À
partir de janvier 2004, la vente du bois traité
à larsenic, le fameux bois verdâtre,
sera interdite en Amérique du Nord en raison
des risques de cancer que ce produit pose pour la
santé humaine. Mais la disparition
éventuelle du bois traité à
larsenic laisse plusieurs questions en suspens :
quels risques représente réellement
ce produit pour les jeunes enfants? Faut-il se débarrasser
des structures en bois traité existantes?
Et quels sont les produits de remplacement disponibles
sur le marché? Découverte fait le
point.
Janvier 2004 : fin du bois traité à
l'arsenic
La compagnie Goodfellow
est le plus important producteur de bois traité
dans l'est du Canada. Depuis 26 ans, elle a produit,
en banlieue de Montréal, des montagnes de
bois traité à l'ACC, l'arséniate
de cuivre chromaté. Or, à partir de
janvier 2004, tout cela sera terminé :
l'ACC disparaîtra du marché résidentiel.
Goodfellow,
comme toute l'industrie nord-américaine,
réagit aux pressions des environnementalistes
qui ont démontré que le bois
traité à l'ACC libère
de l'arsenic, un produit toxique pour la
santé humaine.
Une
étude canadienne a également
révélé que le sable
sous les structures en bois traité
de plusieurs parcs municipaux dépassait
les concentrations en arsenic permises par
Santé Canada.
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Goodfellow a donc choisi de repartir à zéro.
En 2004, la compagnie utilisera un nouvel agent
de préservation à base de cuivre.
« Actuellement,
la recherche prouve qu'il n'y a absolument
rien de négatif avec ce produit-là. »
- André Raschotte, Goodfellow
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Pour l'industrie, le débat
est clos. Mais pour les scientifiques et les millions
de consommateurs qui ont acheté du bois traité
à l'arsenic, c'est loin d'être le cas.
L'étude
En mars dernier, la Consumer
Product Safety Commission (CPSC)
a invité des dizaines de spécialistes
à commenter sa toute nouvelle étude.
La
question centrale : est-ce que
le bois traité à l'arsenic
représente un danger pour les
enfants?
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« L'arsenic
est une substance toxique qui peut causer
des cancers des poumons et de la vessie.
On a donc essayé d'évaluer
si les structures en bois traité
augmentaient les risques de cancer chez
les enfants. »
- Ken Giles, CPSC
Les
jeunes Américains de 2 à
6 ans jouent en moyenne 156 jours
par année sur une structure
ou un patio en bois traité.
Comme les enfants portent souvent
des objets ou leurs doigts à
la bouche, la commission a évalué
qu'ils absorbent environ 40 %
de l'arsenic qui se trouve sur leurs
mains.
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La méthode
Les chercheurs ont utilisé un dispositif
très simple, qui permet d'essuyer
avec un chiffon une surface de bois équivalente
aux mains d'un jeune enfant de quatre ans.
Ensuite, ils ont mesuré la quantité
d'arsenic sur l'échantillon. Puis,
ils ont évalué les risques
de cancer à long terme.
On
sait qu'à peine un gramme d'arsenic
peut causer la mort d'un adulte. C'est
pourquoi on a banni son utilisation
dans le monde agricole et dans presque
tous les secteurs industriels.
Les États-Unis et le Canada
le classent également « comme
une substance cancérogène
"sans seuil" »,
c'est-à-dire « pour
laquelle des effets nocifs sont jugés
possibles, quel que soit le niveau
d'exposition ».
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Pour son évaluation, la commission
a utilisé une équation complexe.
Elle tient compte de la quantité d'arsenic
sur les mains des enfants, du taux d'absorption,
de la fréquence et de la durée
d'exposition et, finalement, du poids de l'enfant.
Les
résultats
Dans
le pire des cas, un enfant sur 10 000
pourrait être victime d'un cancer
du poumon ou de la vessie à
cause du bois traité.
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« Ce
sont des chiffres significatifs puisqu'en
général, le gouvernement fédéral
commence à s'inquiéter dès
que les risques atteignent un cas de cancer
par million. » - Ken Giles,
CPSC
Malgré le sérieux
de la recherche, Onil Samuel, de l'Institut
national de santé publique du Québec,
rappelle que les analyses de risques comme
celle-ci sont toujours difficiles à
interpréter.
En
effet, l'industrie du bois traité
estime que son produit cause à
peine 1 cas de cancer par 25 millions
d'enfants. Mais à l'autre extrémité,
des toxicologues de l'Université
de Floride avancent le chiffre de
1 cas de cancer par 350 enfants!
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« Ce
qui est très clair aujourd'hui [...]
c'est qu'il y a un potentiel d'exposition
et que pour les enfants, ce potentiel pourrait
être plus important. »
- Onil Samuel, Institut national de santé
publique du Québec
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Soyez prévoyants!
Le conseiller scientifique rappelle que Santé
Canada rendra publique à l'automne 2003
sa propre étude à ce sujet. En attendant,
il recommande la prudence. L'institut recommande
entre autres : 1- de laver les mains des enfants
après les périodes de jeux; 2- de
sceller le bois traité tous les deux ans
avec une teinture à base d'huile.
Qu'est-ce qui remplacera ce type de bois?
Quels produits remplaceront le bois
traité à l'arsenic? Au centre de
recherche Forintek, Torsten Lihra évalue
différentes technologies, parmi lesquelles
la modification thermique du bois.
Pour
traiter thermiquement du bois, on fait littéralement
cuire les planches dans un four au propane. Après
six heures de traitement, presque toute l'humidité
est disparue. Or, c'est l'humidité qui attire
les insectes, et surtout les champignons, le principal
responsable de la dégradation du bois!
Les nouveaux agents de préservation
au cuivre, comme le « Pro Nature »
de Godfellow, offrent également une bonne
protection contre la pourriture du bois. Par contre,
le cuivre est un métal très toxique
pour la vie aquatique, et certaines études
démontrent que ces produits en libèrent
des quantités importantes, ce qui pourrait
limiter leurs usages près des lacs ou des
écosystèmes fragiles.
Comment
s'en débarrasser?
Au Québec, les citoyens déposent
leur bois traité à l'arsenic dans
les écocentres, où il est ensuite
séparé des autres déchets.
On le transporte ensuite dans les grands sites d'enfouissements,
où il est enfoui avec les rebuts de construction
et d'autres contaminants.
Plusieurs
États américains songent à
traiter le bois à l'arsenic comme
une matière dangereuse. Si c'est
le cas, il faudra le brûler dans un
four à haute combustion, puis recycler
tous les métaux lourds qu'il contient.
Ce qui coûtera évidemment une
fortune!
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Le ministère de l'Environnement du Québec,
lui, a déjà trouvé une solution.
En décembre 2002, il a tout simplement exclu
le bois traité de son règlement sur
les matières dangereuses. En d'autres mots,
on peut continuer de l'enterrer sans se préoccuper
des risques de contamination. C'est ce qu'on appelle
« balayer un gros problème sous
le tapis »!
Journaliste-réalisateur :
Normand Grondin
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