Télescope à miroir liquide
Le
plus puissant télescope au Canada vient d'être
construit en banlieue de Vancouver. Il pourrait bouleverser
le monde de l'astronomie, car il emploie une technologie
révolutionnaire beaucoup moins coûteuse
que celle des télescopes conventionnels. Au lieu
d'utiliser du verre poli pour réfléchir
la lumière, le télescope de Vancouver
utilise un bassin de mercure en rotation qui épouse
la forme d'une parabole parfaite. La qualité
de ses images devrait être comparable à
celle des télescopes à miroir en verre.
S'il fonctionne comme prévu, il pourra servir
de modèle pour construire le plus puissant télescope
au monde.
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Journaliste
: Frédéric Zalac
Réalisateur : Martin Cadotte
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Dans
la vallée du Fraser, à quelques kilomètres
de Vancouver, se trouve un petit bâtiment qui
dissimule un des plus étonnants projets d'astronomie
au Canada. Paul Hickson, astrophysicien à l'Université
de la Colombie-Britannique, rêve depuis longtemps
d'étudier l'origine des galaxies, ce qui nécessite
de puissants télescopes. Mais ces télescopes
sont rares, et leur accès est limité.
C'est pourquoi il s'est lancé dans une entreprise
ambitieuse : construire son propre observatoire, mais
sans dépenser une fortune. Mine de rien, dans
un simple garage se trouve le plus puissant télescope
au Canada. S'il fonctionne comme prévu, il pourrait
bouleverser le monde de l'astronomie en raison de sa
technologie révolutionnaire : les miroirs liquides
au mercure. Contrairement aux télescopes conventionnels,
le cur de celui-ci n'est pas un miroir en verre.
On utilise plutôt une mince couche de mercure
en rotation. Grâce à la force centrifuge,
le mercure prend la forme d'une parabole parfaite, la
forme requise pour capter la faible lumière des
étoiles. En éliminant l'étape très
onéreuse du polissage du verre, le miroir au
mercure peut coûter jusqu'à 20 fois moins
cher.
Ce concept magique ne date pas d'hier;
l'astronome italien Ernesto Capocci a lancé l'idée
dès 1850. Pourtant, personne ne l'avait prise
trop au sérieux, car les premiers essais avaient
produit des images de piètre qualité.
Mais au début des années 80, les miroirs
liquides ont revu le jour dans les laboratoires de l'Université
Laval à Québec. Grâce à la
technologie moderne, l'astrophysicien Ermanno Borra
a réussi là où ses prédécesseurs
avaient échoué. « Au départ,
ce n'était pas évident que ça allait
marcher. Il a fallu d'abord montrer aux astronomes que
la qualité était effectivement bonne.
Quand ils ont vu qu'elle était bonne, les oreilles
ont commencé à se lever. Le professeur
Hickson a commencé à s'y intéresser
et, très vite, nous nous sommes mis d'accord
pour collaborer », explique Ermanno Borra.
Paul Hickson ajoute : « Les résultats
dans le laboratoire étaient encourageants, mais
c'était un milieu où il n'y avait pas
de perturbations, pas de vent et pas d'insectes. Il
n'était pas assuré que le miroir fonctionnerait
dehors, au sommet d'une montagne, exposé au vent
en pleine nuit. Il a fallu y aller étape par
étape. »
Au
début des années 90, Paul Hickson a bricolé
- avec des moyens de fortune - un modèle de trois
mètres dans sa cour arrière. Ce modèle
primitif a attiré l'attention de l'agence spatiale
américaine, la NASA. Dans un vieil observatoire
désaffecté du Nouveau-Mexique, la NASA
voulait installer un télescope pour étudier
les débris spatiaux qui tournent autour de la
Terre, mais le budget alloué au projet était
très modeste : la seule solution, c'était
un miroir liquide. « Un miroir en verre
de 3 mètres nous aurait coûté 10
millions de dollars, mais nous n'avions que quelques
centaines de milliers de dollars. Alors pourquoi ne
pas essayer un miroir au mercure? On a commencé
la construction en 1990, puis, en 1994, on a capté
nos premières images à l'aide de ce télescope
exceptionnel. C'était le 17e plus grand au monde,
et il a fonctionné à merveille pour détecter
les débris spatiaux », soutient
Mark Mulroney, astronome pour la NASA.
Satellites, météores, comètes
pendant huit ans, le télescope à miroir
liquide de la NASA a recueilli des milliers d'images.
Mais l'observation d'objets plus lointains n'a pas été
concluante; il fallait un observatoire plus puissant.
Depuis 1994, Paul Hickson passe ses temps libres à
assembler, étape par étape, les pièces
d'un miroir de six mètres de diamètre.
C'est presque quatre fois plus grand que celui du mont
Mégantic, ce qui le classera au premier rang
des télescopes au Canada et parmi les plus puissants
au monde. Son prix : 1 million de dollars,
une aubaine dans l'univers de l'astronomie. En comparaison,
le Southern Astronomical Research Telescope, un télescope
de dimension semblable qui vient d'être construit
au Chili, a coûté 40 millions de dollars.
Paul Hickson est à un tournant
de sa carrière. S'il réussit son pari,
il pourra recueillir des appuis pour son projet ultime
: construire le plus puissant télescope au monde.
À ce jour, le plus gros télescope de la
planète est situé à Hawaï.
C'est le Keck, un télescope de 10 mètres.
Plusieurs équipes sont en compétition
pour dépasser cette limite et construire, au
cours de la prochaine décennie, des télescopes
géants, à des prix astronomiques bien
sûr. « Le but de la course, c'est
d'observer les galaxies au moment de leur formation,
ce qu'on n'est pas capable de faire présentement
avec un télescope de 10 mètres, constate
Stéphane Courteau, astronome de l'Université
de la Colombie-Britannique. Alors les premiers qui
vont accéder à ce type de télescope
vont vraiment passer à une nouvelle ère
d'astronomie, d'astrophysique, de science. »
Paul
Hickson compte gagner cette course avec son projet LAMA
- un assemblage de 18 miroirs liquides disposés
en cercles concentriques. En combinant leurs images,
on obtiendrait une résolution inégalée,
équivalente à celle d'un télescope
de plus de 40 mètres, pour une fraction
du prix des autres télescopes géants.
« Et le LAMA va faire à Hubble
ce que Hubble fait aux télescopes conventionnels.
Ça va être des images très belles,
très claires, qui vont nous permettre de faire
une science vraiment extraordinaire »,
avance Ermanno Borra. Avec le télescope LAMA,
on pourrait même détecter des planètes
de la taille de la terre en orbite autour d'étoiles
lointaines. « On pourrait se mettre à
la recherche de la signature spectroscopique de l'oxygène
dans l'atmosphère de ces planètes. Si
on en trouvait, il y aurait de fortes chances qu'il
y ait aussi de la vie sur ces planètes »,
précise Paul Hickson.
Les premiers tests se sont déroulés
à la fin du mois d'août. Les conditions
d'observation étaient excellentes, mais les premières
images étaient floues. La caméra était
hors-foyer. Un détail à régler.
Cinq nuits plus tard, le télescope au mercure
a capté avec succès ses premières
images du nord de la Voie lactée. Les étoiles
qu'il a réussi à capter étaient
situées à 10 000 années lumières
de la Terre. S'il continue à remplir ses promesses,
ce petit projet canadien pourra bientôt nous faire
découvrir des supernovae tout en ouvrant un nouveau
chapitre de l'univers de l'astronomie.
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Première image
captée par le télescope le 2 septembre
2003. Il s'agit d'un champ d'étoiles du nord
de la Voie lactée. Leur distance moyenne
est de 10 000 années-lumière
de la Terre. La section du ciel que l'on voit est
équivalente à 1/4 de la pleine lune. |
Pour en savoir plus :
Origine
du miroir liquide
Page explicative hébergée par l'Université
Laval
Les
miroirs liquides à l'Université Laval
Page explicative hébergée par l'Université
Laval
Les
miroirs liquides à l'Université de la
Colombie-Britannique
Site du département d'astronomie de l'Université
de la Colombie-Britannique (en anglais)
Large-Aperture
Mirror Array
Site de l'observatoire en construction LAMA (en anglais)
L'observatoire
de débris spatiaux de la NASA
Site de l'Agence spatiale américaine (en anglais)
Les
plus grands télescopes au monde
Index personnel des plus grands télescopes
Telescopes
Liste exhaustive des télescopes du monde (en
anglais)
Observatoire
Keck à Hawaï
Site du plus grand observatoire (en anglais)
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