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REPORTAGE  —  13 avril 2003

 
Les moisissures

Rien de plus banal que des moisissures. Il y en a dans des déchets végétaux qui pourrissent, il y en a dans l'air environnant : des milliers d'espèces différentes. Il y en a aussi dans nos maisons et, en règle générale, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter outre mesure. Mais les scientifiques découvrent que de plus en plus de ces moisissures ont de sérieux effets allergènes ou toxiques, ce qui donne l'alerte dans les milieux de santé publique. Quels sont les véritables dangers des moisissures? Peut-on s'en protéger? Une équipe de Découverte s'est penchée sur la question.

Une résidence contaminée

Un quartier cossu de la Rive-Sud, près de Montréal. Un sous-sol, un enquêteur. Son ennemi : les moisissures. Il les découvre derrière une plinthe.

« Quand c'est caché, c'est encore plus vicieux, plus subtil, parce que c'est repris par la ventilation, par le système de chauffage, puis c'est distribué à l'intérieur de la maison. Les enfants sont une population à risque. Les gens qui sont asthmatiques auront énormément de difficulté à respirer. Il y en a d'autres qui auront un [manque] d'énergie, des troubles de la peau et des problèmes de dermatite », explique Claude Mainville, ingénieur, chez Groupe NAK, à Montréal.

Des moisissures dans cette maison, il y en a partout. Quelques mois plus tôt, lors de travaux de rénovation, à certains endroits, c'était très visible. On a cru s'en débarrasser, mais il en reste. On en trouve aussi dans le filtre de la fournaise, dans les armoires du sous-sol et sur un mur de béton.

Moisissure = de l'eau + du temps + de la cellulose,
ou des nutriments qui supportent la moisissure


Les moisissures sont des champignons invisibles à l'œil nu.
Il y en a des milliers d'espèces.


Omniprésentes dans l'air extérieur, les moisissures pénètrent facilement à l'intérieur des maisons, grâce à leurs particularités. Leurs spores, très petites, à peine quelques microns, s'accrochent aux poussières et se déposent très lentement.

Pour les identifier, pas de secret : un bon laboratoire, un microscope. Par exemple, dans le cas de notre maison de la Rive-Sud, une moisissure toxique du nom de « Stachibotrys Chartarum » et une moisissure allergène, « Chaetomium », ont été trouvées en grand nombre. La famille qui vivait là avec de jeunes enfants a donc dû déménager le temps que la maison soit décontaminée, à grands frais.

Depuis peu, la science a en effet établi que les moisissures peuvent avoir de sérieux effets sur la santé. Certaines sont neurotoxiques, c'est-à-dire qu'elles affectent le système nerveux central causant, par exemple, des maux de tête et des problèmes de mémoire ou de concentration. D'autres, et c'est le cas de la majorité des moisissures, causent des allergies.

Les effets allergènes (maux de tête, nausée, etc.) sont souvent temporaires et réversibles, mais parfois, ils peuvent être permanents.


Les moisissures : présentes partout?

Tout cela est plutôt inquiétant, mais les moisissures sont-elles fréquentes dans l'air des maisons ou des édifices? Oui, et de plus en plus, nous indique Marie-France Pinard, microbiologiste environnementale chez Microvital, à Montréal : « Avant, on ne savait pas où chercher. Maintenant, oui. Par exemple, Travaux publics Canada a détecté qu'il y avait des problèmes de moisissures dans 21 % des bâtiments expertisés en 1994, alors qu'auparavant, ils s'en tenaient à un chiffre conservateur. [...] On pense qu'il y a un bâtiment sur quatre, au Québec, qui a vu assez d'eau pour avoir des problèmes de moisissures ».

La grande responsable du développement de colonies de moisissures, c'est l'eau.
Inondations, refoulement d'égouts, dégâts de plomberie, toits qui coulent, c'est toujours l'eau qui crée les problèmes. Elle réactive les spores asséchées et cause des proliférations rapides.


Les milieux publics

Voici un cas frappant, qui touche cette fois un bâtiment public :

En 1999, le CLSC Marigot à Laval venait à peine d'être construit. Il y a eu un dégât d'eau. Les toilettes ont débordé, on a sommairement nettoyé. Quelques jours plus tard, Fernande Tapp, absente au moment de l'incident, a été très incommodée à son retour au bureau. Celle-ci avait d'ailleurs remarqué que les cas d'asthmes et de sinusites avaient sensiblement augmenté à l'hôpital, et qu'une « fatigue générale semblait vouloir s'installer ». Elle a donc consulté un médecin, qui a exigé qu'elle soit retirée de son lieu de travail. Le diagnostic : une allergie très sévère au pénicillium, un champignon qui avait envahi son bureau suite au dégât d'eau. Aujourd'hui, Mme Tapp est hypersensibilisée aux moisissures et ne peut se déplacer sans ses médicaments.

Les écoles figurent aussi parmi les bâtiments publics qui sont affectés par les moisissures. Au Québec, contrairement aux États-unis, on ne possède pas de bilan d'ensemble, mais on a des indices troublants. Les classes en matériaux préfabriqués, par exemple, comme celle-ci à Mont-Saint Hilaire, il y a 3 ans.

« Il y avait des enfants qui avaient des maux de tête, des maux de cœur, des maux de ventre... puis on trouvait que c'était beaucoup plus fréquent que la normale. » - Patricia Boë, éducatrice

Selon une étude récente, sur une cinquantaine de classes en préfabriqué de la région de Montréal, 40 % avaient des moisissures sur une surface importante. Depuis on les a enlevées, ou on a rénové ces écoles de fond en comble.

Entre-temps, des enfants en ont été affectés. Si les enfants sont à risque, les malades, en particulier ceux dont le système immunitaire est fragilisé, sont encore plus menacés.

Dans les hôpitaux, les moisissures ont déjà semé un véritable vent de panique. En mars 2001, dans la confusion, l'Hôpital Royal Victoria fermait ses 16 salles d'opération. À la suite de deux décès suspects, il fallait nettoyer les systèmes de ventilation, dans lesquels on avait trouvé des moisissures pathogènes, des « aspergillus », qui ont la particularité de causer des infections à l'intérieur même du corps humain.


Un tueur redoutable

En général, pour les personnes en santé, pas de problème. Leur système immunitaire s'en débarrasse assez vite. Mais il n'en va pas de même pour les patients dont l'immunité est très affaiblie par les traitements qu'ils subissent, en particulier lors de greffes et de cancers.

« La spore n'est plus arrêtée, elle va continuer jusque dans l'arbre, proliférer et là, elle peut aller infecter, via la circulation sanguine, le foie, la rate, le système nerveux central. » - Dr Céline Laferrière, pédiatre-infectiologue, Hôpital Sainte-Justine, Montréal

Dans les unités à haut risque, l'aspergillose invasive est mortelle près d'une fois sur deux. En milieu hospitalier, c'est donc un tueur redoutable.


Mais il n'y a pas que le Royal Victoria. La liste est longue : elle a commencé par l'Hôpital Saint-Francois d'Assise, en 1985. Depuis, pas moins de huit autres hôpitaux du Québec ont publiquement reconnu avoir eu des contaminations par les moisissures. Dans ces établissements, pourtant, on connaît bien la cause des problèmes : les moisissures se répandent lors de travaux de rénovation mal protégés, qui remettent en circulation la poussière.

Selon Santé Canada, en 20 ans, ces circonstances ont causé au moins 153 morts dans divers hôpitaux au Canada et aux États-Unis. Mais surtout, les moisissures prolifèrent dans les systèmes de ventilation qui laissent s'accumuler l'eau.

Et l'avenir?

Le Dr Lafferière fait partie des infectiologues qui ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Selon elle, on peut éliminer les moisissures des hôpitaux. Mais il faut, dit-elle, que les mentalités changent : « L'ingénieur ne peut travailler seul et le spécialiste des infections non plus. Alors, le temps est venu de s'asseoir et de comprendre les données de l'un et de l'autre ».

Pour quelqu'un comme Marie- France Pinard, qui a passé 25 ans dans la lutte aux moisissures, au moins, on commence à reconnaître le problème publiquement : « Il y a une très grande évolution [...]. Maintenant, Santé publique a non seulement reconnu qu'il existait un problème de contamination dans beaucoup de bâtiments au Québec, mais a aussi publié un consensus strict qui affirme qu'il y a des risques sérieux pour la santé [...] et qu'il faut s'en occuper ».

En Belgique, des mesures strictes imposées en milieu hospitalier ont fait chuter de moitié le taux d'aspergilloses acquises à l'hôpital. Et cela, en moins de 10 ans. Maisons privées, écoles, hôpitaux… le temps de la chasse aux moisissures a sonné!

Journaliste : Jean-Pierre Rogel
Réalisateur : Pascal Gélinas


Les moisissures :
(version vidéo)

 

 


 


 



 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
















 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Selon notre enquête, très peu d'hôpitaux du Québec ont des programmes d'entretien préventif. Le malaise est tel que sept hôpitaux ont refusé nos demandes d'entrevues à ce sujet.




 

 


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