait cachées à ses proches. « Mais sachant comment il était fort d'esprit, je ne pouvais pas m'imaginer qu'il s'enlèverait la vie, explique Louise Pinkerton. C'est une douleur qui transperce mon âme. »

Pourquoi Steven s'est-il enlevé la vie? Cette question hante sa mère.

Pourquoi le suicide? Le psychiatre Gustavo Turecki, du groupe d'études sur le suicide de l'Université McGill, y consacre ses recherches. « La première chose qu'on constate, quand on étudie le cas des personnes qui se sont suicidées, c'est la présence de maladie mentale. En fait, presque 100 % des gens qui se sont suicidés avaient un problème de santé mentale », avance le Dr Gustavo Turecki. Une personne sur quatre souffrira d'une maladie mentale au cours de sa vie. Parmi ces gens, bien peu se suicideront. Comment cibler ceux qui présentent un risque réel de s'enlever la vie? En consultation, il n'est pas facile d'évaluer ce risque. Le médecin doit se fier à ce que le patient lui raconte.

Depuis longtemps, les psychologues et psychiatres essaient de faire le portrait-robot du suicidé. Nadia Chawki est la responsable des psychologues qui aident les proches éprouvés par un suicide. Pour chaque cas, elle essaie de comprendre ce qui s'est passé. « Ce qui ressort beaucoup, ce sont des problèmes de dépression ou d'abus de substances comme l'alcool ou la drogue. Au niveau de la personnalité, on remarque souvent de l'impulsivité », analyse Nadia Chawki. On remarque aussi que les personnes qui se sont suicidées ont de la difficulté à donner un sens à leur vie. Ils ont souvent vécu des situations d'abandon et de rupture (perte d'emploi, divorce, etc.). « On parle aussi beaucoup de problème de résilience. Ces personnes ont de la difficulté à rebondir devant l'adversité », ajoute Mme Chawki. Pourtant, la majorité des gens qui répondent à ces critères ne se suicideront pas pour autant. Y a-t-il un moyen de cibler davantage ceux qui passeront à l'acte?

Les chercheurs se sont tournés vers la biologie. Ils sont allés voir ce qui n'allait pas dans le cerveau des suicidés. Pour cela, ils gardent dans des congélateurs plus d'une centaine de cerveaux qu'ils peuvent scruter à la loupe. S'il est vrai que les expériences que nous vivons influent sur le fonctionnement, sur la biochimie de notre cerveau, il est vrai aussi que la biochimie du cerveau peut influer sur nos comportements. On sait déjà que de nombreuses maladies mentales, comme la dépression, s'accompagnent de problèmes biochimiques. Qu'en est-il pour le suicide?

L'équipe du Dr Gustavo Turecki a premièrement noté un problème de sérotonine dans le cerveau de ceux qui s'étaient suicidés. Dans un cerveau en santé, on retrouve dans le bulbe rachidien un noyau de neurones qui produit de la sérotonine, un neurotransmetteur. De là, la sérotonine est distribuée dans le cerveau. L'étude des coupes du noyau montre que chez les personnes qui se sont suicidées, contrairement à ce qu'on pourrait s'attendre, les neurones produisent davantage de sérotonine. Toutefois, malgré cette production élevée, on observe dans le lobe préfrontal un manque de sérotonine. C'est donc le transport de ce neurotransmetteur qui serait déficient. Résultat : le lobe préfrontal, qui contrôle l'impulsivité, fonctionne mal.

Dans la pratique, on a effectivement remarqué que les personnes qui se sont suicidées sont souvent impulsives, voire agressives. Il ne serait donc pas étonnant qu'il y ait bien un lien entre l'impulsivité, la sérotonine et le suicide. La mère de Steven le confirme : « Les derniers mois ont été difficiles. Il était devenu très tendu. Son vocabulaire était agressif. Il parlait de son travail, de ses activités, mais avec tellement d'agressivité, de rage parfois. »

Une autre piste est aussi considérée, bien qu'elle soit très contestée par les cardiologues. Des études ont démontré que les gens ayant un faible taux de cholestérol sanguin seraient plus sujets à l'impulsivité. Le Dr Gustavo Turecki, quant à lui, refuse d'ignorer cette piste. Après tout, peut-être que les gènes qui contrôlent la production du cholestérol ont des effets insoupçonnés sur la biochimie du cerveau. « Il n'y a pas de gène du suicide, mais on étudie la génétique parce qu'on veut comprendre la prédisposition au suicide », précise-t-il.

Grâce à la collaboration des familles, la recherche dispose de centaines de fioles de sang provenant de personnes qui se sont suicidées. Dans l'histoire du suicide, l'hérédité aurait son mot à dire. Certaines familles semblent plus fragiles que d'autres. L'équipe du Dr Turecki est en train de passer au crible les 30 000 gènes que contient l'ADN. On veut vérifier lesquels sont activés ou désactivés dans le cerveau, selon le type de décès. Dans le cas de Steven, depuis son adolescence, il traînait une fatigue chronique qu'il combattait de toutes ses forces et face à laquelle la médecine semblait impuissante. Pour en avoir raison, Steven s'est adonné au culturisme, mais cette fatigue a persisté, minant sa vie. Malgré son état, Steven refusait de voir un médecin. Après sa mort, les psychologues ont diagnostiqué une dépression majeure.

Aujourd'hui, avec les nouvelles découvertes, on espère aller encore plus loin. On espère qu'un jour, un examen d'imagerie médicale, ou encore un test sanguin, permettra de mieux mesurer le risque suicidaire.

Quelques adresses importantes :

Groupe McGill d'études sur le suicide
Groupe de recherche sur le suicide
Téléphone : (514) 251-4015 poste 3530

Association québécoise de prévention du suicide
Groupe qui rassemble les ressources en prévention du suicide au Québec
Téléphone : (514) 528-5858

Suicide-Action Montréal
Groupe qui offre de l'intervention directe auprès des personnes en détresse et ayant des idées suicidaires
Téléphone : (514) 723-4000

La part des gènes dans le suicide
Article du Devoir, 7 mai 2003

 


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