Alzheimer et cholestérol
Des recherches
québécoises indiquent qu'il pourrait y
avoir un lien entre la maladie d'Alzheimer et une incapacité
des cellules cérébrales à absorber
le cholestérol nécessaire à la
santé du cerveau. Des recherches qui pourraient
prévenir ou même freiner la progression
de la maladie.
« Lorsqu'un
patient commence à avoir des symptômes,
[ça signifie qu'au] moins 70 à 80
% de ses cellules sont mortes. »
- Dr Judes Poirier, directeur du Centre d'études
du vieillissement à l'Université
McGill.
« Ce qu'il
a de plus difficile, c'est de voir sous ses yeux
se désagréger un être humain
qui a partagé votre vie. C'est une femme
intelligente, qui l'est encore d'ailleurs, mais
qui se réfugie, à certains moments,
dans un univers qui m'est inaccessible. »
- Claude Désorcy, époux de Micheline
Fréchette, atteinte de la maladie d'Alzheimer.
|
|
La vie de Micheline Fréchette
a basculé il y a trois ans. Cette ancienne travailleuse
sociale, amoureuse de la peinture et des arts de la
scène, apprend, lors d'une visite chez le médecin,
que sa vie ne sera plus jamais la même. Elle doit
maintenant vivre avec la maladie d'Alzheimer.
La
maladie d'Alzheimer recèle encore bien des mystères.
Depuis 10 ans, les scientifiques ont concentré
leurs efforts sur les plaques de protéine béta-amyloïde,
caractéristiques de la maladie. Mais des chercheurs
comme Judes Poirier, de l'Université McGill,
croient que la recherche a fait fausse route. La clé
de l'énigme serait ailleurs. La maladie d'Alzheimer
pourrait être due à un tout autre problème
: un problème de cholestérol. Pas le bon
et le mauvais cholestérol, dont on parle constamment,
ni celui qui circule dans le sang et qui peut causer
des maladies cardiovasculaires.
Non, le type de cholestérol qui
a attiré l'attention du Dr Judes Poirier est
celui qui se loge dans le cerveau et qui est essentiel
à sa régénération. « Quand
on parle de cholestérol dans le cerveau, c'est
vraiment le cholestérol qui constitue la fibre
même, la texture du cerveau. C'est l'ensemble
de ce qui constitue les branchements, les connections
à l'intérieur du cerveau. »
À
la naissance, notre cerveau est équipé
de 30 milliards de neurones. Vers l'âge de 30
ans, ces cellules commencent à mourir, laissant
derrière elles des débris gorgés
de cholestérol. Une cellule nourricière
récupère ces résidus pour construire
une grosse molécule de graisse. Cette molécule
est transportée par une autre protéine
vers les neurones voisins. Elle y sera utilisée
pour construire de nouveaux branchements entre les neurones
toujours existants. Les neurones disparus ne sont donc
pas remplacés. Mais l'essentiel est sauvé
: l'information peut continuer à circuler.
Les premiers symptômes, les pertes
de mémoire ou les moments de confusion, sont
le signe que ce système de réparation
neuronale commence à avoir des ratés.
Lorsque le recyclage ou le transport de cholestérol
est insuffisant à la reconstruction de branchements
cellulaires, le cerveau doit en produire du nouveau.
Il semble que ce mécanisme de compensation serait
défectueux chez les patients atteints de la maladie
d'Alzheimer. « Lorsque le vieillissement
continue inexorablement à détruire les
cellules, le mécanisme de compensation, de réparation,
devient important. Vers l'âge de 50 ans, ça
fait déjà presque 3 décennies qu'on
perd des cellules, il devient crucial d'avoir accès
à un maximum de cholestérol. Une déficience
génétique, une protéine anormale
qui ne travaille qu'à 50 % ne donne naissance
qu'à 50 % du cholestérol normal.
Cela devient problématique lorsque le niveau
de dommages est élevé et que la capacité
de compenser pour la perte neuronale est [moindre que]
la perte neuronale », explique le Dr
Poirier.
L'équipe de Judes Poirier a étudié
les cerveaux de plusieurs patients atteints de la maladie.
Tous présentaient cette anomalie. Ces résultats
suggèrent que cette mutation pourrait être
une des causes de la maladie. Reste à voir comment
on peut soigner les gens qui ont cette prédisposition
génétique. Pour le moment, aucun traitement
n'existe pour corriger le gène défectueux.
Mais on pourrait peut-être prévenir le
développement de la maladie chez les personnes
à risque.
Au
cours des dernières années, trois grandes
études épidémiologiques ont montré
que les statines, des médicaments bien connus
pour réduire le cholestérol sanguin, seraient
des agents protecteurs particulièrement efficaces.
Elles permettraient de réduire jusqu'à
70 % le risque de développer des démences
comme la maladie d'Alzheimer. « Ça
paraît paradoxal, effectivement, qu'une baisse
du cholestérol dans le sang ne reflète
pas nécessairement une baisse du cholestérol
dans le cerveau. Il semble que les statines rendent
le cholestérol plus facilement accessible aux
cellules nerveuses, qui en ont bien besoin pour maintenir
la santé de leur membrane et favoriser le développement
de connections entre cellules nerveuses »,
précise de Dr Poirier. L'action des statines
sur la maladie d'Alzheimer demeure inexpliquée.
Leur effet sur le niveau de cholestérol dans
le cerveau doit encore être vérifié.
D'importantes études internationales sont en
cours pour confirmer leur effet bénéfique.
Leur utilisation pourrait peut-être révolutionner
le traitement de la maladie.
Mais quand près de 80 % des
neurones ont disparu, les statines ont-elles vraiment
une chance contre la maladie d'Alzheimer? « Une
fois que la maladie est déclarée, c'est
trop tard. Les statines sont efficaces pour ralentir
la progression avant d'avoir les symptômes. C'est
trop tard une fois que la maladie est déclarée »,
regrette le chercheur. Les statines ne pourront donc
pas à elles seules triompher de la maladie d'Alzheimer.
Si elles s'avèrent efficaces en prévention,
elles pourraient s'intégrer à d'autres
médicaments qui ont déjà fait leurs
preuves pour ralentir la perte de mémoire.
Ces traitements arriveront probablement
trop tard pour Micheline Fréchette et tous ceux
qui sont déjà très touchés
par la maladie, mais ils permettront peut-être
à leurs enfants d'échapper à cette
fatalité.
Pour en savoir plus :
Alzheimer
et vieillissement cérébral
Un dossier du Centre hospitalier et universitaire de
Lille, affilié à l'Institut national de
la santé de de la recherche médicale de
France.
Société
canadienne de l'Alzheimer
Organisme canadien qui propose plusieurs sources d'appui
et d'information.
Société
Alzheimer
La maladie d'Alzheimer et l'hérédité
Le
traitement étiologique de la maladie d'Alzheimer
: réalité ou fiction?
Article écrit par le Dr. Judes Poirier sur les
traitements de l'Alzheimer dans la revue Sélections
Médecine Sciences (version pdf)
|