On
considère Pissarro comme le père
de l'impressionnisme. Avant sa maladie,
il était surtout reconnu pour ses
toiles campagnardes. Mais à 58 ans,
sa condition le force à quitter la
campagne pour se réfugier dans des
appartements sombres de Paris.
« On
ne voyait plus ses scènes champêtres,
ces scènes de paysans dans les champs,raconte
Jean Milot. Il a dû aller à
Paris et éviter de peindre lorsqu'il
y avait beaucoup de soleil, parce qu'il
était ébloui par la lumière.
Il devait donc peindre les jours de brouillards,
le soir, le matin très tôt.
Il peignait à partir d'une fenêtre
ou il se mettait à l'écart
de la lumière. »
Pour
tenter de le guérir, on a eu recours
à une technique chirurgicale que
pratique encore aujourd'hui le docteur Milot.
Il s'agit d'entrer par le point lacrymal
pour débloquer l'obstruction. Cette
intervention n'a toutefois pas guéri
Pissarro. Son cas s'était compliqué
par des abcès répétés.
Mais
sa maladie a eu un impact considérable
sur le choix des sujets et la façon
de les peindre comme l'explique François-Marc
Gagnon, historien de l'art à l'université
Concordia : « À
l'époque, on faisait des vues de
rues de ville, mais au niveau de la rue.
Lui, il est en appartement, il est au-dessus,
il fait des vues en plongée, que
l'on retrouve maintenant dans le cinéma,
qui ont eu une influence énorme sur
la façon de voir les places publiques. »
Pissarro a donc
surmonté sa maladie et, du même
coup, a fait évoluer la peinture.
Patient
: Edvard Munch
Pathologie : hémorragie vitréenne,
amblyopie
Le
peintre norvégien Edvard Munch souffrait
de troubles oculaires différents
dans chaque il, explique le docteur
Jean Milot : « Edvard Munch,
en 1930, à l'âge de 67 ans,
s'est réveillé un bon matin
et a réalisé qu'il ne voyait
plus du tout de son il droit. Alors
quel désespoir l'a pris, parce qu'il
a réalisé qu'il voyait très
peu de son il gauche. Son il
gauche était amblyope, ou paresseux. »
L'affaiblissement
de la vue de son il gauche est possiblement
causée par une déviation de
l'il, un strabisme.
L'hémorragie
vitréenne de son il droit est
le résultat de la rupture d'un vaisseau
sanguin. Son il s'emplit d'abord de
sang qui lui bloque la vue. Avec le temps,
l'hémorragie se résorbe et
des caillots se forment qu'il voit comme
des taches noires. Pour l'artiste, c'est
la catastrophe.
« Il
voyait des taches noires, ce qui est tout
à fait normal, mais ces taches noires
lui, il les attribuait à des corbeaux,
raconte Jean Milot. Le corbeau, lui c'était
sa peur, c'était sa personnification
de sa cécité qui le conduisait
inévitablement vers la mort. »
L'originalité
de Munch a été de donner un
sens à ses troubles de la vue, explique
François-Marc Gagnon : « On
sait que Munch était intéressé
par le freudisme. Il va chercher l'inconscient.
Avec l'hémorragie qu'il a dans l'humeur
vitrée, il voit une tache qui a la
forme d'un oiseau, qui va chercher des contenus
inconscients. Et pourquoi pas ! »
Si Munch n'avait
pas eu un il gauche si faible, la
présence de son hémorragie
à l'il droit aurait été
moins dérangeante.
Mais on ne corrigeait
pas aussi facilement le strabisme à
cette époque. Aujourd'hui, cette
opération - que pratique le docteur
Milot - est devenue routinière. Il
s'agit de déplacer le tendon de l'il
pour aligner les deux yeux.
Patient
: Vincent Van Gogh
Pathologie : xanthopsie
Vincent
Van Gogh. L'un des peintres les plus célèbres
du 19e siècle.
Les yeux de Van
Gogh n'avait pas de problèmes en
tant que tels. Mais la consommation de certaines
substances le faisait voir jaune. Une boisson
très populaire chez les artistes
de l'époque, l'absinthe, avait cette
propriété là. Et l'amour
de Van Gogh pour cette boisson était
bien connue. On pense qu'il prenait également
de la santonine, un médicament dérivé
d'une plante, pour aider sa digestion.
Car Van Gogh avait
pour le moins un drôle d'appétit,
raconte Jean Milot : « Il
semble qu'il avait des goûts morbides
pour manger toutes sortes de choses. C'est
une pathologie que l'on appelle pica. Il
semble qu'il mangeait ses peintures, ses
pinceaux, il buvait de l'absinthe, il buvait
des rasades de térébenthine.
Tous ceux qui avaient des troubles de digestion
prenaient de la santonine, et la santonine
fait voir jaune. Je pense bien que Van Gogh
faisait comme tout le monde et prenait de
la santonine. »
Le docteur Paul
Ferdinand Gachet aurait possiblement traité
Van Gogh pour son épilepsie avec
de la digitale, une plante qui a également
la propriété de faire voir
jaune.
« Van
Gogh s'était demandé : "
pourquoi j'ai tant de jaune dans mes tableaux
? ". Il y a tout un symbolisme relié
au jaune, il y a tout un choix libre aussi
relié au jaune, explique François-Marc
Gagnon. Ou si vous voulez, si c'est complètement
pathologique, il a assumé sa pathologie,
il en a fait quelque chose.
Il s'est dit : " Peut-être que
l'on peut voir les choses en jaune, et donc
pour moi le jaune ça veut dire la
joie, le repos ". Quand il prépare
une chambre pour Gauguin qui s'en vient,
il se dit : " Je lui fais deux tournesols
de chaque côté et je les lui
mets sur le mur ". Et ils vont être
en jaune, parce que ça exprime la
paix, le repos. C'est une chambre à
coucher, donc c'est la chose qu'il faut
là ! »
Le docteur Jean
Milot reconnaît la valeur des uvres
de tous ces peintres, même si elles
sont le fruit de pathologies.
Une conclusion que
partage l'historien de l'art François-Marc
Gagnon : « Ce qui est magnifique
chez ces gens, c'est la façon dont
ils ont réussi à utiliser
leur handicap, à en faire quelque
chose qui soit valable, que l'on peut appeler
un chef-d'uvre ou une uvre géniale. »
Pour
en savoir plus
Art
et ophtalmologie
Site du Syndicat National des Ophtalmologistes
de France
Article
complet du Dr Milot dans Médecin
du Québec
Description
des pathologies et effets sur l'oeuvre des
peintres
La
vision du peintre sous l'il de l'ophtalmologiste
Article
du journal Forum sur les travaux de Jean
Milot
Journaliste : Michel Rochon
Réalisatrice : Chantal
Théorêt