Le mystère iroquoien
Dans
la région de Saint-Anicet, au sud-ouest de Montréal,
l'archéologue Michel Gagné a mis au jour
une véritable province culturelle autochtone.
Trois sites archéologiques permettent de reconstituer
200 ans d'occupation iroquoienne. Ces recherches aboutiront
peut-être à la résolution d'un mystère
vieux de plus de 400 ans. En effet, en 1535, Jacques
Cartier a fait la connaissance de ces Iroquoiens du
Saint-Laurent. Soixante-dix ans plus tard, Samuel de
Champlain ne les a pas retrouvés. Où sont-ils
passés? Les archéologues espèrent
pouvoir répondre à cette question.
|
Journaliste:
Sylvain Bascaron
Réalisateur: Pascal Gélinas
(les gravures diffusées dans ce reportage
ont été réalisées
par Marc Laberge)
|
L'archéologue Michel Gagné
et son équipe n'auraient jamais pensé
trouver la trace des Iroquoiens du Saint-Laurent sur
ce coteau, au milieu d'un champ. Il s'agit du site McDonald,
à une centaine de kilomètres au sud-ouest
de Montréal. C'est un livre qui l'a entraîné
dans la région de Huntingdon, un ouvrage du 19e
siècle dans lequel le journaliste Robert Sellar
rapporte les événements qu'un colon irlandais
lui avait racontés en 1826. Il aurait trouvé,
au sommet d'une butte, des pièces de poterie
et autres objets permettant de croire à un ancien
campement amérindien. Cent ans plus tard, ce
livre devient une carte au trésor. Et quel trésor!
Des tessons de vases iroquoiens, des pointes de flèches,
des outils en os
même les écailles
de poissons sont très bien conservées.
L'équipe
de Michel Gagné a localisé d'anciens trous
qui pouvaient servir de poubelles ou de garde-manger.
La coloration rougeâtre du sol permet de deviner
la présence d'anciens feux de cuisson. L'alignement
parfait de quatre sites de feux est un signe clair :
une maison longue s'est déjà dressée
ici. Ce vaste bâtiment abritait entre 25 et 40
autochtones. Michel Gagné n'a pas découvert
un simple site. Il a mis au jour le plus ancien village
connu des Iroquoiens du Saint-Laurent. Ce village regroupait
possiblement trois maisons longues.
La datation au carbone 14 révèle
que le village était habité autour de
1320. L'analyse du style des pièces de céramiques
vient confirmer cette hypothèse. Une petite quantité
de grains de maïs carbonisés a été
retrouvée sur le site. Toutefois, la présence
d'aucune autre culture végétale n'est
notée dans les parages. Ces résultats
démontrent qu'en 1320, l'agriculture et la sédentarisation
des Iroquoiens du Saint-Laurent ne faisaient que commencer
au Québec, alors qu'en Ontario, le processus
s'était amorcé 700 ans plus tôt.
Droulers : le plus important site
archéologique au Québec
En
1450, Droulers est le chef-lieu de l'Iroquoisie laurentienne.
Près de 600 amérindiens vivent ici, dans
un village qui s'étend sur 12 000 mètres
carrés. La civilisation iroquoienne du Saint-Laurent
atteint alors son apogée. En plus de cultiver
le maïs, les autochtones cultivent le haricot,
la courge et le tournesol, sans arrêter de chasser
et de pêcher. Une telle découverte repose
sur la trouvaille fortuite d'une herminette par un agriculteur
de l'endroit. L'herminette est une pierre pour nettoyer
les peaux, les peaux de castors, les peaux de tous les
animaux qui arrivaient.
Les archéologues ont découvert
là tout un village. Ils y ont déterré
pendant trois ans une quantité époustouflante
de matériel amérindien. Plus de 150 000
artéfacts. La facture stylistique des tessons
de vase est unique. Les pipes, destinées aux
hommes iroquoiens, portent aussi la marque d'un art
singulier. La province culturelle de Saint-Anicet se
définit.
Quand Jacques Cartier arrive au Canada
en 1535, le site Droulers n'est plus habité.
Dans son journal, Cartier mentionne que les Iroquoiens
sont aux prises avec des guerres tribales. En 1603,
Champlain note la disparition des Iroquoiens du Saint-Laurent.
Mais où se cachent-ils?
Le site Mailhot-Curran : un élément
de réponse
Le
site Mailhot-Curran, également découvert
par Michel Gagné, apporte peut-être un
élément de réponse. Des autochtones
ont vécu ici, loin de toute source d'eau et à
une dizaine de kilomètres du fleuve. « La
vie des Iroquoiens qui vivaient ici devait être
très pénible, surtout pendant les périodes
de sécheresse où on devait faire de longues
marches pour aller chercher de l'eau, pour la ramener
au village, et probablement aussi que les zones de culture
étaient très éloignées pour
ne pas attirer les envahisseurs », explique
Michel Gagné.
Durant les fouilles, peu de pipes sont
retrouvées. Leur petit nombre signifie que plusieurs
hommes du groupe sont probablement tombés au
combat, dans les guerres évoquées par
Champlain et Cartier. Mais pourquoi une population décimée
s'exile-t-elle dans ces conditions? Pour se terrer dans
l'arrière-pays en attendant que les guerres tribales
se calment, suppose l'archéologue. Ce qui semble
n'être jamais arrivé.
Les maladies apportées par les
Européens et le commerce agressif sur les routes
de traite n'ont pas aidé les autochtones dans
leur bataille pour survivre. Nul ne sait ce que sont
devenus les Iroquoiens du Saint-Laurent. Mais dans les
parages du site Droulers, autour de 1820, les colons
irlandais cohabitent avec des familles autochtones.
Certains croient que ces groupes seraient les derniers
descendants des premiers agriculteurs du Québec.
Dans la région de Saint-Anicet,
une véritable province culturelle de l'Iroquoisie
laurentienne se définit. McDonald, le berceau
de l'agriculture au Québec. Droulers, la capitale
de la province, à l'apogée de la civilisation.
Mailhot-Curran, la terre d'exil d'une population en
fuite. À ce jour, 13 autres sites ont révélé
des traces d'occupation iroquoienne. La région
de Saint-Anicet cache sûrement d'autres villages
qui pourraient mieux documenter l'histoire de l'Iroquoisie
laurentienne.
Pour en savoir plus :
Saint-Anicet
: La vie villageoise des Amérindiens avant l'arrivée
des Européens
Site du ministère de la Culture et des Communications
du Québec sur les découvertes archéologiques
à Saint-Anicet.
Réseau
Archéo-Québec
Site qui permet de connaître les actualités
de l'archéologie au Québec et les lieux
où se font la recherche et la diffusion de l'archéologie.
|