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REPORTAGE  —  19 octobre 2003

 
Télescope à miroir liquide

Le plus puissant télescope au Canada vient d'être construit en banlieue de Vancouver. Il pourrait bouleverser le monde de l'astronomie, car il emploie une technologie révolutionnaire beaucoup moins coûteuse que celle des télescopes conventionnels. Au lieu d'utiliser du verre poli pour réfléchir la lumière, le télescope de Vancouver utilise un bassin de mercure en rotation qui épouse la forme d'une parabole parfaite. La qualité de ses images devrait être comparable à celle des télescopes à miroir en verre. S'il fonctionne comme prévu, il pourra servir de modèle pour construire le plus puissant télescope au monde.

Journaliste : Frédéric Zalac
Réalisateur : Martin Cadotte

 

 

Dans la vallée du Fraser, à quelques kilomètres de Vancouver, se trouve un petit bâtiment qui dissimule un des plus étonnants projets d'astronomie au Canada. Paul Hickson, astrophysicien à l'Université de la Colombie-Britannique, rêve depuis longtemps d'étudier l'origine des galaxies, ce qui nécessite de puissants télescopes. Mais ces télescopes sont rares, et leur accès est limité. C'est pourquoi il s'est lancé dans une entreprise ambitieuse : construire son propre observatoire, mais sans dépenser une fortune. Mine de rien, dans un simple garage se trouve le plus puissant télescope au Canada. S'il fonctionne comme prévu, il pourrait bouleverser le monde de l'astronomie en raison de sa technologie révolutionnaire : les miroirs liquides au mercure. Contrairement aux télescopes conventionnels, le cœur de celui-ci n'est pas un miroir en verre. On utilise plutôt une mince couche de mercure en rotation. Grâce à la force centrifuge, le mercure prend la forme d'une parabole parfaite, la forme requise pour capter la faible lumière des étoiles. En éliminant l'étape très onéreuse du polissage du verre, le miroir au mercure peut coûter jusqu'à 20 fois moins cher.

Ce concept magique ne date pas d'hier; l'astronome italien Ernesto Capocci a lancé l'idée dès 1850. Pourtant, personne ne l'avait prise trop au sérieux, car les premiers essais avaient produit des images de piètre qualité. Mais au début des années 80, les miroirs liquides ont revu le jour dans les laboratoires de l'Université Laval à Québec. Grâce à la technologie moderne, l'astrophysicien Ermanno Borra a réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué. « Au départ, ce n'était pas évident que ça allait marcher. Il a fallu d'abord montrer aux astronomes que la qualité était effectivement bonne. Quand ils ont vu qu'elle était bonne, les oreilles ont commencé à se lever. Le professeur Hickson a commencé à s'y intéresser et, très vite, nous nous sommes mis d'accord pour collaborer », explique Ermanno Borra. Paul Hickson ajoute : « Les résultats dans le laboratoire étaient encourageants, mais c'était un milieu où il n'y avait pas de perturbations, pas de vent et pas d'insectes. Il n'était pas assuré que le miroir fonctionnerait dehors, au sommet d'une montagne, exposé au vent en pleine nuit. Il a fallu y aller étape par étape. »

Au début des années 90, Paul Hickson a bricolé - avec des moyens de fortune - un modèle de trois mètres dans sa cour arrière. Ce modèle primitif a attiré l'attention de l'agence spatiale américaine, la NASA. Dans un vieil observatoire désaffecté du Nouveau-Mexique, la NASA voulait installer un télescope pour étudier les débris spatiaux qui tournent autour de la Terre, mais le budget alloué au projet était très modeste : la seule solution, c'était un miroir liquide. « Un miroir en verre de 3 mètres nous aurait coûté 10 millions de dollars, mais nous n'avions que quelques centaines de milliers de dollars. Alors pourquoi ne pas essayer un miroir au mercure? On a commencé la construction en 1990, puis, en 1994, on a capté nos premières images à l'aide de ce télescope exceptionnel. C'était le 17e plus grand au monde, et il a fonctionné à merveille pour détecter les débris spatiaux », soutient Mark Mulroney, astronome pour la NASA.

Satellites, météores, comètes… pendant huit ans, le télescope à miroir liquide de la NASA a recueilli des milliers d'images. Mais l'observation d'objets plus lointains n'a pas été concluante; il fallait un observatoire plus puissant. Depuis 1994, Paul Hickson passe ses temps libres à assembler, étape par étape, les pièces d'un miroir de six mètres de diamètre. C'est presque quatre fois plus grand que celui du mont Mégantic, ce qui le classera au premier rang des télescopes au Canada et parmi les plus puissants au monde. Son prix : 1 million de dollars, une aubaine dans l'univers de l'astronomie. En comparaison, le Southern Astronomical Research Telescope, un télescope de dimension semblable qui vient d'être construit au Chili, a coûté 40 millions de dollars.

Paul Hickson est à un tournant de sa carrière. S'il réussit son pari, il pourra recueillir des appuis pour son projet ultime : construire le plus puissant télescope au monde. À ce jour, le plus gros télescope de la planète est situé à Hawaï. C'est le Keck, un télescope de 10 mètres. Plusieurs équipes sont en compétition pour dépasser cette limite et construire, au cours de la prochaine décennie, des télescopes géants, à des prix astronomiques bien sûr. « Le but de la course, c'est d'observer les galaxies au moment de leur formation, ce qu'on n'est pas capable de faire présentement avec un télescope de 10 mètres, constate Stéphane Courteau, astronome de l'Université de la Colombie-Britannique. Alors les premiers qui vont accéder à ce type de télescope vont vraiment passer à une nouvelle ère d'astronomie, d'astrophysique, de science. »

Paul Hickson compte gagner cette course avec son projet LAMA - un assemblage de 18 miroirs liquides disposés en cercles concentriques. En combinant leurs images, on obtiendrait une résolution inégalée, équivalente à celle d'un télescope de plus de 40 mètres, pour une fraction du prix des autres télescopes géants. « Et le LAMA va faire à Hubble ce que Hubble fait aux télescopes conventionnels. Ça va être des images très belles, très claires, qui vont nous permettre de faire une science vraiment extraordinaire », avance Ermanno Borra. Avec le télescope LAMA, on pourrait même détecter des planètes de la taille de la terre en orbite autour d'étoiles lointaines. « On pourrait se mettre à la recherche de la signature spectroscopique de l'oxygène dans l'atmosphère de ces planètes. Si on en trouvait, il y aurait de fortes chances qu'il y ait aussi de la vie sur ces planètes », précise Paul Hickson.

Les premiers tests se sont déroulés à la fin du mois d'août. Les conditions d'observation étaient excellentes, mais les premières images étaient floues. La caméra était hors-foyer. Un détail à régler. Cinq nuits plus tard, le télescope au mercure a capté avec succès ses premières images du nord de la Voie lactée. Les étoiles qu'il a réussi à capter étaient situées à 10 000 années lumières de la Terre. S'il continue à remplir ses promesses, ce petit projet canadien pourra bientôt nous faire découvrir des supernovae tout en ouvrant un nouveau chapitre de l'univers de l'astronomie.

Première image captée par le télescope le 2 septembre 2003. Il s'agit d'un champ d'étoiles du nord de la Voie lactée. Leur distance moyenne est de 10 000 années-lumière de la Terre. La section du ciel que l'on voit est équivalente à 1/4 de la pleine lune.

Pour en savoir plus :

Origine du miroir liquide
Page explicative hébergée par l'Université Laval

Les miroirs liquides à l'Université Laval
Page explicative hébergée par l'Université Laval

Les miroirs liquides à l'Université de la Colombie-Britannique
Site du département d'astronomie de l'Université de la Colombie-Britannique (en anglais)

Large-Aperture Mirror Array
Site de l'observatoire en construction LAMA (en anglais)

L'observatoire de débris spatiaux de la NASA
Site de l'Agence spatiale américaine (en anglais)

Les plus grands télescopes au monde
Index personnel des plus grands télescopes

Telescopes
Liste exhaustive des télescopes du monde (en anglais)

Observatoire Keck à Hawaï
Site du plus grand observatoire (en anglais)

 


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