Le déclin de l'alose
L'alose
savoureuse, un poisson de mer, parcourt chaque
année des milliers de kilomètres
pour venir frayer dans le Saint-Laurent et ses
affluents. Mais depuis 50 ans, en raison des nombreux
barrages hydroélectriques qui entravent
sa progression, le nombre d'aloses diminue d'une
manière inquiétante. Des chercheurs
québécois ont entrepris de leur
donner un coup de pouce.
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Journaliste-réalisateur : Normand
Grondin
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Chaque printemps, le début du
mois de juin annonce le retour d'une grande voyageuse,
l'alose savoureuse. Comme d'habitude, ceux qui pratiquent
la pêche sportive sont nombreux à l'attendre.
Après un voyage de 3000 kilomètres, des
dizaines de milliers d'aloses passent tout près
de la berge, à portée de lancer. Mais
le véritable danger pour les poissons, ce ne
sont pas les pêcheurs. C'est la centrale hydroélectrique.
La centrale empêche les aloses d'aller se reproduire
en amont, dans les eaux plus calmes de la rivière.
Ailleurs, autour de Montréal, c'est la même
chose. Plusieurs centrales bloquent l'accès aux
meilleurs sites de reproduction situés près
de Cornwall et d'Ottawa. Seule la grande frayère
du lac des Deux-Montagnes est encore accessible par
le fleuve.
En 1985, Hydro-Québec a tenté
de résoudre une partie du problème en
construisant une passe migratoire à côté
de la centrale Rivière-des-Prairies. Mais l'alose
a toujours refusé de l'utiliser. « L'alose,
c'est une espèce qui a un comportement migratoire
assez difficile. Ce n'est pas comme le saumon, c'est
une espèce qui migre en banc dans les grandes
rivières. Alors ça prend des conditions
idéales : gros débit d'eau, peu de tourbillons
ou de turbulences dans les passes migratoires »,
explique Richard Verdon, biologiste.
En attendant de trouver une solution,
une équipe de chercheurs essaie de repérer
de nouvelles frayères afin de les protéger.
Plus il y aura de frayères en santé, meilleures
seront les chances de survie de cette espèce,
qui connaît un fort déclin depuis le milieu
du siècle. L'an dernier, ils ont découvert
une nouvelle frayère en aval de la centrale Rivière-des-Prairies.
Mais cette dernière est malheureusement située
dans un milieu très urbanisé et perturbé
par les bateaux de plaisance, la pêche et la pollution,
ce qui rend son existence encore plus précaire.
L'alose
savoureuse est un poisson très discret, qui fréquente
surtout les courants puissants, ce qui rend son observation
difficile. C'est également une espèce
qui ne se reproduit que dans des conditions spécifiques
qu'on ne connaît pas encore très bien.
Le travail des chercheurs consiste à cartographier
le site de reproduction en mesurant la profondeur de
la rivière, la température de l'eau et
la force des courants avec un courantomètre.
En raison des variations du niveau d'eau, la frayère
peut se déplacer. En connaissant les préférences
de l'alose, on peut mieux prévoir son comportement.
Les chercheurs tentent également d'évaluer
si la frayère est importante ou pas. Le meilleur
moment pour le faire, c'est à la tombée
du jour, lorsque les poissons se rassemblent pour se
reproduire.
Cependant, même les aloses qui
ont réussi à se rendre au lac des Deux-Montagnes
ne sont pas au bout de leur peine. Après avoir
frayé, une partie d'entre elles redescendent
en mer par le fleuve. Mais des dizaines de milliers
d'autres choisissent la rivière des Prairies
où, encore une fois, elles frappent un mur :
la centrale. Les aloses se méfient du bruit que
produisent les moteurs des turbines, mais elles finissent
par suivre le puissant courant qui les entraîne
sous la centrale. De l'autre coté, c'est l'hécatombe.
Frappés par les séparateurs, découpés
par les turbines, des milliers de poissons meurent chaque
année.
Pour
réduire les dommages, Hydro-Québec a développé
une méthode ingénieuse qui permet un suivi
quotidien du mouvement des aloses près de la
centrale. À l'aide d'un ordinateur et d'un sonar
installé sur les prises d'eau, on repère
les groupes de poissons qui se préparent à
franchir l'obstacle. Puis, lorsqu'ils sont assez nombreux,
on arrête les turbines. « On a réalisé
plusieurs essais les années précédentes
qui nous ont montré que pendant une heure, vers
10 h le matin, si on ferme la centrale, si on arrête
de produire de l'électricité et que l'eau
est détournée vers l'évacuateur,
on arrive à sauver 98 % des aloses »,
a constaté Jacques Camartin. À cause du
courant, les aloses sont littéralement propulsées
de l'autre côté de la centrale. On pense
que ce traitement-choc peut en blesser ou en tuer plusieurs,
mais au moins, on a évité le pire.
Quelques semaines plus tard, ce sont
les aloses juvéniles, fraîchement arrivées
de la frayère, qui vont suivre le même
chemin. Heureusement, pour ces poissons minuscules,
les turbines ne représentent aucun danger. Elles
vont franchir l'obstacle sans peine. C'est donc le début
d'un nouveau cycle de reproduction.
Pour en savoir plus :
Société
de la faune et des parcs du Québec
Alose savoureuse
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